Construire un projet politique pour changer de « système »

La récurrente question  du contenu du programme politique idéal et du candidat le plus adéquat pour le porter, se fourvoie presque systématiquement, pour ne pas dire automatiquement, dans l’impasse des règles du jeu qui régissent l’échiquier politique actuel. Ceci tient à de nombreuses raisons parmi lesquelles l’aveuglement n’est pas la moindre erreur d’aiguillage. Un aveuglement multiforme qui opacifie le regard sur la réalité du monde politique, l’internationalisation des idéologies et bien d’autres ramifications perverses, certes, mais d’abord sur notre propre complicité passive. Il n’est pas dans mon propos de dresser un réquisitoire contre ces complices dont je suis un des premiers collaborateurs. Mais pour affronter, en vérité, le problème qui se pose à nous, il nous faut, au préalable, connaître les liens que nous entretenons avec ce problème afin de mieux cerner notre propre dépendance et donc manque de liberté vis-à-vis de ce que d’aucuns appellent le système.

Le système

Permettez-moi avant tout de tordre le coup à ce fameux système énigmatique, cause de tous les maux et dont il faudrait se désolidariser pour mieux le condamner. Il n’y a pas de système. Ou plus exactement, tout est système et nous en sommes pleinement. Il n’existe pas de frontière entre le système et le « hors système ». Ce que certains stigmatisent, commodément, comme étant le système n’est que la composante ordinaire de notre vie. Qui se dit « hors système » ne fait que se positionner par rapport à lui, sans se défaire des cadres et codes normatifs de celui-ci. Il est primordial de comprendre que personne ne peut être hors du système. Et cette mise à distance, quasi freudienne, de ce « monstre anonyme » n’est qu’une manière de refuser les liens par lesquels tous nous sommes imbriqués dans ce fameux système. Nous pouvons être contre ce système, mais nous ne pouvons pas être en dehors, pour la raison simple que ce système est notre cadre de vie. Accepter cette évidence existentielle ne veut pas dire cautionner l’hydre étouffante. Cela signifie simplement reconnaitre que ce n’est pas depuis un « hors système » virtuel que nous pourrons combattre l’animal, mais bien de son ventre même. Plus encore, reconnaitre que, d’une manière ou d’une autre, nous sommes à l’intérieur du système, permet de nous interroger sur nos propres liens viscéraux avec lui. Cette étape est vitale parce qu’elle seule permet d’être libre. La liberté ici s’entend à deux niveaux. Le premier consiste tout simplement en la connaissance de nos dépendances. Qui n’est pas au clair sur les mécanismes et les entraves de sa vie n’est pas maitre de celle-ci. Il agit telle une marionnette activée bien malgré elle. En second lieu, est libre celui qui peut faire le choix de se désolidariser. Plus nous vivons du système, moins nous pouvons prendre le risque de le combattre, précisément parce qu’il nous tient. Le surendettement est un exemple parmi d’autre de cet esclavage qui empêche tant de personnes d’affronter la réalité du système. En fait, pour beaucoup d’entre nous, lutter contre le système signifie, consciemment ou non, scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Mais qui n’a pas à perdre à la chute du moribond systémique qui nous tient ? Politique, finance, économie, société, famille, tout est lié en un seul mouvement qui s’autoalimente tel le cœur d’un cyclone.

C’est cela précisément le système. Et il en va ainsi de tout système qu’il soit bon ou mauvais. Le problème n’est pas qu’il y ait un système, car ce que nous diabolisons sous ce terme n’est rien autre que le cadre de vie. Ce qui est néfaste tient aux racines de ce cadre de vie. C’est une lapalissade dont tout le monde n’est cependant pas conscient, au point que nous finissons par nous battre contre une ombre, la nôtre. Voilà pourquoi nous n’allons jamais au bout de nos démarches. La raison de nos atermoiements, de nos peurs politiques, comme de notre repli stratégique derrière le vote utile, trouve sa racine dans ce rejet indifférencié du bouc émissaire chargé de tous les maux, ce « système » banni hors du camp d’Israël, au désert, entendons hors de notre vue. Le bouc est au milieu du camp et indissociable de lui, tant que les racines ne seront pas atteintes. La gangrène du système nous touche tous et il est vain de vouloir la soigner en niant notre propre infection. Il s’agit d’une maladie du sang qui contamine tout le corps de l’intérieur et dont pas un membre ne peut se désolidariser.

Premier point donc, reconnaître que nous sommes dans ce système et que son sang coule dans nos veines. Ce constat salvifique permet de nous prémunir, autant que faire se peut contre notre propre dépendance vis-à-vis de lui. Pour lutter efficacement contre la contamination du fameux système, il faut être libre de lui au maximum, condition sine qua non pour un combat sans merci. Faute de quoi, et c’est humain, voire responsable, nous serons toujours tenu par une certaine peur parce que nos intérêts coïncideront avec ceux de l’ennemi. C’est ici qu’il faut chercher la complicité passive et l’aveuglement volontaire. Nous avons encore, matériellement, trop à perdre.

“Avoir une vision du monde est consubstantiel à la durée et à la pérennité.”

Aussi, le second point, après avoir pris conscience de notre imbrication vitale dans le système actuel, est d’œuvrer à notre désengagement en plaçant nos intérêts ailleurs. Mais cela est d’autant plus difficile qu’il n’y a pas d’ailleurs dans la mesure où le hors système est une construction de l’esprit. Tout cercle vicieux peut se briser, le « système actuel » comme les autres. La solution la plus réaliste consiste, finalement à le faire évoluer par glissements progressifs. A moins d’envisager une forme violente de transition (guerre, révolution, déflagration économique…) qui suppose d’avoir déjà prévu « l’après », il faut réorienter la barre du navire degré par degré. Or là nous nous trouvons face à un nouvel écueil, celui du temps.

Contre le « système », la révolution silencieuse : La nécessaire transition, de mieux possible en mieux possible

Le temps pose de nombreux problèmes parmi lesquels la patience n’est pas l’alliée la plus acquise. Nous voulons mener une guerre éclaire qui porte un fruit immédiat, rapide et surtout visible. Nous oublions le temps, la lourdeur du temps. Le monde dans lequel nous vivons, comme tout monde, est un immense paquebot, très lourd et très long qui ne se manœuvre pas aisément et dont la force d’inertie est réelle. Le faire virer d’un degré est déjà une victoire formidable. Nous devons intégrer cette donnée incontournable des petits pas. Cela suppose patience, humilité, persévérance et espérance.

Il ne s’agit pas de faire changer de cap un navire lancé à toute vapeur dans une direction précise, mais de reprendre les commandes d’un bateau à la dérive, ce qui signifie, avant tout autre chose, de lui donner un cap. Même si nous ne rejoignons ce cap qu’à travers tempêtes et longs errements, quand bien même ce serait à l’avenant, au jour le jour, la seule solution pour rejoindre un jour la terre ferme est de connaître la destination. Dans l’ordre politique cela s’appelle avoir une vision.

La vision est l’étape première qui agit comme la cause finale, c’est-à-dire celle qui attire tout à elle, qui aspire, en un même point focal, toute action. La vision est la boussole. Au milieu des atermoiements, des écueils, des avaries diverses et variées, des tempêtes qui peuvent détourner le navire, la vision est le point ultime de ralliement, l’étoile des bergers du véritable marin.  De multiples routes sont possibles pour rejoindre l’étoile. Lorsque la trajectoire est perdue, il est possible d’y revenir par divers voies.

Néanmoins, pour éviter d’errer sur les mers et de se perdre en glissant sans cesse d’un tracé à l’autre, il est préférable d’avoir anticipé sa feuille de route, c’est ce que l’on appelle le projet politique. Celui-ci a pour vocation de réaliser la vision. Il est un moyen, choisi parmi d’autres et pour de multiples raisons, pour conduire le navire à l’étoile. Le projet regroupe les points de passages nécessaires pour rejoindre la vision. Ancré dans la vision qui lui donne tout à la fois ses fondements et sa destination, le projet demeure conjoncturel, puisqu’il s’inscrit dans la durée et dans un temps donné. Il est par nature le lieu de la transition qui s’avance de mieux possible en mieux possible.

Or ces mieux possibles constituent le programme politique à proprement parler. Celui-ci n’arrive donc qu’en fin de course. Il se construit à vue, selon la feuille de route du projet politique ancré dans la vision. Bien qu’étant fortement conjoncturel, il suppose l’engagement dans le temps. Le temps donné à partir duquel il prend la mer pour entreprendre son long périple, mais aussi la durée qui impose de multiples relais et qui ne permet souvent qu’à Apollos de récolter ce que Paul a semé.

Cette révolution des profondeurs est lente à vue humaine, même si elle peut connaitre des moments d’accélération. Voilà pourquoi elle suppose de dépasser l’espace-temps du « candidat ». Pour s’enraciner dans la durée, elle doit s’incarner dans bien plus qu’un homme, fut-il providentiel. Le monde actuel (le « système ») refuse le temps et nous, avec lui, nous perdons l’allié le plus précieux qui soit pour notre cause. En nous réduisant à l’immédiateté, nous renions l’âme transcendante du temps et nous favorisons l’individualisme, le communautarisme et toute division privative. Avec l’immédiateté nous refusons la métaphysique au profit de la logique technique. Il est évident qu’en réduisant notre champ de bataille à hic et nunc nous ne préparons pas demain.

Avoir une vision du monde est consubstantiel à la durée et à la pérennité. Le temps n’est pas une succession de ruptures, à la différence du modèle prôné par le monde d’aujourd’hui. Après avoir pris conscience que nous sommes dans le système avec tous les liens que cela implique, il nous faut nous réinscrire dans la durée, c’est-à-dire dans l’infini. Ce sera là le premier pas de la transition, de notre glissement progressif d’un système à l’autre.

Si nous réussissons ce double mouvement d’identification de notre dépendance systémique et d’ancrage dans la durée, nous ferons alors le lien entre aujourd’hui et demain et nous cesserons de nous fourvoyer dans cette impasse que constituent pour nous les règles du jeu actuel.

> Cyril Brun anime le blog Cyrano.net.

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5 Comments

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  • André , 15 février 2016 @ 21 h 16 min

    Je viens de faire un petit montage vidéo avec l’actuel président. Je ne sais pas ce que ça vaut. Encore une fois ma vidéo pour la bande son est frappée de droits d’auteur, je ne peux donc pas la commercialiser. Si il n’y a que cela je m’en fous. Nous sommes dans une drôle de société, tout se vend tout s’achète. Même la plus simple gâterie:

    https://youtu.be/4vpVHgu3w_M

  • Cap2006 , 15 février 2016 @ 22 h 09 min

    Je partage cette position, qui fait de nous tous les serviles complices de notre etat.
    Nous profitons tous de l’assistanat clienteliste d’un etat hyper interventioniste.

    Tous les partis politiques défendent le maintien dans cette dépendance qui nous asservi, nous infantilise et leur donne un pouvoir.

    Choisir l’un plutot que l’autre se fait alors sur des détails, le plus souvent montés en épingle dans le jeu médiatique.

    Changer de systeme, c’est vouloir moins d’état, mon d’intervention moins de regles…. C’est aussi se prendre en main, plus de responsabililté individuelle et collective… Plus de courage.

  • Tite , 16 février 2016 @ 11 h 23 min

    Dans la république oligarchique et jacobine, point de salut…. quelque soit le numéro qu’on lui accole.

    Revenons à ce qui nous a fondés, soudés et permis de grandir :

    http://www.viveleroy.fr/Les-lois-fondamentales-du-Royaume,123

    C’est une URGENCE VITALE.

    Continuez de croire que votre hochet/bulletin de vote vous donne un pouvoir de changement équivaut à vous mettre une balle, non pas dans le pied mais hélas, dans la tête.

    Par contre, vous mettre un peu de plomb dans la cervelle, ne peut que vous être profitable et sauvera votre patrie et vos enfants.

    Réfléchissez bien. Bientôt, il sera trop tard. Je commence à penser que les Français sont désespérants et qu’ils sont responsables de ce marasme :

    La misère pour tous.
    L’esclavage pour tous.
    La mort pour tous ? Prenez votre destin en main !

  • ODE , 16 février 2016 @ 21 h 44 min

    passionnant. notons, dans cette inscription dans le temps long, le rôle de la culture, de la littérature, pour vous monsieur de la philosophie – rôle que les catholiques et apparentés continuent à minimiser.
    prenons comme exemple les socialistes, les marxistes. le XIXe siècle semble plein de leurs défaites, les Républiques les unes après les autres se sont cassé la figure, à chaque fois ce qu’ils appelaient la “réaction” a repris le dessus. Ils ont continué le combat, ils étaient dans un temps mythique, on leur promettait l’âge d’or de l’ouvrier. Zola et d’autres se sont mis de la partie, avec un tel talent qu’aujourd’hui encore on pleure en lisant l’Assommoir, Germinal, on frémit devant La Bête humaine, et on se dit en lisant encore d’autres romans que les républicains étaient des héros et les conservateurs de vrais trouillards.
    Quelle force dans le discours! Quelle conscience de n’écrire pas pour soi mais pour une cause, pour une histoire longue!!
    Et aujourd’hui, malgré les grands totalitarismes socialistes du XXe siècle, cette vision a vraiment gagné! Qui n’est pas convaincu de tout ce que disait Zola, de tout ce que pensent les marxistes, de leur vision du monde? Ils ont investi la culture, les media, tout en sachant plaire. Quand peu à peu leur pouvoir devient aussi autoritaire et même plus, que celui de ce fameux Napoléon III, nous voilà bien démunis… Que faire? Nous avons tant accepté… Qui sera notre Zola, notre héraut?
    Quelle force nous pousse, et comment montrer et dire qu’elle est juste, alors qu’aucune considération ne nous est donnée? Oui, quelle est notre vision? Une visions unificatrice, une vision pour un pays? C’est si difficile à l’heure de l’internationalisme, et surtout à l’heure où la liberté d’expression est tellement bafouée… Mais d’autres, défendant d’autres idées, y sont arrivés. Avec le temps. Avec l’énergie, toujours renforcée, décuplée dans les livres et les media du temps. Pourquoi pas nous?

  • françois pignon , 19 février 2016 @ 13 h 37 min

    La France s’est construite doucement malgré des épisodes violents dans son Histoire. En effet le temps long est notre meilleur allié. Les choix que les Français ont faits par le passé s’inscrivaient dans la durée. Avec bon sens et en Bons père de famille pour reprendre la formule consacrée.
    Le rythme effréné, consumérisme de l’immédiateté et d’individualisme égoïste que l’oligarchie financière veut nous imposer. Fait de nous de pauvres marionnettes stressées poussées aux achats compulsifs de l’inutile et de l’éphémère de simples pions sur l’échiquier des Marchés bousiers.
    Il faut donc symboliquement s’assoir et réfléchir “un peu”.
    Allons-nous continuer à courir, nous agiter dans tous les sens en oubliant tout simplement de vivre? sacrifier le temps qui nous est imparti dans cette vie terrestre au seuls profits d’une hyper classe des 1 % . et au détriment de sa famille, de ses enfants et de ses Amis !.
    le constat aujourd’hui est que les “vrais” gens , les 99% , ceux du quotidien ne maitrisent plus du tout leur destin. les choix sont faits pour eux par cette caste oligarchique qui nous gouverne en nous faisant croire que nous sommes en démocratie et que nous sommes souverains! c’est un leurre, une escroquerie qui dure depuis plus de 200 ans ! Mais 200 ans ce n’est rien comparés aux 1500 ans de l’histoire de FRANCE. Il faut donc revoir la copie et reprendre notre destin en mains. OUI NOUS LE POUVONS! Le PEUPLE SOUVERAIN LE PEUT! Mais le système va se défendre! Alors seul le nombre fera la différence! il faut prendre au jeu démocratique les traitres politiques qui verrouillent nos institutions ! par le vote qui , lorsqu’il est supérieur à plus de 50% obtient le pouvoir démocratique . or actuellement plus de 50 % des Français ne vont plus voter sans parler de ceux qui ne veulent même pas s’inscrire. Soit 60% des votants possibles. ce sont eux ces Français écœurés et lucides (la majorité silencieuse) qui représentent le PREMIER PARTI DE FRANCE. Ce sont donc ceux là qui doivent retrouver l’espoir d’une Démocratie participative décomplexée. c’est grâce à eux que nous pourrons chasser du pouvoir tous ces parasites anti-FRANCE qui détruisent tous les piliers séculaires de notre Nation, de notre civilisation.
    La première des batailles à mener c’est la modification de la constitution. SEUL le PEUPLE peut écrire sa constitution pour le Peuple, car si vous laissez les professionnels de la politique l’écrire alors n’ayez aucun doute qu’ils ne l’écrieront que pour leurs intérêts personnels et des lobbys qu’ils représentent.
    Obligeons les futurs candidats présidentiels à inscrire dans leur Programme la modification de la constitution afin que dés le début de leur mandat. Une assemblée constituante issue de patriotes Français tirés au sort puisse élaborer une constitution redonnant la réelle Souveraineté au Peuple.
    Sinon, Continuez à raller et refaire le monde ! Rien ne changera et nous irons encore plus vers l’esclavage bankstère dans un monde totalitaire et violent à la ORWELL.

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