Pensée unique : Encouragé par l’indifférence des médias européens, le pouvoir polonais passe la vitesse supérieure

Le libéral euroenthousiaste Donald Tusk n’est pas le conservateur euroraisonnable Viktor Orbán et, quand il s’agit de renforcer la pensée unique politiquement correcte, personne en Europe ne viendra poser de questions à un pouvoir polonais qui resserre son emprise sur les médias nationaux à une échelle inconnue en Hongrie. La comparaison des réactions européennes face à ce qui se passe dans ces deux pays est révélateur du sens véritable des mots « démocratie » et « liberté de pensée » pour les élites politiques et médiatiques européennes.

Hystérie générale pour la Hongrie, silence radio pour la Pologne

Si en Hongrie le scandale est parti d’une malheureuse station de radio de gauche dont la concession n’a pas été prolongée par l’autorité des médias sous le gouvernement conservateur de Viktor Orbán, la situation en Pologne est pourtant nettement plus préoccupante.

Après la télévision catholique TV Trwam qui s’est vu refuser une concession pour émettre sur la TNT (voir par exemple notre article sur la grande manifestation pour la défense de la diversité des médias qui a eu lieu le 29 septembre dernier à Varsovie) et la télévision et la radio publiques où il n’y a plus de place pour les journalistes aux vues conservatrices de droite, voici venu le tour de la presse écrite. Comme nous le rappelions dans cet article revenant sur la publication du journal ex-d’opposition Rzeczpospolita sur les traces de matériaux explosifs qui auraient été retrouvés sur l’épave de l’avion polonais qui s’était écrasé à Smolensk le 10 avril 2010 (auditionnés cette semaine par une commission de la Diète, les procureurs militaires ont reconnu que certains des instruments utilisés en octobre à Smolensk avaient bel et bien indiqué la présence de traces de TNT) et sur la manière dont l’affaire avait été étouffée avec l’aide du nouveau propriétaire de Rzeczpospolita proche du parti de Donald Tusk, ce nouveau propriétaire, après avoir racheté en 2011, avec l’aide du gouvernement polonais, le groupe Presspublica dont fait partie Rzeczpospolita, a immédiatement changé le rédacteur en chef et la ligne du plus grand quotidien national d’opposition.

Il avait cependant choisi, sans doute pour donner le change, de laisser Paweł Lisicki, le rédacteur en chef dérangeant de Rzeczpospolita, à la tête de l’hebdomadaire du même groupe Presspublica, Uważam Rze dont la devise était « L’hebdomadaire des auteurs indociles ». Les journalistes et auteurs qui avaient vu leur place réduite dans les colonnes de Rzeczpospolita y écrivaient donc encore et comme c’était le deuxième hebdomadaire d’opinion le plus vendu en Pologne, après le magazine catholique Gość Niedzielny, également conservateur, et qu’il continuait de critiquer Donald Tusk et son gouvernement, notamment sur l’enquête qui a suivi le crash de Smolensk et sur d’autres sujets dérangeants, il faisait tâche dans le paysage médiatique.

Après la presse quotidienne, l’étau se resserre autour des hebdomadaires

La situation a duré jusqu’à la semaine dernière puisque M. Hajdarowicz, le nouveau propriétaire de Presspublica, ami personnel du porte-parole du gouvernement Tusk, s’est désormais séparé du rédacteur en chef d’Uważam Rze et l’a remplacé par une personne dont les déclarations passées montrent qu’elle sera beaucoup plus en ligne avec les autres hebdomadaires disponibles en Pologne : Polityka, Wprost, Newsweek Polska, etc., à l’exception notable de Gazeta Polska et de… W Sieci, un tout nouveau bihebdomadaire qui va se transformer en hebdomadaire après le 31 décembre et où pourront écrire librement tous ces auteurs indociles qui viennent de quitter Uważam Rze à la suite du rédacteur en chef remercié. Après un premier numéro tiré à 100 000 exemplaires et qui était déjà introuvable quelques jours après sa sortie, la rédaction de W Sieci annonce un tirage à 200 000 exemplaires pour le deuxième numéro car il semble que ce nouveau magazine ait d’emblée récupéré non seulement la majeure partie des auteurs d’Uważam Rze, mais aussi la majeure partie de ses lecteurs.

Des pressions sur les publicitaires qui voudraient financer la presse politiquement incorrecte

Inutile par contre pour un tel magazine de trop compter sur les revenus de la publicité. Déjà, Uważam Rze, pourtant deuxième sur son marché et premier support potentiel de publicités dans son créneau (l’hebdomadaire le plus vendu étant moins vendeur d’espaces publicitaires en raison de son profil catholique), trouvait-il nettement moins d’entreprises intéressées que n’importe quel magazine conforme à la pensée unique européenne, même deux ou trois fois moins lu, puisque les pouvoirs publics n’y achetaient aucun espace publicitaire et que la plupart des entreprises et des grands groupes privés cédaient aux pressions informelles qui interdisent en Pologne, d’après ce qu’en disent les journalistes travaillant pour ce genre de presse, d’acheter des espaces publicitaires dans des publications aux vues conservatrices, patriotiques et eurosceptiques, et surtout trop critiques du système qui a été mis en place en Pologne au début des années 90 à l’issue des pourparlers de la « table ronde » entre le pouvoir communiste et une partie de l’opposition de l’époque.

Ainsi, le groupe médiatique Gazeta Polska (un quotidien, un hebdomadaire, une télévision sur Internet et quelques sites d’information dont celui-ci en anglais) ne peut compter que sur les publicités publiées par les caisses d’épargnes polonaises qui fonctionnent sous forme de coopératives privées et de quelques rares entreprises qui n’ont que faire des marchés publics potentiels et des pressions.

Quant à la presse locale polonaise, qui est bien plus lue que la presse nationale, elle est  déjà majoritairement, ainsi que le révélait récemment l’hebdomadaire Gazeta Polska, aux mains d’un unique groupe de presse… allemand.

De notre correspondant permanent en Pologne.

Lire aussi :
> Pour votre liberté et pour la nôtre (une comparaison des attaques contre Viktor Orbán et contre les frères Kaczyński)
> Plus de 200 000 manifestants à Varsovie samedi pour défendre la liberté des médias
> Pologne : une justice asservie au pouvoir exécutif

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3 Comments

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  • 0 / 10
  • Goupille , 8 décembre 2012 @ 22 h 18 min

    Construction de l’Europe : Hitler a gagné !

    Au passage : que devient la menace d’adhésion de la Turquie à l’Europe ?
    Turquie, allié traditionnel de l’Allemagne pendant les guerres mondiales et fanatique de Mein Kampf depuis…

    Bientôt un quart de siècle de gâchis…
    Jean-Paul II, Solidarnosc, Waleza, Soljenitsyne, revenez : rembobinons le temps pour que ces retrouvailles est-ouest donnent quelquechose de beau…

  • François2 , 9 décembre 2012 @ 11 h 48 min

    C’est la PUT (pensée unique totalitaire) au travail en Pologne. Dans toutes mes conversations, je n’oublie jamais de mentionner la PUT, et je fais le reproche aux gens de ne pas la connaitre alors qu’ils la subissent en permanence : il est important de désigner sans relache l’ennemi totalitaire.

  • Marie Genko , 9 décembre 2012 @ 22 h 15 min

    Et moi qui espérais que la Pologne défendrait coûte que coûte sa Foi et qu’elle ébranlerait les colonnes de l’EU….!!!!

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