Le Brexit libère les Européens plus que les Britanniques

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Les Britanniques vont-ils choisir le Grand Large ? La purée de pois qui illustre leur particularité climatique a envahi leur atmosphère politique. Le référendum qui aura lieu dans quelques jours ne ressemble pas à une votation suisse où l’on prend le temps d’opposer de manière équilibrée des arguments rationnels. Les sondages semblaient favorables à la sortie quand l’assassinat d’une députée travailliste très engagée pour le maintien paraît avoir retourné l’opinion. S’agit-il d’un crime politique commis par un nationaliste au cri de « Britain first » ou de l’acte d’un déséquilibré poussé à l’acte par l’exacerbation du débat ? Il a manifestement agi seul, comme Breivik en Norvège, et son acte est tellement contraire à l’objectif visé, qu’il ne peut émaner d’un homme sain d’esprit ou doté d’une intelligence moyenne. Au mieux, c’est un crétin.

Le vote va donc dépendre davantage de l’affectif que du rationnel. Les Britanniques qui ne voudront pas dénoncer le meurtre et rejeter le meurtrier en choisissant l’Europe, le feront sous l’empire de la crainte du changement, et des calamités économiques et fiscales annoncées par les partisans du maintien. La superbe insularité du Royaume-Uni qui enflamme au contraire les partisans du Brexit continuera à les encourager à prendre le large puisque c’est dans cette direction que les Anglais ont conquis leur place dans l’Histoire, pendant un bon siècle la première dans le monde. Pour eux, la séparation ne pourra que condamner le continent à l’isolement et au déclin. Rule, Britannia ! Britannia rule the waves !

On peut évidemment sourire de cette outrecuidance, mais est-elle si absurde ? La langue anglaise s’est imposée comme la première du monde, notamment pour les échanges économiques, scientifiques et techniques, voire diplomatiques. Elle envahit le continent et ses institutions. Elle submerge petit-à-petit la publicité et l’information françaises. Les anciennes colonies sont devenues des puissances liées encore soit par la reconnaissance de la Reine comme Chef de l’Etat nominal, soit par la grande proximité des cultures et des mentalités puisqu’elles comprennent plus de colons que de colonisés, soit par leur appartenance au Commonwealth. Le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde, le Pakistan, l’Afrique du Sud, le Nigéria, et les Etats-Unis eux-mêmes, et la longue liste des Etats moins riches jusqu’aux confettis qui sont autant de paradis fiscaux, enfin des pieds bien placés dans le monde sino-asiatique avec Singapour et Hong-Kong, constituent un réseau à nul autre pareil. Dans le partage du monde aux XVIIIe et XIXe siècle, la Grande-Bretagne s’était octroyée la meilleure part, de très loin.

Le Royaume pourrait-il donc survivre au désarrimage ? Il a toujours veillé à préserver une situation privilégiée. Il a conservé sa monnaie, et on remarquera d’une manière générale que la croissance a été plus forte pour les Etats de l’UE restés en dehors de l’Euroland. Il n’a pas non plus adhéré à Schengen. Il a en revanche bénéficié des aides structurelles européennes pour le développement des régions périphériques et des villes sinistrées par la désindustrialisation, tout en obtenant grâce à l’acharnement de Maggie un rabais de sa participation au budget européen (6, 3 milliards d’Euros en 2015). Gagnant sur tous les tableaux, il pourrait effectivement perdre à quitter l’Union. L’Ecosse pourrait en profiter pour s’émanciper. Les échanges devenant plus compliqués avec le continent, des entreprises pourraient choisir d’autres lieux fiscalement attirants mais encore dans l’Union, l’Irlande, par exemple. Son commerce extérieur pour lequel l’Europe représente 44% des échanges pourrait s’en ressentir, la City, privée des passeports européens pourrait vaciller, la monnaie risquerait de s’effondrer. Les instances officielles comme le FMI, la Banque d’Angleterre, l’OCDE formulent des pronostics pessimistes. Cette perspective pourrait coûter 9% du PIB à l’horizon 2030. Mais ces arguments brandis par les Européens pour pousser les Anglais à rester membres de l’Union se heurtent à trois lignes de défense. La première est celle des libéraux qui tablent sur un allègement des charges et des contraintes européennes qui favorisera la compétitivité britannique dans une économie mondialisée où la place du Royaume-Uni est de toute façon exceptionnelle stratégiquement. La seconde repose comme ailleurs en Europe sur la défense d’une identité menacée par la circulation des personnes et non par celle des marchandises. C’est sans doute la plus puissante auprès des électeurs, mais la plus discutable. Les Français se chargent de restreindre les entrées de migrants en Grande-Bretagne. Les travailleurs européens constituent en revanche un apport à l’économie britannique qui explique le brexit populaire et la réticence des milieux économiques. Mais, comme le montre la récente élection du Maire de Londres, le remplacement de population continuera de se faire à partir du Commonwealth, avec ou sans Union Européenne. Enfin, après deux ans de flottement, il faudra trouver un accord qui pourrait mettre le Royaume dans une situation analogue à celles de la Norvège ou de la Suisse qui sont loin d’être épouvantables.

En fait, quelque soit le choix des Anglais, le plus incompréhensible est l’acharnement des Européens à vouloir qu’ils restent. La présence d’un porte-avions anglo-saxon dans notre port est un obstacle à l’indépendance d’une politique européenne qui, depuis des années, s’aligne sur celle des Etats-Unis, que les Britanniques, travaillistes ou conservateurs, suivent comme leur ombre. Une Europe davantage identifiée au continent pourra se tourner à nouveau vers l’Est où le risque communiste a disparu. Surtout le choc provoqué par le départ pourra susciter une refonte des institutions, un abandon de l’utopie fédérale qui depuis Jean Monnet veut en finir avec les identités nationales au profit d’une mondialisation qui ne pouvait qu’être dominée économiquement et culturellement par les Anglo-saxons. Le libre-échange des produits et des services ne doit pas aboutir au nivellement des différences et des mentalités, à la disparition d’Etats qui par une action confédérée ont encore largement les moyens de peser sur l’Histoire. Le Brexit pourrait libérer l’Europe davantage encore que l’Angleterre.

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16 Comments

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  • 0 / 10
  • ras le bol , 22 juin 2016 @ 9 h 35 min

    Il est intéressant de lire l’article du Daily Beast sur ce sujet.
    http://www.thedailybeast.com/articles/2016/06/22/brexit-will-be-britain-s-fourth-of-july.html

    ” Of course, prevailing progressive opinion on both sides of the Atlantic embraces central control, often in the form of favor of a “technocracy” determining energy, economic and land use policies. If the technocrats get their way, we can expect policies aimed at limiting the mundane pleasures of the middle class such as affordable electricity, cheap air travel, cars, and single-family housing.

    Ce qui laisserait entendre, ce qui a déjà été voté à Bruxelles pour les logements, que la politique européenne consiste à supprimer la qualité de vie des européens à travers la politique économique, l’utilisation des terres, l’énergie/électricité abordable, limitation des “plaisirs/loisirs” fin des voyages aériens pas chers, voiture et habitation “unifamille” !!!

    A bonne entendeur !!!
    Vive le Brexit !!!

  • ras le bol , 22 juin 2016 @ 9 h 37 min

    Désolé pour la faute

    “A bon entendeur”

    Je rappelle que Touraine dans une interview chez Bourdin avait déjà insinué que les Français n’avaient pas besoin de posséder une voiture.

  • borphi , 22 juin 2016 @ 11 h 12 min

    C’est pas sûr que le Brexit libère davantage les européens que les Anglais.

    Parce que s’il est vrai qui si un souffle de liberté couvrira l’Europe.
    Il aussi avéré que ce souffle de liberté couvrira les Anglais en tant que résidents d’Angleterre et que les Anglais profiteront une seconde fois de celui-ci en tant que géo-politiquement européens.

    Le Brexit , c’est gagnants…..gagnants.

  • Charles , 22 juin 2016 @ 13 h 18 min

    Le Brexit, c’est le grain de sable dans la machinerie germanoslamiste de berlin
    qui veut broyer toute forme de résistance aux forces de l’empire.
    Quelque soit le résultat, les forces farces de l’empire ont déjà perdu.
    Si le Brexit perd, la frustration sera immense dans le camp des brexit,
    bien plus motivés et dynamiques que les eupetistes enfantins.
    Les perdants du 23 Juin, se vengeront lors des prochaines élections
    avec un systéme électif à un tour qui donnera l’avantage aux Brexit.

    Si le Brexit gagne (ce dont je doute compte tenu des moyens de l’empire)
    alors ce sera le commencement d’une réaction en chaîne chez ses voisins,
    en commençant par les Hollandais, et les Danois.
    De toutes manières la donne a déjà changé le jeu politique en UERSS.

  • eric-p , 22 juin 2016 @ 13 h 59 min

    100% d’accord avec Charles.
    Même si le camp du “in” l’emporte, le climat politique , économique et social continuera de se dégrader au fil des ans
    et les partisans du “Leave” ne tarderont pas à réclamer un nouveau référendum et le climat au sein de l’UE s’en ressentira.

    Dans une volonté d’apaisement général, l”UE aurait plutôt intérêt à négocier la sortie d’un pays qui n’aurait jamais dû rentrer
    dans ce “grand machin”.

  • hermeneias , 22 juin 2016 @ 14 h 58 min

    “Retournement de l’opinion après l’assassinat d’une député britannique”

    C’est ce que les libérals , les médias , et la mafia pro UE veulent croire et nous faire croire , tentant ainsi d’utiliser un curieux , très curieux , “fait divers” sans HONTE sans SCRUPULES et sans VERGOGNE .
    Cela montre bien que cette mafia pro UE est une bande de salopards finis probablement achetée par de l’argent bien poisseux qui sent le pétrole et les loukoums

  • hermeneias , 22 juin 2016 @ 15 h 06 min

    Donc pas sur DU TOUT qu’il y ai , comme ça par “enchantement” d’un coup de couteau et un clin d’oeil , un retournement de l’opinion !
    C’est faire bien peu de cas de l’opinion des gens , du peuple . Ou encore prendre les gens pour des c…..

    Mais ce qui est SUR C’EST QUE la grosseu PROPAGANDA marche à plein régime et continue et veut essayer par une sorte d’électrochoc , d’inverser le “momentum” , l’élan et la tendance EN FAVEUR DU BREXIT …

    Il faut , en effet , se TIRER du TITANIC , du bateau ivre , du vaisseau fantôme , de l’UE

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