Marc Crapez : « Le déclin de la neutralité de l’Etat va de pair avec son impuissance »

Entretien avec Marc Crapez, chercheur en science politique, sur l’actualité politique de la semaine écoulée.

Le FN peut-il l’emporter seul contre tous ?

En aucun cas.

Comment jugez-vous l’attitude de l’UMP à l’égard du FN ?

L’UMP n’aurait jamais du faire passer des candidats d’extrême-gauche ou corrompus contre des candidats FN. Lors du 2ème tour du Doubs, l’assesseur d’un bureau de vote a refusé de serrer la main de la candidate FN pour ne pas se « salir ». Cet incident est à rapprocher du fameux épisode « Casse-toi, pauv’ con ! »… bévue d’un homme à qui on venait de refuser de serrer la main pour ne pas risquer de se « salir ». Cette symbolique de la souillure pousse à rejeter toute forme de civilité, voire à considérer l’adversaire comme répugnant, alors que la démocratie sous-entend le respect de chacun.

« Ceux qui se sentent ‘salis’ sont potentiellement dangereux. En cas de rupture révolutionnaire, ils dénoncent leur voisin de palier ».

La morale de l’histoire, c’est que l’UMP aurait du solennellement protester contre ce langage de fanatique ; comme hier le FN aurait du protester contre ce même langage, au lieu de renchérir sur les critiques de gauche en accablant Sarkozy. Parce que ces gens qui se sentent « salis » sont potentiellement dangereux. En cas de troubles ou de rupture révolutionnaire, ils dénoncent leur voisin de palier.

Peut-on comparer la mobilisation du système politico-médiatique lors de l’entre-deux tours dans le Doubs à celle de 2002 ?

Tout à fait ! On atteint des sommets. Mais au-delà, il faut pointer un phénomène de politisation galopante de l’Etat. Les personnages de l’Etat sortent de leur rôle. Ainsi le président du Sénat, qui peut être amené à devenir Président de la république par intérim, se permet de critiquer le président de l’Assemblée nationale, ou bien de dire pour qui il voterait (pour le PS contre le FN dans le Doubs). Faut-il rappeler qu’en démocratie un serviteur de l’Etat respecte l’isoloir ?

« Lors de l’affaire Dieudonné, Manuel Valls a mobilisé la Raison d’Etat. Ce n’est pas choquant. En revanche, on peut désapprouver le ralliement de la justice à cette logique ».

A ce travers, s’ajoute une mobilisation abusive de la puissance étatique à des fins partisanes : l’Etat organise une manif pro-Charlie, Valls dissuade les manifestants anti-mariage gay de manifester, Cazeneuve tient meeting anti-FN (un parti qu’il faut « absolument vaincre »). Que n’aurait-on pas dit, si le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy avait fait campagne aussi ouvertement ? Et si son service d’ordre s’était montré aussi brutal que celui de Hollande (voir encore dernièrement une intervention musclée au salon de l’Agriculture) ?

Lors de l’affaire Dieudonné, Manuel Valls a mobilisé la Raison d’Etat pour briser un citoyen qui se permettait de l’injurier publiquement. Ce n’est pas choquant. En revanche, on peut désapprouver le ralliement de la justice à cette logique, ainsi que la mise en branle de l’ensemble de l’appareil d’Etat, des corps constitués et des médias, au mépris de la notion de contre-pouvoir.

Peut-on parler de déclin de la neutralité de l’Etat ?

Le déclin de la neutralité de l’Etat est un phénomène qui contribue à le dévaluer et qui va de pair avec son impuissance. L’origine de ce déclin est à rechercher autour du couple adulation de l’Union européenne-phobie du populisme. Giscard et Simone Veil ont donné le signal en prenant parti pour l’Europe sans se mettre en congé du Conseil constitutionnel. Lors du 21 avril 2002, quand des enfants sont allés manifester, Philippe Séguin dut le rappeler : « En démocratie, on ne manifeste pas contre le suffrage universel ».

« Les socialistes, incapables d’incarner la France et l’intérêt général, se saisissent de l’appareil d’Etat comme d’une caisse de résonnance pour faire leur propagande ».

A cette confusion ambiante, s’ajoutent des slogans idéologiques à l’emporte-pièce (le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit ; les shows de Dieudonné ne sont pas des spectacles, ce sont des meetings politiques…), qui contribuent à saper les bases du sens commun. Hollande déclare, le 21 janvier dernier, qu’à l’école il n’y aura « aucun incident laissé sans suite »… alors que les comportements contestataires des élèves musulmans ne sont même pas tous répertoriés. Auparavant, il avait promis : « Aucun citoyen ne doit être laissé à l’abandon ». Manuel Valls excelle dans le maniement de ce langage définitif : il conviendrait de « tout faire » et par « tous les moyens » pour endiguer ceci-cela. Cette radicalité sémantique cache l’impuissance du politique à tenir le gouvernail et à engager la nation à souquer ferme.

La politisation de l’Etat se double d’une confiscation partisane. Les socialistes, spécifiquement, incapables d’incarner la France et l’intérêt général, se saisissent de l’appareil d’Etat comme d’une caisse de résonnance pour faire leur propagande et travailler pour eux-mêmes et les leurs. Faute d’avoir prise sur le cours des évènements, ils multiplient les incantations, les sermons et les projets de rééducation. Faute de tenir fermement les rênes du pouvoir exécutif, Hollande endosse le costume du généralissime, du gentil animateur de Club Med (« voyez ma belle synthèse ! ») et du généticien concoctant le bébé éprouvette de la société radieuse.

Le Front national consolide sa progression dans les sondages. Est-ce à dire que la société dans son ensemble se “droitise” ?

Non, dans la mesure où c’est le FN qui a « gauchisé » son programme économique. Mais surtout, parce qu’après 30 ans de sous-estimation sondagière, nous sommes dorénavant entrés dans une phase de surestimation, avec des résultats électoraux en-deca des sondages. En fait, le corps électoral utilise le sondage comme moyen de pression et d’expression, afin de tancer les partis traditionnels.

« Les seniors, qui votent volontiers UMP, voire Front de gauche, forment un obstacle à la progression du FN. Marine Le Pen pourrait surmonter cette méfiance en renonçant à vouloir sortir de l’euro ».

De surcroît, le vote FN n’est pas toujours un vote réitéré d’adhésion ou de calcul (dans l’optique de laisser sa chance à un nouveau venu qui n’a pas encore été « essayé »). Parfois, c’est un vote occasionnel et tactique, visant à offrir un appoint ponctuel à un parti victime d’un traitement défavorable. En effet, une proportion notable du corps électoral a pris acte de la normalisation idéologique du FN et du renouvellement de ses têtes. Et voterait presque ponctuellement en sa faveur pour lui donner un coup de pouce.

Mais le FN est encore loin d’être potentiellement majoritaire, même dans des circonstances favorables. Avec 48,5%, le récent résultat du Doubs, contre un candidat socialiste, est identique au résultat de l’Oise, en mars 2013, contre un candidat UMP. Les seniors, qui votent volontiers UMP, voire Front de gauche, forment un obstacle à la progression du FN. Marine Le Pen pourrait surmonter cette méfiance en renonçant à vouloir sortir de l’euro, mais je ne l’en crois pas capable.

Cette réponse vous a été censurée dans l’interview d’un confrère, pour quelles raisons ?

Peut-être parce que certains médias de droite libérale n’assument pas le conservatisme, ont peur de paraître droitiers et s’excusent d’être de droite en offrant une tribune à des auteurs de gauche, un peu comme si, de la moyenne des opinions disponibles sur le marché universitaire, pouvait émerger une sorte de juste-milieu centre-droit qui penserait juste (ce respect des bonnes manières idéologiques apparut comme une erreur intellectuelle à Raymond Aron).

« Les élites jouent à se faire peur. Régulièrement, les médias amusent la galerie avec des thématiques alarmistes ».

Dans ce contexte, il est sacrilège de prêter des motivations sensées aux électeurs du FN, et surtout de paraître nier la menace montante, même si c’est une position étayée (voir NDF.fr ou Le Figaro). Il est contre-indiqué d’être un contrariant, à l’écart du discours dominant et des partis-pris des élites concernant toute la série des « montées » (du FN, du racisme, du populisme et de la droitisation), ces croque-mitaines avec lesquels les élites jouent à se faire peur, alors même que leurs positions sont consolidées comme jamais dans l’histoire.

Régulièrement, les médias amusent la galerie avec des thématiques alarmistes. Selon un sondage du 20 février dernier : « 6 Français sur 10 pensent que le PS va imploser ». Hypothèse pourtant grotesque au sujet d’un parti qui détient tant de prébendes. Mais l’effet d’unanimisme donne une résonnance énorme à la propagande médiatique. Et engendre des réactions d’automates.

> la page Facebook de Marc Crapez

Related Articles

16 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Guy Marquais , 2 mars 2015 @ 7 h 24 min

    Voilà un homme tranquille qui dit des vérités tranquillement . On n’est pas forcement d’accord à 100% mais en tous cas c’est bien exposé….. cela nous change des hurlements agressifs de notre 1er Sinistre !

  • Denis Merlin , 2 mars 2015 @ 7 h 50 min

    La “neutralité” de l’État au sujet de la contraception et de l’avortement ? C’est pour quand ? Quand n’obligera-t-on plus à payer pour l’empoisonnement des femmes et l’assassinat des enfants ?

  • René de Sévérac , 2 mars 2015 @ 8 h 03 min

    “Marine Le Pen pourrait surmonter cette méfiance [des seniors] en renonçant à vouloir sortir de l’euro”.
    Marc Crapez avoue ici sa foi libérale.
    Par ailleurs, c’est la “sortie de l’euro” (en fait un New-DM) qui seule peut apporter un espoir [le Peuple français a cette caractéristique de ne pas accepter des méthodes germaniques, la dévaluation régulière est son unique moyen de régulation !)
    Cela dit, j’ai moi aussi le sentiment que le peuple (soumis à l’idéologie dominante) a peur de cette sortie. Donc, vote FN ou pas, il ne se fera rien de révolutionnaire !
    On est donc foutus.

  • Zébulou , 2 mars 2015 @ 8 h 35 min

    Dû et non “du” ! Grrr.

  • mymy63 , 2 mars 2015 @ 9 h 41 min

    Les séniors ont été trop choyés, mais la baisse progressive de leurs retraites risque fort de les ramener à la raison.

  • SURICATE , 2 mars 2015 @ 9 h 56 min

    N’en déplaise à ce Monsieur M.C. je suis convaincue que le Front National a toutes les chances de l’emporter fin Mars 2015 et en 2017.

    Aucun parti politique en dehors du FN veut sortir la France du marasme dans lequel les UMPS l’ont plongée volontairement. Pire à l’horizon ils ont tous programmé son islamisation.

    Avons-nous d’autre choix que de choisir le bulletin qui fera que nous sortions de l’ EURO et REFUSIONS notre ISLAMISATION ?

  • brandenburg , 2 mars 2015 @ 9 h 57 min

    Cet entretien me semble très banal et contradictoire;on sent que le personnage ignore l’histoire de France et son côté dramatique,que’ c’est un bon pépère,un peu suranné , qu ne sait vraiment pas que faire ni analyser en profondeur ni conscient d’une réalité qui au fond pour lui n’a pas grande importance!Du vague,du flou,un détachement d’artiste,bref pas gran’chose mais toujours “sympa”:!

Comments are closed.