L’affaire des écoutes secrètes en Pologne : un test pour les institutions européennes

Les institutions européennes seront-elles aussi sévères avec le gouvernement polonais de Donald Tusk qu’elles l’ont été en 2011-2012 avec le gouvernement hongrois de Viktor Orbán ? En 2010, après la victoire écrasante qui avait donné au Fidesz et à ses alliés chrétiens-démocrates plus des deux tiers des sièges au parlement hongrois, Viktor Orbán s’est lancé dans de multiples réformes dont certaines ont suscité les attaques des institutions européennes. En janvier 2012, l’Union européenne lançait même officiellement une procédure de sanction à l’encontre de la Hongrie, l’accusant notamment d’avoir porté atteinte à l’indépendance de la banque centrale hongroise en violation des traités européens, même si la Hongrie n’est pas membre de la zone euro. Les nouvelles lois hongroises prévoyaient en effet que le Conseil de la politique monétaire qui épaule la Banque nationale de Hongrie dans ses décisions serait élargi à sept membres dont quatre seraient nommés par le parlement. Les salaires du président et des vice-présidents de la banque centrale ainsi que des membres du Conseil de la politique monétaire avaient été réduits et un représentant du gouvernement devait être présent aux réunions du Conseil. La Commission européenne n’acceptait pas ces changements et elle n’acceptait pas non plus le fait que les dirigeants de la Banque nationale de Hongrie et les membres du Conseil de la politique monétaire devaient prêter serment sur la constitution hongroise. Le FMI et la Commission européenne n’ont pas hésité à suspendre les aides financières à la Hongrie alors que ce pays était à l’époque dans une situation extrêmement difficile héritée de la politique socialiste des années précédentes, et en juillet 2012 la Hongrie est revenue sur les points les plus fortement contestés par la BCE et la Commission.

Le parlement polonais, lui, n’a pas lancé de grandes réformes comme celles du Fidesz et il n’a pas officiellement porté atteinte à l’indépendance de sa banque centrale. Il n’en a pas besoin et l’enregistrement d’une conversation entre le ministre de l’Intérieur Bartłomiej Sienkiewicz et le président de la Banque nationale de Pologne (NBP) Marek Belka le prouve. Cet enregistrement réalisé pendant l’été 2013 fait partie d’une série de plusieurs centaines d’heures d’écoutes de gens importants de la Plateforme civique (PO), le parti du premier ministre Donald Tusk, dont toutes n’ont pas encore été divulguées. Une bonne partie de ces enregistrements ont été réalisés dans un restaurant de Varsovie proche des ministères par on ne sait qui et certains sont extrêmement compromettants pour le parti au pouvoir. En ce qui concerne la conversation entre le ministre de l’Intérieur et le président de la banque centrale, on y apprend non seulement que ces messieurs ont un penchant pour les mots grossiers quand ils discutent en privé des affaires de l’État mais aussi qu’ils passent entre eux des accords illicites violant clairement les règles de la démocratie et la constitution de leur pays.

Le ministre de l’Intérieur qui semble s’exprimer au nom du premier ministre demande au président de la banque centrale de venir au secours d’un budget à la dérive en faisant tourner la planche à billets au moment opportun avant les prochaines élections, afin d’éviter une victoire du parti conservateur Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński, au prétexte qu’une telle victoire serait une catastrophe pour l’économie du pays puisqu’elle ferait fuir les investisseurs (une catastrophe qui n’a pourtant pas eu lieu en 2005-2007 quand le PiS gouvernait dans un contexte de très forte croissance économique). Pas de problème, lui rétorque Belka, si ce n’est la gêne que pourrait causer ce « putain de Conseil de la politique monétaire » (sic.) mais dont cet ex-communiste déclare faire son affaire, à condition toutefois d’avoir le premier ministre lui-même pour interlocuteur et non pas le ministre des Finances Jacek Rostowski. Une autre condition posée par le président de la NBP, c’est d’ailleurs que Donald Tusk change de ministre des Finances pour un autre que Belka ne souhaitait pas encore désigner au moment de la conversation (Rostowski a été remercié deux mois après la discussion). La troisième condition, c’est que le parlement polonais vote une loi pour accroître les pouvoirs du président de la NBP (Marek Belka, donc) aux dépens de ce « putain de Conseil de la politique monétaire » (le projet de loi concerné est actuellement discuté par le parlement).

Voilà donc à quoi ressemble l’indépendance de la banque centrale en Pologne. Entre le gouvernement et le président de la banque centrale, on se téléphone, on se fait une bouffe aux frais du contribuable, et on échange les bons offices : vous remplissez mes conditions, et moi je fais tourner la planche à billets en achetant des milliards d’obligations émises par le gouvernement suffisamment longtemps avant les élections pour vous permettre de rester au pouvoir.

La réaction de la Commission européenne fera donc figure de test. Si les menaces de sanctions contre la Hongrie du patriote Viktor Orbán n’étaient pas motivées par des considérations idéologiques, la Pologne de l’européiste Donald Tusk va maintenant subir elle aussi les foudres de la Commission. Il semblerait toutefois que la question de la violation réelle ou supposée des traités européens soit en réalité secondaire pour  les institutions européennes et nous allons probablement pouvoir nous en convaincre grâce à cette comparaison entre Pologne et Hongrie dans les semaines et les mois qui viennent.

 

Photo de couverture : Donald Tusk et Viktor Orbán à Varsovie en mai 2014, photo Wikimedia Commons

 

Du même auteur :

Après la Hongrie, la Pologne ? Haro sur les conservateurs !

Pologne : la tragédie de Smolensk et le scénario hongrois

 

Related Articles

8 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • HuGo , 1 juillet 2014 @ 23 h 44 min

    On peut parier que la réaction de la Commission européenne sera quasi inexistante, en effet !

  • Charles , 2 juillet 2014 @ 7 h 33 min

    Sidérant et révélateur de l’UERSS.

    Il est évident que depuis toujours, la prétention d’une banque centrale “indépendante”
    est manipulation typique de pasteurs protestants dans un pays sous développé.

    Le pasteur fait la morale aux brebis tout en faisant du trafic
    et en forniquant les enfants dont il est supposé s’occuper….

    L’histoire est en train de s’accélérer de tous les cotés.
    La maîtrise de l’arme monétaire est devenue la première arme de contrôle total.

    Pour résister à ce délire les élus souverainistes a Strasbourg (Ukip,FN etc)
    ridiculisent l’hymne fédéraliste Europeiste,
    soit en lui tournant le dos (UKIP),soit en restant assis (FN).

    La 1ere vidéo est une manip du daily mail (anti UKIP) qui ne montre
    que Nigel Farage alors que plus de 600 députés expriment leur désaccord.

    https://www.youtube.com/watch?v=RkQFYPmOPA4

    La seconde vidéo d’une autre source montre un groupe plus important de députés.
    Il existe d’autres vidéos ou l’on voit Marine rester assise avec ses 23 députés.

    https://www.youtube.com/watch?v=XHLajawqWvs seconde vidéo

  • Charles , 2 juillet 2014 @ 7 h 35 min

    Correctif-60 députés et non pas 600 sur 750.
    En pratique ,ils devaient être près d’une centaine…

  • V_Parlier , 2 juillet 2014 @ 10 h 03 min

    ” on y apprend non seulement que ces messieurs ont un penchant pour les mots grossiers quand ils discutent en privé des affaires de l’État”

    Pourtant moi je la trouvais pas mal, la conversation en question (si nous pensons bien à la même: http://lesmoutonsenrages.fr/2014/06/23/le-chef-de-la-diplomatie-polonaise-on-a-taille-une-pipe-aux-americains/ )

  • Olivier Bault , 2 juillet 2014 @ 10 h 19 min

    Vous faites référence à une autre des conversations enregistrées, celle où le ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski affirme en privé que l’alliance avec les USA ne vaut pas un clou.

  • Ladislas 1er , 2 juillet 2014 @ 11 h 43 min

    Cette affaire tombe à point nommé!! Le congrès de la Nouvelle Droite (KNP) est donné à plus de 10% dans les derniers sondages!! Ce parti libertarien fera donc une entrée fracassante au Sejm (Sénat) pour foutre en l’air ce système d’apparatchik composés des anciens des services secrets polonais.

  • Ladislas 1er , 2 juillet 2014 @ 11 h 45 min

    Erreur: le Sejm c’est la chambre basse du parlement. Ce n’est pas le sénat mais bien l’assemblée nationale polonaise. Mille excuses

Comments are closed.