Critique de la France bien élevée (bis)

Lors de certaines actions menées récemment par des groupes constitués au cours du mouvement d’opposition à la loi Taubira du printemps dernier, l’attitude de certains militants montre que ceux-ci semblent n’avoir pas entièrement saisi les règles qui régissent la pratique politique. Dans le prolongement de ma critique de la France bien élevée, je souhaite reprendre ce thème en en approfondissant certains points à la lumière des derniers événements.

Intégrer une culture du résultat

Lors de récentes actions de protestation contre la politique gouvernementale, il a encore été donné d’observer l’attitude de certaines personnes qui en sont toujours à réagir à la répression policière par des gloussements ou des remarques percutantes du type “ben ouais quoi, on a le droit d’être là, quoi”, avec ce petit sourire entendu de celui qui s’imagine que ses bonnes manières lui valent brevet de respectabilité sociale.

Ce que la France bien élevée semble avoir encore quelques difficultés à intégrer, c’est que la praxis politique n’est pas régie par le principe chrétien de Vérité mais par le principe nietzschéen de Puissance. Dit autrement : en politique, il n’y a ni gentils ni méchants, il n’y a ni bons ni mauvais, il y a des forts et des faibles. On ne redira jamais assez l’erreur fondamentale qu’a faite Manuel Valls en faisant gazer par familles entières les manifestants du 24 mars dernier en pleine exhibition de leur bienveillance familiale, leur faisant soudainement prendre conscience que celle-ci ne serait jamais considérée par nos adversaires comme autre chose que ce qu’elle est politiquement : rien. “La France bien élevée est excédée”, titrait Gabrielle Cluzel. Tant mieux, peut-on lui répondre, les faits ayants montré qu’il n’y a qu’excédée que cette France sait se bouger. Contrastant avec l’échec des millions de manifestants des Manifs pour tous, le succès quasi-immédiat des quelques milliers de “bonnets rouge” a encore illustré cruellement la différence d’efficacité politique entre ceux qui ont appris à ne pas mettre les coudes sur la table et ceux qui ont appris à taper du poing dessus.

De quoi David est-il le nom ?

Dès le début du mouvement anti-mariage gay du printemps dernier, David Van Hemelryck, l’un des organisateurs du Camping pour tous, a très vite fait l’objet d’une forte animosité de la part d’un certain nombre de personnes, sans que celles-ci, de leur propre aveu, ne parviennent à expliquer pourquoi. Or, ce que David, 34 ans, polytechnicien, en couple sans être marié et sans situation professionnelle fixe, représente symboliquement ainsi que les réactions qu’il a suscitées est très révélateur de la situation de la “France bien élevée” aujourd’hui (le raisonnement vaut aussi pour un Jean-François Copé ou un Nicolas Sarkozy).

Comme le relate l’écrivain Jean d’Ormesson dans son livre Qu’ai-je donc fait ?, il y a un siècle, une certaine France bien élevée de l’époque a été obligée d’admettre en son sein des Fould, des Gould ou des Rothschild afin de renflouer les maisons de famille. Aujourd’hui, la France bien élevée en est à devoir faire appel à des David afin de défendre le mariage hétérosexuel monogame. Il est compréhensible, quelque part, que cette France-là, qui se permet par ailleurs des commentaires imbéciles sur le style vestimentaire de certains militants professionnels se fichant souverainement de ne pas être au fait de la dernière couleur de plume à la mode dans la réserve indienne, éprouve une animosité naturelle envers celui qui incarne la preuve vivante que “nos milieux bénis soient-ils” ne sont plus tout à fait ce qu’ils ont été par le passé. Le fait que David assume le fait de désirer honneurs et rétribution en échange de la mise à disposition de ses compétences organisationnelles et militantes à des gens qui, pour beaucoup, sont incapables de faire le sale boulot eux-mêmes n’est évidemment pas de nature à redorer son blason auprès de ceux-ci. Le fait que la plupart aient à l’époque continué à le suivre malgré force ragotages dans les buanderies et les arrière-cuisines, bien conscients à l’image des grognards de Napoléon que la seule alternative aurait été de rentrer chez eux, illustre que le proverbe “les chiens aboient, la caravane passe” est plus que jamais d’actualité.

En finir avec le fétichisme institutionnel

Derrière les attitudes précitées, on retrouve cette tendance de la France bien élevée, souvent de sensibilité royaliste, à ne pas voir dans l’homme aux responsabilités politiques le simple vecteur de nos idées dans le champ collectif qu’il est, mais à projeter sur lui la figure d’un roi – papa ayant pour mission de l’aider à progresser humainement dans sa vie personnelle. Sans nullement rejeter l’idée royaliste, il convient de la préciser. “La puissance gouvernementale ne flotte pas dans les airs”, disait Karl Marx. Un Roi n’est rien en lui-même, il n’est que l’expression de la volonté d’un peuple de le reconnaitre comme souverain en tant qu’incarnation de son identité spirituelle. C’est le recouvrement de son identité par un peuple qui a pour effet de le faire accoucher d’un monarque, non l’inverse. L’objectif du royaliste ne doit donc pas être de modifier le squelette institutionnel en tant que tel, mais bien plus d’agir sur la chair spirituelle qu’il régit. Le principe monarchique résidant dans l’expression de l’identité spirituelle d’une nation et non pas dans le système institutionnel formel qui n’en est que le réceptacle, celui-ci ne doit être considéré comme rien d’autre qu’un moyen de diffuser nos idées le plus efficacement possible.

Le royalisme est l’expression d’une identité spirituelle, autrement dit de ce qui est incarné. Faire progresser l’idée royaliste consiste donc à vider de sa substance spirituelle ce qui ne l’est pas. L’action iconoclaste d’un Sarkozy au style vulgaire, ayant eu pour effet de démonétiser largement notre système abstrait et universaliste comme l’a montré le journaliste Bruno Larebière, aura plus contribué à la diffusion de l’idéal royaliste que n’importe quelle commémoration folklorique avec exhibition de fleurs de lys.

Conclusion : une obligation de moyens

“À l’avenir, nous n’aurons qu’une alternative : retrouver l’inflexible courage d’être riche ou apprendre le courage résigné d’être pauvre. Dans les deux cas, la charité chrétienne se révèlera impuissante”, prophétisait Jean Raspail dans Le camp des saints.

Se retrouver en situation de faiblesse n’a rien de honteux en soi, mais le devient à partir du moment où l’on n’a pas cherché à se retrouver en position de force tout en déclarant vouloir défendre des valeurs et des idéaux élevés. La question que doit à présent se poser sans relâche la France bien élevée est de savoir si elle est prête à se donner les moyens spirituels des objectifs qu’elle affiche.

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39 Comments

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  • DN , 2 décembre 2013 @ 13 h 27 min

    La richesse du peuple pauvre est également son nombre et sa détermination.
    A quoi sert de mettre 3 x 1 million de personnes dans la rue s’il s’agit ensuite de dire au nom de la respectabilité républicaine “Bonne nuit les petits” ? Il fallait trouver Nounours à l’Elysée et lui botter le train !!!

  • François Desvignes , 2 décembre 2013 @ 13 h 41 min

    Faut pas avoir honte d’être bien élevé et penser que seuls les grossiers font les révolutions : c’est doublement faux.

    La personne la mieux élevée que le monde ait jamais connue , c’est le Christ.

    Or, non seulement il a su taper du poing sur la table sur les marches du Temple mais en plus, tout poli qu’Il était, il n’en a pas raté une pour dire leurs quatre vérités au pays légal de l’époque, le Sanhédrin et Ponce Pilate. Dieudonné à côté avec ses quenelles,c’est un amateur et les bonnets rouges des enfants bouillons,

    Mais en plus, sa révolution, n’a jamais cessé depuis 2000 ans et est toujours plus victorieuse.

    Donc, je me demande si notre auteur ne se méprendrait pas un peu sur les “potentialités” de cette France si bien élevée, si catholique, et en un mot si française,

    SOIT DE LA NATIONALITE DE CEUX QUI DEPUIS 1500 ANS GUIDENT SPIRITUELLEMENT LE MONDE.

    Un jour, nous dirons : ça suffit !
    Et alors, ce sera malheur aux vaincus, nos ennemis !

  • Charles , 2 décembre 2013 @ 13 h 52 min

    Il y a 3 approches à considérer,je crois,
    pour continuer l’excellente réflexion de J L de Mourcourt.

    1.Sortir de notre vision naive/enfantine de la réalité du pouvoir actuel
    en Fronce sous toutes ses formes.
    A mon avis ceci constitue le principal obstacle à franchir.
    Les circonstances vues ou vécues ou subies servent de révélateur
    pour ceux qui le veulent bien.
    Les habitants de Auswicht fêtaient Noel en famille sereinement,
    en ne voulant pas faire le lien entre les drôles d’odeurs portées
    par le vent venu des camps voisins.

    2.Nous devons dépasser nos clivages pour pouvoir pousser ensemble
    sur les portes latérales de la forteresse poly-sexuelle qui nous gouverne.
    Par exemple,soutenir l’initiative de C Tasin-P Cassen contre le pouvoir.

    3.Le plus difficile:Retrouver le fil d’Ariane du langage symbolique
    de nos ascendants d’avant 1965/1969 et l’adapter à notre quotidien de 2014.
    On ne peut pas faire comme si il ne s’était rien passé en 40 ans,
    ni comme si les 1969 années antérieures n’avaient pas eu lieu.
    Notre religion nous permettant d’entrer par le symbole dans l’éternité et l’universel
    qui reste invisible et inaccessible/incompréhensible pour tous.

    Nous avons reçu un message intemporel qui ne demande qu’à être lu.
    Sans lui,nous ne pouvons RIEN faire.

  • Antoine , 2 décembre 2013 @ 14 h 20 min

    Le problème de la sortie de légalité est le double – tranchant. Certes, nous pouvons jouer sur l’effet de surprise mais le gouvernement jouera avec. Car, il se mettre en victime et non en agresseur et ça justifiera la répression à grande échelle alors que seule une minorité de citoyens ont fait le bazar. Pourquoi est – ce que les autres devraient payer pour les casseurs ? C’est injuste. Non, je pense que la non – violence à l’instar de Gandhi permet de démontrer le vrai visage du pouvoir en place : idéologie, totalitaire et autoritaire. Sa stratégie est de se cacher dans la légitimité de son élection pour faire toute opposition. Seules les idées peuvent permettre de démonter point par point l’idéologie de notre adversaire. A moins qu’ayant épuisé tous ces moyens, les biens élevés se retrouvent excédés et qu’un goutte d’eau fait déborder le vase.

  • Bcajoule , 2 décembre 2013 @ 15 h 12 min

    Pour avoir été sur place, nous n’étions pas nombreux devant l’Elysée face aux “forces aux ordres” un certain 24 mars.

    La prochaine fois, on vous attend avec vos frères, vos cousins, vos amis, déterminés et prêts à payer le prix de l’engagement politique.

  • xrayzoulou , 2 décembre 2013 @ 17 h 03 min

    Au moins les rois ont fait la France, les républiques la démolisse ! Une Monarchie démocratique serait certainement plus appropriée, à ces gouvernements qui ne font rien et qui touchent des salaires plus que substantiels, Sans compter les retraites à vie des présidents.
    Il faut que les français comprennent qu’ils ne doivent rien lâcher ou ils sont perdus.

  • Charles Martel , 2 décembre 2013 @ 17 h 06 min

    Sauf qu’il n’a jamais existé, c’est embêtant pour votre raisonnement…

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