Loi sur le renseignement : Manuel Valls verrouille l’oignon

Au prétexte de lutter contre l’« ennemi intérieur », Manuel Valls propose son plan d’action. Il tombe à pic pour confirmer et protéger le visage totalitaire que prend cette société. Totalitaire et culinaire, puisqu’il est d’abord question d’oignon. La référente obligée des analyses sur le totalitarisme, Hannah Arendt, décrit comme « structure en oignon » un type de régime totalitaire destiné à organiser et à planifier la vie des masses tout en se protégeant des retours de « boomerang ».

Au centre de l’oignon, protégé de toute atteinte réelle, le chef, la République ou l’État, et ses « valeurs », toujours infaillibles, toujours républicaines, toujours tolérantes et universelles, qu’il faut célébrer avec religiosité.

La première enveloppe est la plus proche du chef : c’est l’élite, les experts autorisés et les membres du Parti. Ce sont les « maîtres bureaucrates » : « La bureaucratie est toujours un gouvernement d’experts, d’une “minorité avertie” qui doit résister tant qu’elle peut à la pression constante de la “majorité non avertie.” », écrit-elle. Ne cherchez pas trop loin : ce sont cette poignée de personnes exposées aux yeux de tous et autorisés à commenter la vie politique, ou à la diriger.

La deuxième enveloppe protectrice se risque à l’interaction avec le monde normal : c’est celle des sympathisants, des planqués, des associations militantes, des soumis divers. Ils croient aux paroles du chef, de la république ou de l’État, et surtout croient encore qu’il y est question de conviction, de vérité et de réalité.

La troisième enveloppe est constituée de la masse des individus atomisés et isolés, ces citoyens en rangs d’oignon, manifestant par milliers, dans la manducation perpétuelle d’un « je suis Charlie » et des « valeurs républicaines ». Les deux guerres mondiales – et, aujourd’hui, le danger islamiste et la concurrence communautaire – ont accouché d’une « terrifiante solidarité négative » qui a transformé les classes sociales en « une masse informe d’individus furieux » aisément manipulables, écrit Hannah Arendt. Manipulons donc.

Cependant, par une sorte de disfonctionnement anthropologique, les êtres humains menacent toujours de laisser percer quelque initiative en dehors des « clous » et des autorisations médiatiques et préfectorales. Du coup, on mise sur l’éducation (éducation à la morale laïque, éducation aux valeurs républicaines, éducation à la citoyenneté, éducation à la débauche, éducation à la tolérance, etc.), afin d’annihiler dès le plus jeune âge ces racines de non-soumission, selon une méthode que nous avons déjà dénoncé chez Vincent Peillon : « Le but de l’éducation totalitaire, écrit Hannah Arendt, n’a jamais été d’inculquer des convictions mais de détruire la faculté d’en former aucune. »

Ceux qui échappent, qui échapperaient ou qui ont échappés à cette lobotomisation pédagogique font face à la machine et à ses pelures. La multiplication des services (auxiliaires d’éducation, assistants sociaux, référents laïcité, défenseurs des droits, commissions diverses, associatifs antiracistes, experts, enquêteurs, etc.) sont autant de bras armés de la machine administrative de l’Etat, et participe de ce système de protections en oignon qui permet au mouvement de durer dans son mensonge. Les institutions étatiques, les médias et les experts ne sont plus qu’une pure façade, cette petite ficelle qui maintient les oignons, serrés les uns contre les autres, entre eux.

Cerise sur l’oignon : la panoptique loi sur le renseignement de Manuel Valls. Après le matraquage « je suis Charlie », le matraquage « pas d’amalgames », les grandes célébrations républicaines et la méticuleuse neutralisation personnelle des opposants aux « grands changements de civilisation », voici donc la loi sur le renseignement, qui vient boucler la boucle, et serrer l’oignon ; laquelle prévoie que les services spéciaux se verront bientôt dotés de moyens de surveillance accrus (interceptions de courriels, de sms, écoutes téléphoniques, interception et enregistrement de communications ou d’images prononcées ou réalisées dans un lieu privé…), qu’ils pourront utiliser sur autorisation du Premier ministre pour des motifs d’intérêt public : « sécurité nationale, intérêts essentiels de la politique étrangère, intérêts économiques ou scientifiques essentiels, prévention du terrorisme, prévention de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous, prévention de la criminalité organisée et des violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique, menaces et risques susceptibles d’affecter la vie de la nation… »

Le grand panoptique – ce rêve pervers de l’utilitariste Jeremy Bentham – s’impose enfin, et c’est la France, toujours en pointe du « progrès », qui en profite. Le système panoptique consistait à construire des prisons selon des plans circulaires, permettant au surveillant situé dans une tour centrale d’observer sans jamais être vu. La prison moderne, notait Michel Foucault, est d’abord une entreprise de culpabilisation travaillant les consciences individuelles à travers un regard omnipotent et omniscient. Culpabilisé, surveillé, le prisonnier s’amendait et se soumettait. Il s’agissait alors de redresser l’âme des détenus, comme il s’agit aujourd’hui de redresser l’âme des citoyens.

Fort de cette structure protectrice en oignon et de ce système panoptique de surveillance généralisée, ce n’est plus le souverain qui est isolé, mais bien l’individu. Il peut donc plus aisément se soumettre. Toutes les sociétés totalitaires sont fondées sur ce mouvement perpétuel, paranoïaque et culpabilisateur, de surveillance, de délation et de retournement.

Cette tour centrale oppressante, c’est aujourd’hui le chef, la république ou l’État, entouré de ses couches protectrices, autour de laquelle nous sommes tous isolés dans nos cellules individuelles, éclatées, post-modernes, attachés dans des cavernes platoniciennes à observer des ombres s’agiter sur un écran, loin de toute lumière, de tout beau et de tout bien. Condamnés à verser des larmes sur cette république oignonière.

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12 Comments

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  • Laure , 15 avril 2015 @ 16 h 08 min

    Et si les habitants de “l’oignon” décidaient, tout à coup, de faire comme si l’oignon n’existait pas ?
    Le simple fait de parler librement et publiquement, même en milieu supposé très hostile, sur le ton le plus assuré et le plus naturel du monde, de réalités condamnées par le centre de l’oignon peut avoir des effets tout à fait surprenants !
    La sidération opérée par “l’oignon” ne marche que si l’on accepte d’être sidéré. La moindre manifestation publique assumée de liberté intérieure réduit l’effet de sidération chez les témoins de la scène. Pour peu que l’évènement se répète assez souvent, la sidération tombe, au moins en partie.
    Oui, il est possible aujourd’hui de s’afficher catholique traditionaliste et militante nationaliste dans une fac de gauche (très très à gauche) sans réaction violente. Certains semblent même en profiter pour emboîter le pas…
    Testé, approuvé, pas près de m’arrêter ! 😀

  • Maurice , 16 avril 2015 @ 9 h 47 min

    Pas d’accord pour m’abstenir !

    Le vote blanc étant actuellement comptabilisé, il faut voter blanc pour manifester notre mécontentement, c’est par le nombre de bulletin blanc que nous verrons combien nous sommes à ne pas accepter leurs gestions. N’oublions pas d’aller voter avec un bulletin blanc, car il n’en a pas de mis à disposition, ce qui est paradoxal, car comptabiliser des bulletins non mis à dispositions

  • Thierry Theller , 16 avril 2015 @ 10 h 22 min

    Dans mon commentaire d’hier, (15 avril), j’évoquai les raisons abstentionnistes qui ont conduit une majorité de français (plus de 50%) à s’abstenir de voter pour un “Système” politique plus toxique que jamais. Mais un Système qui perdure pourtant… depuis plusieurs décennies.

    Or, F. Hollande, lui, a si bien compris les implications d’une démarche abstentionniste, qu’hier soir (15 avril) sur une chaîne de la TNT, il a déclaré vouloir rendre le vote obligatoire.

    Pourquoi ???… Que craint-il vraiment, si ce n’est une mise hors circuit d’une légitimité politique pourtant bien illusoire, tenu compte des scrutins réellement exprimés pour tel ou tel parti ?
    En tout cas, voilà une belle façon d’admettre et d’avouer que le « Système » ne craint ni les votes blancs ni les votes nuls.

    Et pour cause ! Ils ne dérangent en rien ses objectifs autoritaristes, tant nationaux que supranationaux !

    Encore moins sa “légitimité”… à continuer de soumettre les citoyens de France à la volonté hégémonique de quelques familles bancaires du complexe militaro-financier étasunien.

    En réalité à une soumission qui, en l’espèce, ne peut s’assimiler à autre chose qu’à de la servitude volontaire !

    C’est pourquoi, un coup de balai salutaire et démocratique s’impose. Il y a même urgence !…

    Vous avez dit abstention ?

    Alors, oui ! Encore une fois, oui ! Une Abstention massive, une et indivisible !

    https://www.google.fr/search?q=elections+piège+à+con

  • Psyché , 19 avril 2015 @ 20 h 37 min

    Une excellente revue de presse pour qui souhaite se renseigner sur le “Patriot Act” à la française en cours de préparation :

    http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-19-04-2015/

  • Psyché , 19 avril 2015 @ 20 h 40 min

    Bravo Laure pour vos commentaires à lire et à relire et à prendre comme ligne de conduite pour tous les justes qui se respectent !

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