Théorie du genre : Vers un nouvel obscurantisme

La généalogie de la théorie du genre

Il est assez facile d’établir la généalogie de ce que l’on pourrait appeler en toute rigueur « les théories du genre », car elles présentent des différences, dues à des divergences d’intérêt entre les différents lobbies et à des effets générationnels (elles s’expriment depuis plus de soixante ans). La théorie queer est la plus aboutie et la plus extrémiste. Cependant, le noyau de ces théories est suffisamment cohérent pour autoriser que l’on parle de « la théorie du genre ».

Dans les années 1950, John Money, néo-zélandais, crapule pédophile et responsable du suicide de son cobaye humain, travaillant sur des personnalités transsexuelles, découvre que chez ces personnes, le sexe subjectif, fantasmé, prend le pas sur le sexe objectif, biologique. Dans le cadre de la Gender Identity Research Clinic qu’il a fondée en 1954, Robert Stoller étudie et traite des patients qui présentent des anomalies biologiques (les hermaphrodites), ainsi que ceux qui ont une constitution physiologique normale (les homosexuels, les travestis, les transsexuels).

Le terme “genre” fut introduit dans le champ d’études féministes en 1972, par la sociologue féministe britannique Ann Oakley. L’entreprise féministe de « dénaturalisation du sexe » trouve son origine en France avec Simone de Beauvoir, dont l’affirmation : « On ne naît pas femme, on le devient» est devenue célèbre.

Deleuze et Guattari, philosophes français, publient en 1972 L’anti-Oedipe qui vise à démontrer que la psychanalyse n’a pas d’objet, puisque tout est déterminé par la société. Ce bouquin, d’une médiocrité intellectuelle confondante, a été mal reçu en France, mais accueilli de façon enthousiaste par des universitaires américains dans le cadre de ce qu’ils appellent la « French Theory », où l’on retrouve aussi d’autres auteurs post-soixante-huitards, certains tout à fait honorables.

Selon la théorie queer (auto-dénomination revendiquée avec fierté, tirée de queer en anglais : louche, tordu et en argot : tapette), apparue au début des années 1990 aux États-Unis, et qui représente actuellement le fer de lance de la théorie du genre, la revendication de l’égalité entre les deux sexes suppose encore une différence entre eux, ce qui entraîne inévitablement l’inégalité et donc la domination de l’homme sur la femme. Judith Butler, américaine, en 1990, lesbienne militante, qui a donné aux homosexuels la légitimation « scientifique » dont ils avaient besoin, propose dans son ouvrage Trouble dans le genre; pour un féminisme de la subversion (2005) le travestissement comme notre vérité à tous. Les théoriciens queer dénoncent l’ « hétéro-sexisme » des discours sur la différence. Ils critiquent l’idée préconçue d’un déterminisme génétique de la différence sexuelle et veulent repenser les identités en dehors de ce clivage binaire entre les humains. La théorie queer entreprend donc la déconstruction de la représentation « stéréotypée » du corps sexué véhiculée par la société. Selon Monique Wittig, « il faut détruire politiquement, philosophiquement et symboliquement les catégories “d’homme” et de “femme”. Il n’y a pas de sexe, c’est l’oppression qui crée le sexe et non l’inverse» (discours du 6 mai 2011).

On assiste donc à la conjonction d’intellectuels anti-freudiens français, de féministes américaines ou françaises et de chercheurs anglo-saxons liés de près ou de loin aux lobbies homosexuel et transsexuel. Ajoutons à tout cela le contexte du puritanisme calviniste américain qui déconsidère le sexe. Pour les pisse-froid puritains, désexualiser les relations homme-femme est pain bénit (c’est la cas de le dire). Une société aux sexes indifférenciés, c’est le paradis sur terre. Rappelons-nous ce que Freud a dit quand il a appris que la psychanalyse s’implantait aux USA : « je leur apporte la peste ». Les intellectuels américains pétris de puritanisme (même quand ils se disent athées) ont réagi brutalement à cette agression en déligitimant le freudisme par le genrisme.

L’instrumentalisation linguistique de la théorie du genre

Les théoriciens du genre (les genristes) expliquent qu’il faut parler de genre plutôt que de sexe, puisque le sexe est un concept purement physiologique. Sauf que le genre existe bien en tant que concept depuis les grammairiens du XIIIe siècle. Il s’agit d’un concept grammatical. Une table est du genre féminin. Une femme est du sexe féminin. On admirera l’habileté des genristes avec ce tour de passe-passe génial, car à notre époque, le mot c’est la chose. Toute la publicité moderne est fondée là-dessus.

“La théorie du genre postule que l’être humain existe avant tout déterminisme préalable, en quelque sorte comme un ange. Mais alors que l’essence spirituelle de l’être humain ne concerne que l’Au-delà dans le christianisme, dans l’essentialisme athée (ou agnostique), l’essence temporelle de l’être humain concerne le monde dans sa matérialité. On peut dire que l’essentialisme est une sécularisation du christianisme, autrement dit un christianisme devenu fou.”

Les genristes prétendent (sauf les queers qui parlent bien de « queer theory ») qu’il n’y a pas de théorie, mais seulement des « études de genre », de simples réflexions s’appuyant sur d’improbables expérimentations et statistiques. On oublie qu’aux USA, « studies » est synonyme de ce que le Européens continentaux appellent des théories. L’empirisme anglo-saxon déteste les mots comme « théorie » qui leur semble trop prétentieux et trop formalistes.

La théorie du genre (le genrisme) est un essentialisme

Elle postule que l’être humain existe avant tout déterminisme préalable, en quelque sorte comme un ange. Mais alors que l’essence spirituelle de l’être humain ne concerne que l’Au-delà dans le christianisme, dans l’essentialisme athée (ou agnostique), l’essence temporelle de l’être humain concerne le monde dans sa matérialité. On peut dire que l’essentialisme est une sécularisation du christianisme, autrement dit un christianisme devenu fou.

L’objectif du genrisme consistera à éliminer tous les déterminismes sociétaux qui aliènent l’être humain dans ses composantes corporelles sexuées. Car bien sûr, s’il y a une essence humaine, il ne peut y avoir que du même, de l’Un, ce qu’on appelle la reductio ad unum chez les philosophes latins et médiévaux. Le politologue Alain de Benoist appelle d’un néologisme la « Mêmeté » ce refus des différences, qu’elles soient sexuelles, ethniques, d’âge, etc… Moi, je préfèrerais qu’on désigne ce refus, du nom d’un chanteur dégénéré et pédophile, le jacksonisme. Cette pauvre loque était l’entité humaine du futur : ni jeune ni vieux, ni noir ni blanc, ni homme ni femme.

Il s’agit là d’une régression invraisemblable vers la conception des Lumières du XVIIIe siècle d’un être humain hors-sol qui aurait des droits « naturels » ex nihilo et qui a été violemment remise en cause par les sciences humaines (psychologie et sciences sociales) dès le XIXe siècle. Car il n’y a pas de nature humaine abstraite et essentialiste. Il n’y a que des êtres humains concrets et produits de mécanismes qui se déploient sous trois aspects : la physiologie, la psychologie et le sociétal, définissant trois objets de science : le corps, la conscience, la société, et trois sciences : la physiologie, la psychologie et la science sociale.

Il y a bien sûr des interactions entre ces trois composantes de l’être humain, mais les trois objets d’étude sont irréductibles entre eux. Par exemple, on ne peut pas inférer que la peur est un produit de la biochimie corporelle. On a d’abord peur et ensuite l’adrénaline est sécrétée, et non pas l’inverse. La peur est un fait de conscience et non pas de physiologie, même si le cerveau est le support de la conscience mais pas son déterminant. Ce qui n’empêche pas (interaction) qu’une injection artificielle d’adrénaline provoquera une peur d’ailleurs sans objet…

Les disciplines d’interactions sont par exemple la psychologie sociale, entre psychologie et sciences sociales, ou la neurologie et le psychosomatisme entre physiologie et psychologie, ou l’anthropologie physique entre physiologie et sciences sociales.

La théorie du genre est un réductionnisme

Rappelons les différentes théories qui visent depuis deux siècles à nier tout ou partie de la tripartition de la condition humaine qui implique trois sciences irréductibles entre elles.

– la sociobiologie, le darwinisme social (Wilson) : la physiologie détermine le sociétal.
– l’éliminativisme, le computationnisme (Churchland) : la physiologie détermine la psychologie.
– le réductionnisme psychologique (Tarde) : la psychologie détermine le sociétal.
– le pan-sociologisme (Deleuze) : le sociétal détermine la psychologie.
– la théorie du genre dans ses premières moutures : la psychologie prime sur la physiologie.
– la théorie du genre évoluée dont la théorie queer : le sociétal détermine la psychologie et prime sur la physiologie. Dans ce dernier réductionnisme, l’être humain est compris comme ayant un support physiologique sans réelle importance et une conscience, les deux modelés (ou trafiqués) par la société. Dès lors, ayant supprimé l’autonomie de la psychologie, et dévalorisé la contrainte physiologique, il est facile de faire admettre que le corps sexué n’a rien à voir avec le « genre » qui est une notion purement construite par la société et donc pouvant être déconstruite par une action volontariste afin d’aboutir à une identité absolue de tous les êtres humains.

Les contradictions chez les adeptes de la théorie du genre

Les tenants de la théorie du genre sont empêtrés dans de multiples contradictions ou paradoxes :

> La plupart sont bien sûr aussi écologistes. Or le naturalisme écologique est en opposition formelle avec l’essentialisme anti-naturaliste. D’ailleurs l’escroquerie de l’argumentaire genriste, c’est de faire croire qu’ils sont pour le primat de la culture sur la nature, alors qu’il font l’impasse sur la conscience et la psychanalyse qui sont bien d’ordre culturel. Le culturel, chez l’être humain, comprend les deux instances, la psychologie et le sociétal, contre le naturel c’est-à-dire la physiologie.

“Je pense que le “genre” est une idéologie. Cette haine de la différence est celle des pervers, qui ne la supportent pas. Freud disait que le pervers est celui qu’indisposait l’absence de pénis chez sa mère. On y est (Boris Cyrulnik, interview au Point, le 29 septembre 2011).”

> La plupart sont aussi bien sûr partisans du soi-disant principe de précaution, interdisant toute prise de risque notamment toute expérimentation risquée. Or qu’est-ce que l’introduction de la théorie du genre dans les législations, dans l’éducation publique des enfants, sinon une expérimentation risquée puisque cette théorie n’est pas plus validée scientifiquement que l’astrologie, le créationnisme ou l’alchimie ?

> La plupart des adeptes de la théorie queer sont friands de pratiques sexuelles plutôt étranges (sodomie, transsexualisme, souvent pédophilie) et en sont fiers. Alors qu’en fait leur conception puritaine se veut totalement anti-sexe jusqu’à nier la réalité des différences sexuelles et implique par exemple l’abolitionnisme anti-prostitution. Blaise Pascal ne disait-il pas « qui veut faire l’ange fait la bête » ?

L’égalité ou l’identité homme-femme

La question de l’égalité homme-femme est un débat sans fin, car jouant sur l’ambigüité entre égalité et identité. La théorie queer, qui est la plus radicale, ne parle plus d’égalité car l’égalité suppose la différence. Elle prône en fait l’identité unisexe.

Les relations homme-femme dans notre civilisation sont basés non pas sur l’inégalité mais sur des « rôles » différenciés, qui restent prégnants même dans les pays où il y a des politiques volontaristes en faveur de l’indifférenciation professionnelle. Par ailleurs l’inégalité pénalise parfois les hommes, parfois les femmes.

Voici quatre exemples où l’inégalité bénéficie (ou bénéficiait) aux femmes :

– la guerre où la quasi totalité des victimes sont masculines, au moins jusqu’en 1939.

– la manière de s’habiller dans les élites. Les hommes sont contraints au trois pièces plus cravate. Les femmes ont le choix entre 4 ou 5 toilettes différentes. Un coup d’œil sur les bancs de l’Assemblée nationale est tristement révélateur.

– Jusqu’à récemment, les épouses de ménages bourgeois (entrepreneurs, médecins, etc) ne travaillaient pas tout en ayant une vie sociale intense (rotary, patronage, associations caritatives, five o’clock, etc..) et laissant à des nourrices et à des précepteurs l’essentiel de l’éducation des mioches.

– Les professions « intellectuelles » sont aujourd’hui massivement féminisées. Dans les entreprises, les tâches nobles (employées en bureau) sont féminines et les tâches manuelles (ouvriers) sont plutôt masculines. Les résultats scolaires sont nettement meilleurs chez les filles et cela de plus en plus.

– En matière linguistique, le biais du genre masculin est dénoncé avec force par les féministes incultes qui oublient que “silhouette”, “estafette”, “ordonnance” et “personne”, oui “personne” !, sont du GENRE féminin et qu’il faudra sans doute dire « UN personne » pour désigner tout être humain du SEXE masculin…

L’exemple norvégien : la théorie du genre en faillite

Le documentaire d’Harald Eia, diffusé en 2010, est édifiant. Il montre qu’en dépit des mesures politiques qui ont été prises pour instaurer l’égalité et l’indifférenciation, les hommes et les femmes ont invariablement des centres d’intérêts très différents, et ne sont pas attirés du tout par les mêmes activités.

Ainsi, en Norvège, les ingénieurs restent très majoritairement des hommes (90%) et les infirmières des femmes (90%) dans un pays où aucune discrimination n’empêche les femmes de devenir ingénieurs et les hommes infirmiers.

Le Professeur Trond Haaken Diseth observe, quant à lui, que, dès l’âge de 9 mois, les enfants se dirigent spontanément vers des jouets associés à leur genre. Il y a bel et bien, selon lui, des dispositions innées selon les genres, qui seront certes modulées quelque peu par l’environnement et l’éducation.

Suite au débat national qui a eu lieu en Norvège après la diffusion de ce documentaire, l’Institut gouvernemental norvégien pour les études de Genre, l’institut NIKK, a cessé de recevoir toute subvention et a dû de ce fait fermer.

Je pense que le “genre” est une idéologie. Cette haine de la différence est celle des pervers, qui ne la supportent pas. Freud disait que le pervers est celui qu’indisposait l’absence de pénis chez sa mère. On y est (Boris Cyrulnik, interview au Point, le 29 septembre 2011).

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25 Comments

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  • Patrick Canonges , 3 mars 2014 @ 16 h 45 min

    Je vous sens très au fait de la psychanalyse.
    Je me permets de vous transmettre cet extrait d’une communication du psychanalyste Jean Pierre Winter.

    «Freud a écrit des textes sur ces questions-là qui sont plus qu’explicites notamment ce texte qui s’appelle «La différence anatomique entre les sexes». C’est un texte qui est rarement cité par les auteurs qui parlent au nom de la théorie du genre ou des théories queer, et ce n’est pas un texte de la jeunesse de Freud, c’est-à-dire de l’époque où il n’avait pas encore suffisamment élaboré ces questions, c’est un texte de 1925, donc un texte tardif, un texte qui fait suite à sa Métapsychologie: chaque petit garçon, chaque petite fille, confronté à ce qui est l’horreur de la perception de la différence, répond selon qu’il est un petit garçon ou selon qu’il est une petite fille de façon différente. Et vous pouvez prendre tous les textes que vous voulez de Freud ou de Lacan, tout leur parcours consiste à essayer de situer le rapport différent à ce que nous appelons la castration, pour l’un comme pour l’autre, en tant que ce n’est pas pareil, la castration, pour un petit garçon et pour une petite fille. Et donc la différence des sexes pour un psychanalyste, c’est le rapport différent à la castration, c’est-à-dire le rapport à l’incomplétude de l’être, différent pour le petit garçon ou pour la petite fille».

  • Patrick Canonges , 3 mars 2014 @ 16 h 50 min

    Permettez-moi de vous transmettre l’interview de Jean Louis Auduc sur l’échec scolaire masculin.

  • Patrick Canonges , 3 mars 2014 @ 16 h 54 min

    Je bégaie! voilà l’interview en question:

    Jean-Louis Auduc – Genre à l’école : les garçons sont en péril !
    interview parue dans Le Point.fr le 11/02/2014.

    Jean-Louis Auduc a fait partie de la mission laïcité du Haut Comité à l’intégration, opportunément dissous par Jean-Marc Ayrault. Historien de formation, universitaire, Jean-Louis Auduc s’intéresse depuis toujours, dans le débat sur l’égalité des sexes à l’école et au sort fait aux garçons, laissés pour compte de l’Éducation, comme en témoigne le dernier rapport Pisa. Il est tellement plus pratique, dans le débat actuel sur le(s) genre(s), de penser que le genre autrefois dominant l’est encore!

    Jean-Paul Brighelli : On parle beaucoup d’égalité filles-garçons à l’école et de lutte contre les stéréotypes sexués. Mais qu’en est-il vraiment des résultats scolaires ? L’échec scolaire respecte-t-il la parité ?

    Jean-Louis Auduc : Tous les appels à lutter contre l’échec scolaire sont sympathiques, mais en globalisant sans distinguer qui sont “les 150 000 élèves sortant sans diplôme'”ou “les 20 % d’élèves ne maîtrisant pas les fondamentaux de la lecture”, ils passent à côté d’une véritable analyse de la réalité de l’échec scolaire en France. Le rapport Pisa 2012 indique que “la progression en France en compréhension de l’écrit est principalement due à l’amélioration des résultats des filles”. Ainsi, entre 2000 et 2012, la proportion d’élèves très performants a augmenté de 6 % chez les filles (contre seulement 2 % chez les garçons), alors que dans le même temps, la proportion d’élèves en difficulté a augmenté de 6 % chez les garçons (contre seulement 2 % chez les filles). Cette indication montre une situation catastrophique dans le domaine de la lecture pour les garçons. Elle signifie qu’en France, plus d’un garçon sur quatre n’atteint pas, en 2012, le niveau de compétence en compréhension de l’écrit, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel, alors que cela ne concerne qu’une fille sur dix !
    Pire, selon le rapport, “en France, l’écart de performance en compréhension de l’écrit entre les sexes s’est creusé entre les cycles Pisa 2000 et Pisa 2012, passant de 29 à 44 points de différence en faveur des filles”. Il est clair que la France paie ici son refus d’analyser l’échec scolaire précoce des garçons dans le domaine de la lecture et de l’écriture. On continue à parler de 15 à 20 % environ “d’élèves” ne maîtrisant pas les fondamentaux de la lecture au sortir de l’école primaire en oubliant de dire que le plus souvent cela concerne près de 30 % des garçons ! Toutes les statistiques montrent que les filles durant leur scolarité lisent plus vite et mieux que les garçons, redoublent beaucoup moins qu’eux à tous les niveaux du système éducatif, échouent moins dans l’obtention de qualifications, ont plus de mentions à tous les examens et diplômes, du second degré comme du supérieur. Au total pour l’accès d’une classe d’âge au niveau “bac”, on a 64 % des garçons et 76 % des filles ; pour la réussite au baccalauréat, 57 % des garçons, 71 % des filles ; pour l’obtention d’un diplôme du supérieur (bac + 2 et plus), 37 % des garçons, 50,2 % des filles ; pour l’obtention d’une licence, 21 % des garçons, 32 % des filles. La différence filles-garçons concernant le décrochage scolaire s’est accentuée ces dernières années. Il était de 5 points dans les années 1990 et il passe à 9 points en 2010.

    Comment expliquez-vous cette situation ?

    Pendant trente ans, on a vécu avec l’idée que la mixité réglait en soi les questions d’égalité. Il faut en revenir à l’épreuve des faits. Il ne suffit pas de mettre des garçons et des filles ensemble pour que règne l’harmonie et l’égalité entre filles et garçons, pour que les stéréotypes disparaissent et que se construise un “vivre ensemble”. La gestion de la mixité est un impensé de nos réflexions éducatives. Avons-nous suffisamment conscience de ce qui se joue pour les garçons, quelles que soient leurs origines, dans les premières années de leur vie à l’école ? Avons-nous réfléchi aux difficultés d’adaptation de plus en plus nombreuses des garçons par rapport aux filles dans l’espace scolaire ?

    Vous qui avez beaucoup étudié l’échec scolaire des garçons, pourriez-vous préciser les moments où se creusent les différences entre garçons et filles ?

    Cet échec scolaire précoce des garçons ne doit pas être pris comme une fatalité. Leurs difficultés ne sont pas dues à des causes naturelles, mais avant tout culturelles et elles se manifestent dès le démarrage de la scolarité. Ce n’est pas d’allergie à la lecture qu’il faut parler, mais de difficultés d’entrer pour le jeune garçon dans le “métier d’élève”, dans la tâche scolaire et ses composantes : l’observance de l’énoncé, l’accomplissement de la tâche, la réflexion sur ce qui vient d’être accompli, la correction éventuelle, enfin la finition… On sait combien la non-maîtrise de ces cinq composantes est pénalisante pour certains garçons qui vont se contenter d’accomplir mécaniquement sans réfléchir, refuser les corrections, et “bâcler” souvent leur travail scolaire.
    Pourquoi un tel refus ? À la maison, la fille est souvent sommée de participer aux tâches ménagères quand son frère en est généralement dispensé. Et s’il est l’aîné, il peut carrément régner en maître sur la fratrie. Du coup, pour elles, l’école apparaît comme un lieu de valorisation. Alors que pour les garçons, elle est un lieu de contraintes. Elles vont donc rapidement comprendre ce qu’est un ordre précisant la tâche à accomplir, à exécuter cette tâche, à attendre la validation de ce qu’elle a réalisé, à corriger ce qu’elle a mal exécuté et à terminer le travail demandé. Les filles apprennent en fait souvent les cinq composantes d’une tâche avant d’entrer à l’école. Elles n’ont donc aucune surprise à les retrouver dans la classe, ce qui n’est pas le cas des garçons qui ne les découvrent qu’en entrant dans l’école, donc avec un retard significatif

    À quels autres moments de la scolarité voyez-vous l’accentuation des écarts garçons-filles ?

    L’absence de “rites de passage” pèse plus sur les garçons que sur les filles et ce, à divers moments. L’élève, notamment le garçon, était le “patron” de la cour et des divers espaces de l’école primaire qu’il maîtrisait bien. Il se retrouve au collège dans un espace dont il ne possède pas toutes les clés, et apparaît comme le “petit” de l’établissement, ce qui peut générer une certaine angoisse. Dans la construction de sa personnalité, le garçon vit moins dans son corps la sortie de l’enfance que les filles qui lorsqu’elles sont réglées savent qu’elles peuvent potentiellement être mères. Il a donc toujours eu besoin de rites d’initiation, de transmission et d’intégration. Ceux-ci ont été longtemps religieux (confirmation, communion solennelle) et civiques pour le passage à l’âge adulte (les “trois jours”, le service national). Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de rites d’initiation et de transmission, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laisse le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de “bandes”, de divers groupes, voire des sectes ou des intégrismes religieux. Une enquête sur les sanctions au collège menée par Sylvie Ayral, La Fabrique des garçons a montré que plus de 80 % des violences en collège étaient le fait de garçons, ce qui l’a amené à penser “que pour les garçons la sanction est un véritable rite de passage qui permet, à l’heure de la construction de l’identité sexuée, d’affirmer avec force sa virilité, d’afficher les stéréotypes de la masculinité, de montrer que l’on ose défier l’autorité”. Si l’on veut éviter que le groupe, la bande, la communauté ne soit le seul élément initiatique repérable, il faut donc impérativement rétablir des rituels collectifs de passage. Sinon la violence machiste continuera à augmenter dans les collèges…
    La crise d’identité générée par ce changement de perspective peut être d’autant plus grave qu’elle se situe au tout début de l’entrée dans l’adolescence. Or nous vivons aujourd’hui une société marquée par la confusion des âges, qui demande de devenir mature de plus en plus tôt pour rester jeune de plus en plus tard. La société semble avoir des difficultés à accepter qu’on puisse grandir et devenir adulte. Cette difficulté heurte beaucoup plus la construction de l’identité masculine que celle de l’identité féminine où la rupture enfant/adulte est marquée par des transformations corporelles. Le rétablissement de rites sociaux collectifs est donc un véritable enjeu.

    L’absence de “modèles” masculins n’est-elle pas aussi en cause ?

    En effet. Dans l’école française, le moment décisif concernant l’orientation des élèves se situe entre la classe de quatrième et la classe de troisième. Il touche donc les jeunes à l’âge de 14/15 ans. Or ce moment est marqué par l’absence dans l’environnement de référent masculin. Notre société doit s’interroger sur le fait qu’aujourd’hui, entre 2 et 18 ans, les jeunes ne rencontrent pour travailler avec eux que des femmes : professeurs (80,3 % de femmes dans le premier degré ; 57,2 % de femmes dans le second degré, BTS et classes prépas inclus), chefs d’établissement, assistantes sociales, conseillères d’orientation, infirmières, avocats, juges, médecins généralistes, pharmaciens, dentistes, vétérinaires, architectes, employées de préfecture ou de mairie…Tous ces métiers sont de manière écrasante féminisés. Les filles ont donc durant leur cursus scolaire et leur adolescence, présentes devant elles, des semblables, femmes référentes auxquelles elles peuvent sans peine s’identifier, ce qui, pour une bonne part, expliquent également qu’elles souhaitent, leurs études réussies, rejoindre ces métiers qu’elles jugent valorisants. À noter que parfois cette identification peut freiner leurs ambitions. Outre l’échec scolaire, le décrochage scolaire qu’elle peut produire, l’absence d’identification contribue au développement de comportements violents et empêche le développement d’un vivre ensemble harmonieux.

    Pourquoi cette question reste-t-elle taboue en France ?

    Plus personne n’ose nier l’importance en France de l’échec scolaire masculin précoce. Mais en termes de formation des enseignants, de mise en avant de pédagogies différenciées pour combattre cette situation, rien n’est fait. Mieux, on gomme totalement cette dimension dans les ABCD de l’égalité dont il est tant question aujourd’hui. Certains se rassurent en évoquant le fait que cela ne touche que les garçons des catégories défavorisées. S’il est vrai que l’écart filles-garçons est plus important pour les catégories défavorisées, notamment celles issues de l’immigration où 28 % des garçons finissent leur cursus scolaire sans diplôme contre seulement 9 % des filles, l’écart filles-garçons touche toutes les catégories. À l’heure de l’indifférenciation, il n’est pas de bon ton d’évoquer la nécessité de gérer intelligemment la mixité, en s’interrogeant sur les méthodes à choisir, pour faire réussir dans leurs apprentissages les garçons comme les filles.

  • pi31416 , 13 octobre 2014 @ 15 h 14 min

    Oui mais, il y a mutation

    ma kac’h > ma c’hac’h

    de meme que va ti (ma maison) > va zi

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