Le 10 avril 2010, le président conservateur polonais Lech Kaczyński trouvait la mort dans une catastrophe aérienne dont les causes sont toujours contestées (2/2)

Trois ans après la catastrophe, plus de la moitié des Polonais considèrent que les causes de la catastrophe de Smolensk n’ont toujours pas été élucidées et un tiers n’excluent plus la thèse d’un attentat. Nouvelles de France pose ce jeudi certaines questions qui fâchent en rediffusant un article très documenté paru dans nos colonnes le 6 février 2013. Bonne lecture !

Les mêmes procureurs qui avaient démenti le 30 octobre 2012 le scoop du journal Rzeczpospolita déclaraient le 5 décembre 2012 devant les parlementaires polonais :

« Les détecteurs utilisés à Smolensk, certains d’entre eux, affichaient effectivement ‘T.N.T.’ »

Un député incrédule lui demande de bien vouloir répéter, le procureur Artymiak répond :

« Monsieur le député, en effet, sur ces détecteurs il y avait l’indication ‘T.N.T’, trinitrotoluène. ».

Son collègue assis à côté de lui, le procureur Szeląg, qui avait démenti cette information le 30 octobre 2012 en conférence de presse, confirme.

Pour rappel (voir l’article), le journal Rzeczpospolita avait dit s’être trompé après le démenti du parquet et il avait licencié l’auteur de l’article et le rédacteur en chef. Et pourtant, l’information que Nouvelles de France avait publiée le 30 octobre (voir l’article) comme d’autres médias du monde entier était vraie ! Outre le fait que cela en dit long sur le contrôle des médias par le gouvernement de Donald Tusk, avec l’accord tacite de l’Europe (voir par exemple ici), cette information renforce la thèse de l’attentat comme cause possible du crash de l’avion qui transportait le président polonais Lech Kaczyński et 95 autres personnes (y compris les chefs des trois corps d’armée).

Un film documentaire qui diffuse ces images des déclarations des procureurs devant une commission du parlement polonais est en train de rencontrer un grand succès auprès du public polonais et pourrait bien changer la donne lors des prochaines élections. Intitulé « Anatomie d’une chute » (Anatomia Upadku), ce film contient des témoignages de Russes qui ont vu le crash en direct et qui contredisent clairement la thèse officielle selon laquelle le Tupolev polonais, après avoir accroché un bouleau, se serait retourné sur le dos avant de s’écraser.

Un chauffeur de bus interrogé par l’équipe d’Anita Gargas, la journaliste du groupe médiatique conservateur Gazeta Polska (qui a aussi un site en anglais ici), passait sur la route que le Tu-154 est censé avoir survolé sur le dos, l’a vu passer tout près avec le train d’atterrissage orienté vers le sol. Un motard qui a entendu le fracas et s’est rendu sur les lieux dit avoir observé des tas de petits fragments éparpillés sur une zone bien plus étendue que ce qui est décrit dans les rapports officiels russe et polonais. Plusieurs témoins ont entendu une explosion ou vu une flamme s’échapper de l’avion avant l’impact avec le sol.

On pourrait multiplier les exemples compromettants pour les autorités russes et polonaises dans ce film documentaire, mais parmi les perles, je citerai encore l’interview du procureur militaire Zbigniew Rzepa, un des premiers enquêteurs polonais sur place l’après-midi du 10 avril 2010. Plutôt gêné, le procureur Rzepa reconnaît que ni lui ni ses collègues n’ont inspecté le site du crash car il leur aurait fallu obtenir pour cela l’accord des autorités russes, un accord qu’ils n’ont demandé et obtenu que deux ans et demi plus tard en septembre-octobre 2012 ! Une inspection finalement réalisée donc, avec le résultat que l’on sait, mais après que l’épave a été saccagée (le film « Anatomie d’une chute” contient des films amateurs tournés par des fonctionnaires russes qui montrent la destruction volontaire de l’épave quelques jours après le crash), laissée à l’air libre pendant plusieurs mois, puis mise sous un hangar de fortune après une grosse cure d’amaigrissement puisque différents fragments ont été subtilisés et vendus aux ferrailleurs du coin (ce que confirme un habitant mêlé à ce trafic, filmé avec le visage masqué) et aussi lavée avant la cérémonie de commémoration du 10 avril 2010.

Autre détail qui en dit long sur la manière dont les autorités polonaises ont mené l’enquête, c’est la façon dont le procureur Rzepa reconnaît avoir « plombé » les boîtes noires confiées au MAK (l’organisme d’enquête russe) le soir du crash pour s’assurer qu’elles seraient intactes quand il reviendrait :

Le procureur polonais : « Les bandes ont été sécurisées et plombées dans un coffre-fort. C’est moi qui les ai plombées en présence d’un représentant du MAK ».

La journaliste : « En quoi a consisté ce plombage ? »

Le procureur : « J’ai apposé un morceau de papier avec un cachet à mon nom et ma signature »

La journaliste : « Un morceau de papier ? Et qu’est-ce que vous en avez fait, vous l’avez collé sur ce coffre-fort ?

Le procureur, visiblement étonné qu’on lui pose une question aussi stupide : « Ben oui, avec de la colle. »

Pffff.

Interrogé par des journalistes étrangers invités le 24 janvier dernier à une présentation de la version sous-titrée en anglais du film (j’y étais), Antoni Macierewicz, qui préside la commission parlementaire formée par l’opposition conservatrice du PiS, le parti de Jarosław Kaczyński (frère jumeau du président défunt), déclare, à propos des implications qu’aurait la thèse de l’attentat si elle était confirmée, notamment pour ce qui est des relations de la Pologne et de ses alliés avec la Russie :

« En ce qui concerne notre commission d’enquête, nous ne nous occupons pas des éventuels motifs. Nous cherchons à établir le déroulement exact des événements qui ont conduit à la tragédie. C’est seulement quand nous aurons établi avec certitude ce qui s’est passé que nous pourrons répondre à la question de savoir s’il y a eu attentat ou au contraire si un attentat est exclu. Je me suis occupé pendant 25 ans des services spéciaux et j’ai eu l’occasion de superviser tous les types de services spéciaux qu’il y a en Pologne, civils et militaires, et je sais que les sources d’un éventuel attentat peuvent être de différentes sortes. Il serait imprudent aujourd’hui de répondre à cette question car on pourrait se tromper lourdement. »

Antoni Macierewicz a été le ministre chargé de liquider le renseignement militaire sous le gouvernement Kaczyński (2006-2007), un service qui était encore peuplé d’agents formés à l’école soviétique et qui était accusé depuis la chute du communisme d’être à la solde de l’espionnage russe et de gérer certains trafics mafieux.

De notre correspondant permanent en Pologne.

Lire aussi :
> Tragédie de Smolensk du 10 avril 2010 : faut-il une commission d’enquête internationale ?
> Vous avez dit « théorie du complot » ? Tragédie de Smolensk, 10 avril 2010 : la thèse de l’attentat expliquée

Image : Cadre du film Anatomia Upadku d’Anita Gargas : engins russes en train de recouvrir le site du crash d’une couche de terre d’un mètre d’épaisseur et de dalles en béton. Pour y mettre de l’ordre ou pour effacer les traces ?

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3 Comments

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  • marie , 11 avril 2013 @ 8 h 56 min

    j’ai toujours pensé que ce nétait pas un accident ; peut être me tromp je , mais nous vivons dans un monde tellement pourris , que quoi qu il arrive , on ne peut s empécher de penser aussitot au complot ;

  • Alexandre de La Cerda , 12 avril 2013 @ 19 h 55 min

    Il me semble intéressant de verser au dossier cet article dAlexandre Artamonov paru le 10.04.2013 sur le site de la radio “La voix de la Russie”
    http://french.ruvr.ru/radio_broadcast/67041912/110424068.html
    “On sait que les Polonais ne portent pas les Russes dans leur cœur. Il y a trois cents ans, Moscou se fit envahir par les Polonais et en automne, les Russes fêtent toujours la Libération du joug étranger et de la conversion forcée en catholicisme. Mais de là à accuser les Russes d’avoir assassiné le Président polonais il y a tout de même un gouffre à franchir ! Cependant un politique polonais, le frère du Président péri dans le crash de son appareil aérien dans l’espace russe se démène comme un beau diable pour mettre Moscou sur la sellette. La théorie du complot accusant les Russes d’avoir « arrangé » l’avion de façon à ce qu’il se crashe ou au moins de ne pas l’avoir fait guider convenablement par l’aiguilleur du ciel a été passé au crible par un ingénieur en aéronautique travaillant à Toulouse, un ancien d’Air France, fin connaisseur de la maintenance technique. Il s’appelle Cyril Pacary.

    VDLR. Philippe Pacary, vous savez que le 10 avril 2010 à 10 h 41 heure locale le Tupolev 154 transportant le président polonais Kaczyński s’écrase lors d’une tentative d’atterrissage sur l’aéroport de Smolensk-nord, ne laissant aucun survivant parmi les 96 personnes à bord. Outre le chef de l’État, son épouse, le chef d’état-major des armées ainsi que les dirigeants des différents corps de l’armée polonaise et le gouverneur de la Banque nationale de Pologne. Pour avoir travaillé en Russie vous connaissez très bien en tant qu’ingénieur en aéronautique les appareils russes. Vous êtes maintenant à Toulouse, la Mecque de l’aéronautique et vous intéressez toujours à tout ce qui a trait au développement de l’aviation à l’Est. Dites-nous ce que vous pensez de la théorie du complot développé par le frère du feu Président qui semble vouloir faire porter aux Russes le chapeau les tenant presque pour responsables de la disparition de la fine crème de l’élite polonaise. A vous la parole !

    Cyril Pacary. Pour ce qui est du complot, on peut le faire valoir par rapport à celui qui a eu l’idée de faire transporter par le même avion le gratin polonais ! Dans beaucoup de pays y compris en Russie on ne se déplace jamais à plus de 3 membres de gouvernement par avion. Et grosso modo, on ne met pas l’ensemble du ban et de l’arrière-ban sur un seul avion. Je me rappelle qu’à cette époque il a été prévu que les militaires polonais viennent avec deux avions et ils ont décidé de voler avec un seul avion. La décision relève bien de la compétence du président polonais.

    Techniquement, ces avions de construction soviétique continuent de fonctionner encore aujourd’hui et sont dans l’obligation d’avoir deux systèmes de sécurité, le TCAS et le GPW. Le TCAS permettant d’éviter les accidents entre avions ? Il indique à l’avion qui va en direction d’un autre avion les manœuvres à faire pour éviter la collision. Et le GPW est un indicateur qui permet de prévenir de l’approche du sol ou d’un changement d’altitude brusque qui peut provoquer un crash. Cet avion était effectivement équipé de ces éléments. D’ailleurs il a été immatriculé en Pologne. Qui plus est, c’est un avion présidentiel, donc il a été contrôlé par les autorités polonaises donc européennes. Je dirais que la défaillance technique n’a pas été décelée par l’enquête que ce soit au niveau des moteurs ou au niveau des commandes de vol. En tout cas les pilotes qui étaient à bord avaient l’ensemble de l’information disponible pour pouvoir piloter même si, c’est vrai ! – il y avait beaucoup de brouillard et, je me souviens bien, il a été conseillé par l’aéroport le déroutement. C’est vrai qu’au vu des membres du gouvernement à bord, il se peut que l’équipage ait subi une pression ou qu’ils se soient faits une pression eux-mêmes et qu’ils n’aient pas respecté les règles de base du facteur humain qui est une formation obligatoire dans le milieu aéronautique qui permet de gérer la pression et surtout prendre une décision sous la pression. A mon avis, ce crash est essentiellement dû aux facteurs humains. Et la gravité de l’accident est due à une maladresse de faire voyager le ban et l’arrière-ban dans un seul avion ce qui est complètement contre toutes les règles de sécurité primaire. En tout cas au niveau des voyages du personnel gouvernemental.

    VDLR. Est-ce que les Russes auraient pu bricoler quelque chose lors de la séance de maintenance subie par l’avion un mois avant le crash ?

    Cyril Pacary. Cela me paraît très peu probable sinon impossible puisque ce genre de grande visite n’est pas l’affaire d’un homme ! C’est l’affaire d’une équipe. Il y a du double ou même du triple contrôle. Qui plus est, pour un avion présidentiel j’imagine que les personnes en charge de la flotte présidentielle polonaise étaient sur place. Et il me paraît peu plausible en tout cas et c’est pour cela que je ne crois pas à cette théorie, que cela ait pu être l’affaire d’un seul homme ! Dans un système où il y a des contrôles multipliés, même si une personne était mal intentionnée, il est difficile de croire qu’il y ait eu quelque chose de fait sur cet avion-là. La vraie question pour moi est pourquoi ils étaient tous partis avec un seul avion. »

    Les Polonais doivent bien reconnaître qu’un ingénieur français est exempt de tout soupçon et n’a pas de parti pris dans cette affaire. A mon avis, le Kremlin devrait attaquer certains politiques polonais en justice pour calomnie et déclarations irresponsables”.

  • Barbara , 14 avril 2013 @ 9 h 19 min

    Monsieur / Madame,
    Provoquée par votre prétendu ” intéressant” article d’Alexandre Artamonov, je vous dédicacerais à réfléchir aujourd’hui, trois ans après ce crash de l’avion polonais Tu-154M (à propos, avion gouvernemental, puisque le président polonais n’en disposait point), cette citation historique d’Emile Zola:
    LA VERITE EST EN MARCHE, ET RIEN NE L’ARRETERA…

    En outre, je me demande pourquoi vous nous servez à présent toutes ces “questions” / “arguments” propagées pour ce 3e anniversaire sur le site de cette radio russe – celles-ci étant bien réfutées depuis très longtemps – au lieu de lire (pour être enfin au courant) les articles de Monsieur Olivier Bault, ou du moins celui qui vient de paraître le 10 avril 2013, et qui était intitulé “Le 10 avril 2010, le président conservateur polonais Lech Kaczynski trouvait la mort dans une catastrophe aérienne dont les causes sont toujours contestées”. Bon courage!

    A ce propos, un très, très grand merci à Monsieur OLIVIER BAULT, le journaliste pour qui j’éprouve une vive admiration et dont j’ai beaucoup apprécié tous les articles sur NDF. Plus encore, je pense qu’il est le seul journaliste français qui comprenne la réalité politique en Pologne qui s’y est produite après le 10 avril 2010 et qui commente en professionnel, en journaliste tout court. Merci encore au nom de tous les Français avec qui j’en ai parlé. Bravo et merci!

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