Piketty s’est planté, mais ses groupies n’en ont cure

Et pendant que la France palpite sur les rythmes endiablés d’élections passionnantes, le monde continue à tourner tranquillement. Les riches continuent de s’enrichir, et les pauvres de … De… Eh bien justement, on ne sait plus. Dernièrement, les minutieuses recherches menées par Thomas Piketty permettaient d’affirmer qu’à mesure que le capitalisme se développait, les inégalités augmentaient. Cependant, plus les confrères économistes se penchent sur les travaux du Français devenu subitement à la mode, moins les belles certitudes tiennent. Pire : il semble que le petit Thomas lui-même admette s’être quelque peu fourré un doigt dans l’œil.

Pour situer le débat qui, pour une fois, ne patauge pas dans la fange politique habituelle, rappelons que notre Thomas national est ce chercheur mondialement connu, mondialement discuté, mais assez peu lu, une sorte de E. L. James de l’économie avec une version sulfureuse de « 50 shades of capitalism », et dont la hontectomie, pratiquée fort jeune, lui a permis de réaliser sans la moindre gêne la chronique élogieuse d’un livre … dont l’auteur n’est autre que sa femme. Et accessoirement, Piketty est donc l’auteur de cet ouvrage qui a placé son nom dans la cour des grands et qui l’a donc propulsé dans le 1% les plus riches qu’il voulait absolument agonir d’impôts.

Et dans son imposant ouvrage de plus de 1000 pages, « Le Capitalisme au XXIème Siècle », Piketty s’est employé à formuler plusieurs lois générales sur le capitalisme, destinées à expliquer le passé et éclairer l’avenir, si tant est qu’une théorie parvienne, même imparfaitement, à réaliser cette prouesse.

Pour l’auteur, une des lois fondamentales serait r>g, où r est le taux de rendement du capital (intérêts, dividendes, royalties, loyers, plus-values financières et immobilières…) et g, la croissance économique, dont dépend la progression des revenus du travail. Autrement dit, pour Piketty, le capitalisme entraîne intrinsèquement que les revenus des placements croissent plus vite que les salaires et qu’en conséquence, il est plus facile pour un capitaliste de faire grossir son patrimoine (ce qui suppose d’en avoir un au départ, bref, d’être rentier) pour l’envoyer au paradis fiscal que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille financière et obtenir le même résultat par son seul travail. Eh oui, pour le brave Thomas, point de salut dans le monde capitalistique si l’on n’hérite pas.

Une telle thèse ne pouvait pas laisser de marbre les millions de socialistes que le monde capitaliste nourrit pourtant généreusement, d’autant que l’économiste, dans son livre, en profite pour fournir quelques solutions clefs en main, solutions qui, comme par hasard, consistent essentiellement àtabasser taxer les riches (parce que c’est aussi ça, la Magie du Socialisme™, qui permet de toujours résoudre tous les problèmes en augmentant les impôts, les taxes, les ponctions, les redevances, les accises, les prélèvements et les cotisations). Logiquement, le succès quasi-instantané de sa thèse a forcément poussé pas mal de chercheurs du domaine à se pencher sur la question.

Rapidement, des soucis, plus ou moins gros, ont été décelés. C’est dans les données, par exemple, que le Financial Times a trouvé quelques bévues. Plus récemment cependant, une étude de décembre 2014, par Acemoglu et Robinson, s’est attardée sur la fameuse équation pikettysienne (le r>g de tout à l’heure) pour vérifier la corrélation historique des deux variables (de r-g dans le cas qui nous occupe) avec la richesse du dernier centile (le 1% le plus riche). Petit souci pour l’économiste français : au mieux, cette corrélation est négative. Patatras, le soufflé de Piketty s’effondre.

C’est assez gênant, et pas seulement parce que cela finit par se savoir, même si, chauvinisme oblige, les Français seront probablement les derniers au courant. Il faut dire que les thèses de Piketty servent maintenant de base rhétorique pour toute une troupe de groupies enfiévrées qui font tout pour pousser les politiciens vers les solutions prônées par l’économiste « prodige », à base d’impôts sur les riches et d’asphyxie des rentiers par la taxation. Au passage, cette méthode et l’audience obtenue de ces propositions n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé lors de la sortie du livre de Keynes et qui avaient eu le bon goût de favoriser la mise en place de politiques de dépense publique désastreuses dans les années 30.

Et malheureusement, ça « marche » (i.e. les leaders politiques écoutent, alléchés par une telle aubaine). Je passerai pudiquement sur le président français dont la taxe à 75% et ses résultats globaux montrent toute l’ineptie de l’interprétation qui est faite des travaux de l’économiste français, mais force est de constater qu’il a maintenant l’oreille attentive d’un nombre considérable de dirigeants qui trouvent là une excuse de 1000 pages pour leurs propres turpitudes fiscales.

Cependant, à mesure que le temps s’écoule, le Thomas Piketty de 2015 n’est plus vraiment d’accord avec le Thomas Piketty de 2014. Et cela se voit tant qu’il est obligé de s’aménager, en serrant les dents, quelques marges de manœuvre sur ses propres thèses. Comme le rapporte en effet un article du Wall Street Journal, Piketty est maintenant obligé de calmer ses exégètes, un peu trop emportés par le mouvement général. Il écrit ainsi :

« Par exemple, je ne vois pas « r > g » comme le seul ou même le principal outil pour étudier l’évolution du revenu et de la richesse au 20ème siècle, ou pour prévoir le chemin suivi par les inégalités au 21ème. Les changements institutionnels et les chocs politiques (…) ont joué un rôle majeur dans le passé, et il en sera de même probablement dans le futur. En outre, je ne crois pas que « r > g » soit un outil pratique sur le sujet de l’accroissement des inégalités par le revenu du travail : d’autres mécanismes et d’autres politiques sont bien plus pertinentes ici, comme par exemple l’offre et la demande de compétences et d’éducation »

En Français plus basique, cela pourrait se traduire par : « Pohpohpo, fouyaya, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, ne vous emballez pas, n’en jetez plus, j’ai bricolé un petit truc sympatoche qui montre des choses amusantes mais ne vous montez pas tout le bourrichon pour ça, hein, merci. » En gros.

Si, pour le moment, on peut encore attendre un peu avant que Piketty revienne complètement sur ses affirmations, de plus en plus battues en brèche tant au niveau des données, sujettes à caution, que de son modèle, qui ne colle pas à la réalité (au point qu’un étudiant du MIT a récemment pu se payer sa fiole à peu de frais), que de ses recommandations, dont on a déjà pu sentir qu’elles envenimaient les problèmes plutôt que l’inverse, on peut au moins reconnaître que l’économiste fait l’effort de ne pas jeter de l’huile sur le feu.

Il serait temps, maintenant, que ses fans en prennent acte. Quelque chose me dit qu’en France, on va pouvoir attendre un petit moment.

> H16 anime un blog.

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8 Comments

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  • Laurent , 26 mars 2015 @ 14 h 32 min

    Si j’ai bien compris, il dit qu’une personne avec 1 milliard en banque et les conseils avisés d’un banquier avec de bons placements permettent à cette personne de gagner plus par mois sans rien faire de la journée qu’une personne travaillant 50h par semaine à Macdo.
    On voit très bien ce phénomène avec les familles travailleuses pauvres, qui se retrouvent à la soupe populaire malgré un emploi, et les héritiers de 2ème ou 3ème génération sans le génie de l’ancêtre qui a monté la boite qui ont une vie dorée et arrivent à maintenir une société (bonne délégation du pouvoir, ou juste assez bon pour garder les acquis de la boite).
    L’héritier, va gagner plus dans sa vie que le travailleur pauvre à travail et compétence dans son travail égal. Il est même possible, avec une bonne préparation de la part du père, l’enfant ait une rente régulière généreuse sans rien faire tout sa vie.

    Maintenant, comme tout les scientifiques, il met en avant un des effets mais il rappelle qu’il faut remettre dans le contexte. Faire la somme de tout les effets.
    Tout comme les scientifiques ont prouvé que la clope a des effets importants contre Alzheimer, mais aucun médecin ne donnera une prescription de fumer pour autant. Parce que le bénéfice contre cette maladie nerveuse est très largement éclipsé par les petits soucis qu’on les fumeurs.
    Tout comme les chercheurs mettent en avant des dizaines d’effets indésirables, parfois graves, aux médicaments ou même au pain, mais font un bilan global et mettent en perspective avec le ratio gain-perte, et le ratio importance/probabilité.
    Ça fait partie de la recherche scientifique, et la lecture d’une thèse sans son contexte mène à de fausses conclusions.

  • jérôme conrad , 26 mars 2015 @ 16 h 21 min

    Merci H16 de dégonfler la baudruche Picketty. Moi qui ai hérité une petite fortune, je profite de l’argent honnêtement gagné à la sueur du front des ouvriers de mon père, et je ne vois pas de quel droit on m’en priverait.

    Vive le capitalisme !

    Vivent les riches !

    Et que les pauvres se sortent les doigts du cul plutôt que de se vautrer dans le caniveau de la pauvreté.

  • citoyen de france , 27 mars 2015 @ 7 h 47 min
  • Jean-Michel Thureau , 27 mars 2015 @ 11 h 57 min

    Les causes susceptibles de creuser l’écart entre les riches et les pauvres ou de diminuer cet écart, sont nombreuses et variées (progrès de productivité, monopoles, trusts, interventionnisme étatique, manipulations monétaires, dysfonctionnements du système éducatif etc).

    En supposant que l’écart entre riches et pauvres s’accroisse, ce qui, si j’ai bien compris, n’est pas établi, il n’est pas sûr que les “capitalistes” en soient les seuls responsables. Une telle affirmation paraît même plutôt simpliste.

    Ainsi, par exemple, l’inflation monétaire, phénomène “étatiste”, s’il en est, appauvrit les petits épargnants et enrichit les gros emprunteurs. De même lorsque l’état alourdit les impôts et multiplie les réglementations, il plombe la gestion des entreprises et donc crée du chômage, dont sont particulièrement victimes les petits.

    Aujourd’hui en France il y a 3,6 millions de chômeurs de catégorie A. Et quand il y a 3,6 millions de chômeurs de catégorie A, il y a autour de 10 millions de victimes : sans travail, sans domicile, exclus, travailleurs pauvres etc. Et il ne fait aucun doute que cette situation résulte essentiellement de politiques étatiques perverses.

    Pour plus d’infos : http://www.revolutiondemocratique.com

  • maginet , 27 mars 2015 @ 13 h 54 min

    Un bobo , de gauche , qui s’en met plein les poches j’ai écouté son discours à la télé , un qui profite de la bêtise humaine, mais invité chez Ruquier, et qui a fait le bonheur de l’autre grand idiot Caron, mais tout ce beau monde pourquoi n’invite pas les élus du FN comme Marine ou Floriant , nous aurions un débat peut être plus intéressant, il a dit vouloir partager sa fortune alors un humoriste lui a dit de financer son spectacle ” pas de réponse de ce grand tchatcheur

  • Laurent , 27 mars 2015 @ 22 h 52 min

    ——
    En supposant que l’écart entre riches et pauvres s’accroisse
    ——
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_milliardaires_du_monde
    Suffit de regarder le nombre de milliardaires et leurs richesses. Et je pense que l’évolution de leurs gains est nettement supérieur à l’inflation ou la croissance mondiale.
    Et l’accroissement de leurs richesses n’est certainement pas dû à leur travail personnel récent, mais bien aux performances de leurs entreprises, entreprises créées par eux-mêmes longtemps avant, ou héritées, ou achetées. Donc au travail des milliers de personnes de ces entreprises et des entreprises partenaires.

    ——
    Ainsi, par exemple, l’inflation monétaire, phénomène « étatiste », s’il en est, appauvrit les petits épargnants et enrichit les gros emprunteurs.
    ——
    L’inflation n’enrichit pas les emprunteurs. Cela permet de réduire leurs dettes proportionnellement au coût de la vie.
    L’homme le plus pauvre du monde, c’est Kerviel avec ses 4 milliards de dette. Pas le petit Africain qui va mourir de faim qu’en vous lirez mon commentaire.

    Les plus riches gagnent de l’argent avec leurs salaires, leurs actions et leurs stock-options. Mais le salaire est très souvent marginal dans leurs revenus (100 000E par mois ? C’est pas avec cette broutille qu’on devient milliardaire). Si les stock-options et actions permettent de devenir milliardaires, les plus riches sont donc des capitalistes.

    ——–
    De même lorsque l’état alourdit les impôts et multiplie les réglementations, il plombe la gestion des entreprises et donc crée du chômage, dont sont particulièrement victimes les petits.
    ——–
    Faire chuter les performances d’une grande entreprise plombe surtout les finances des propriétaires de l’entreprise. Plomber une petite entreprise ne plombe pas un riche, mais un patron. Patron ne veut pas dire riche.
    Et l’état avec l’argent, normalement s’en sert pour payer des fonctionnaires ou fournir des aides, ou lancer des chantiers (un petit rond point ?), ce qui donne du travail souvent aux petites entreprises locales et pas aux milliardaires.
    Les fonctionnaires et ceux recevant des aides sont pas milliardaires. Donc on a bien un transfert riche -) pauvre avec l’état.
    De toute manière, nous devons avoir un état, des dépenses, des rentrées d’argent. Mais l’important est de ce qui est important à faire, et ou prélever l’argent pour faire le moins de mal possible à l’économie.

    Les riches riche grâce au travail n’ont que quelques centaines de millions (footballeurs, acteurs, chanteurs, et autres stars). Même les créateurs de start-up ne deviennent riche que lorsqu’ils font entrer leurs entreprises dans le monde capitaliste en la revendant ou en boursicotant avec, donc que lorsqu’ils deviennent capitalistes.

  • Jean-Michel Thureau , 28 mars 2015 @ 10 h 13 min

    Bonjour Laurent

    1) Si j’ai écrit “en supposant que l’écart entre les riches et les pauvres s’accroisse”, c’était parce que je n’avais pas étudié la chose.

    Il est possible que vous ayiez raison. Ça serait quand même à vérifier vu la diversité des mécanismes à l’oeuvre (progrès de productivité etc). La situation peut aussi être différente d’un pays à l’autre, d’une période à l’autre.

    2) L’inflation monétaire

    Là je persiste. L’inflation monétaire est (si l’on excepte les faux-monnayeurs privés) un acte purement étatique. Qui a pour motivation d’effacer les dettes de l’État (c’est à dire de les faire payer par d’autres). Et par conséquent il y a bien des gens que ça appauvrit.

    Le crédit ayant pour principe de financer de gros emprunts avec de la petite épargne, ce sont plutôt les petits qui sont perdants. En moyenne, avec des exceptions (Kerviel ?)

    3) Entreprises

    Quand l’État augmente les impôts et les formalités —>

    – les grosses entreprises délocalisent

    – les petites réduisent la voilure ou disparaissent

    Il est incontestable et public que depuis quelques septennats/quinquennats la France a détruit des emplois

    Qui sont les victimes ?

    4) Capitalisme

    C’est compliqué, même la définition n’est pas simple à énoncer. En supposant ce problème résolu, je serais tenté de dire que le capitalisme c’est comme le cholestérol : il y a le bon et le mauvais.

    5) Etes-vous allé faire un tour sur mon site ?

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