Pourquoi les djihadistes postent-ils des selfies ?

Photo d’Adel Kermiche, l’assassin du père Jacques Hamel.
Photo d’Adel Kermiche, l’assassin du père Jacques Hamel.

« Dans une attaque bénie dont Allah a facilité les causes, un groupe de croyants du califat […] a pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion […] ». Le 14 novembre 2015, les combattants de l’Etat islamique revendiquent par communiqué de presse leur carnage du Bataclan et de Saint Denis. Pour ces guerriers d’Allah, cette déclaration grandiloquente est-elle vraiment justifiée ? On peut se poser la question.

Manifestement, trucider des fêtards innocents dans une salle de concert ne présente pas le moindre intérêt stratégique d’un point de vue militaire. Et nul incroyant ne se convertira jamais spontanément à l’islam grâce aux photos macabres des corps du Bataclan, jetées en pâture sur les réseaux sociaux. Les djihadistes ont sans conteste réussi à « jeter la crainte dans le cœur des croisés […] », mais en termes d’établissement du califat sur l’Hexagone, si tel est leur objectif, alors maigre est leur butin. Tout, dans ce terrorisme paraît absurde. Ils tuent de manière erratique. Ils ne donnent pas l’impression de vouloir de convaincre les non convaincus, mais simplement d’essayer faire le buzz. Le sens, on verra plus tard, si tant est qu’il y en ait. En France, les 8 attentats meurtriers, depuis l’affaire Merah, nous confrontent à ce phénomène inédit du djihadisme 2.0, qui propage sa doctrine sur le net, envoie de jeunes racailles en déshérence culturelle se faire exploser pour la gloire d’Allah, mais aussi et surtout, nous le verrons, pour pouvoir se regarder le nombril. Il faut reconnaître qu’ils sont doués, ces bédouins fanatiques, pour parvenir à exercer un tel pouvoir de fascination sur de jeunes Français vivant pourtant dans une société de loisirs et d’abondance.

Comment comprendre la propagation exorbitante du salafisme ces dernières années ? Quelle est la véritable nature de cet islam idéologisé ? Qu’est-ce que cette façon qu’ont les musulmans radicaux de faire le djihad, peut nous apprendre sur nous-même ?

Le salafisme, un islam déboussolé

Pour blâmer les terroristes, on parle fréquemment d’un « islam moyenâgeux[1] ». Cette accusation, découle d’une réduction progressiste de l’Histoire à l’affrontement de deux forces : le progrès et la réaction. Les commentateurs occidentaux appliquent trop souvent ce schéma simpliste à l’islam, qui procèderait, dans sa logique intégriste, d’une guerre contre la modernité. C’est oublier que l’islam radical tel qu’on le connait aujourd’hui, est avant tout une crise moderne de l’islam sunnite.

Le père Adrien Candiard, dominicain et islamologue, interrogé par Atlantico[2], fait remonter cette crise au XIXe siècle, à la chute des empires musulmans sunnites. Quel était l’islam pratiqué alors chez les arabes et les ottomans ? La religion dont nous parle le scientifique était avant tout un « islam culturel » absorbé par les coutumes locales. Les textes originels, le coran et les hadiths, n’étaient mis en pratique qu’au terme de subtiles combinaisons juridiques et théologiques. Ce qui bien entendu, n’enlève rien au fait que l’islam porte en lui-même par sa lettre, et son histoire, une disponibilité permanente à la violence, à la soumission de la femme, à la pratique courante de l’esclavage et un rapport, quasiment toujours belliqueux aux autres religions. Cela étant, l’islam impérial n’était pas l’islam de Daech. Les empires sunnites laissaient cohabiter pas moins de quatre écoles de droit, et les châtiments cruels entre musulmans, comme la lapidation, étaient semble-t-il, suffisamment rares pour étonner les observateurs.

Le hic, c’est qu’au XIXe siècle, cet islam traditionnel n’a pas su constituer un rempart contre la supériorité technologique et militaire de l’Occident. D’immenses territoires musulmans furent envahis et colonisés par les européens. Les nations islamiques, ces aimées d’Allah, se sont laissées dominer par l’Occident impie. Plusieurs mouvements de réformes naquirent alors, parmi les plus célèbres, le salafisme. Les « salaf » sont les pieux anciens. Ce courant politico-religieux vise à renouer avec l’islam des origines. Il croisera sur sa route le wahhâbisme, doctrine de bédouins fondée quelques années plus tôt en Arabie, qui propose un islam rigoriste, contre l’islam raffiné des grandes villes. De cette convergence des pensées réformatrices, naît l’islam idéologisé, tel que nous le connaissons actuellement. Celui-ci se propage très efficacement au XXe siècle grâce aux dollars saoudiens et par le formidable engouement que suscite le djihad afghan contre l’armée Soviétique. Au XXIe siècle, les multiples guerres et occupations occidentales droits-de-l’hommisantes au Moyen Orient ne l’excitent que davantage. Et désormais, par le biais d’Internet, il suffit de trois clics pour diffuser sa propagande à travers tout le globe. L’islam radical est le fruit de ces mouvement réformateurs, qui se donnent pour objectif de rétablir un islam des origines, libéré de ses contingences culturelles. Dans cette logique, la tradition, celle des empires et des écoles juridiques, est regardée comme décadente. Le vrai islam doit être chimiquement pur, littéraliste, absolu.

Si bien entendu, ce l’islam radical reste conscient des impasses de la modernité – individualisme, déclin morale, et vide religieux – les jeunes salafistes n’en demeurent pas moins animés par un désir, typiquement moderne, de s’accomplir par eux-mêmes. Ils entendent briser le lien traditionnel. Ils rêvent d’inaugurer leur propre conception religieuse. À les écouter parler[3], on perçoit dans cette approche de l’islam une forme de jeunisme, une ode à la facilité et à la culture du tout, tout de suite. En effet, là où une conversion religieuse profonde inciterait le croyant à se recueillir dans la prière et la méditation, le salafisme leur propose un islam cru, sans raisonnement intellectuel. Là où le contact intime avec Dieu invite le fidèle à s’humilier, le salafisme leur donne l’impression d’avoir tout compris en trois minutes.

Une envie d’Occident contrariée

L’un des ressorts de la diffusion du salafisme chez les jeunes, est celui du complexe d’infériorité des jeunes banlieusards vis-à-vis de la culture occidentale. A l’origine, il y a chez les beurs précarisés ce que l’abbé de Tanoüarn a choisi de nommer un « désir d’Occident »[4]. La culture de masse, les clips et les publicités, suscitent leur désir pour une civilisation du no limit, où tout est permis : l’accumulation du capital, les filles, la débauche, l’athéisme, le progrès sans fin de la technique etc. Les jeunes banlieusards, qui ont cet environnement culturel face aux yeux, rêvent comme tout un chacun, de goûter ce luxe. Or ils restent bloqués dans la précarité, le chômage, et souvent la délinquance. L’abbé de Tanoüarn prend l’exemple du « Blond » de Gad Elmaleh, figure conceptuelle du beau goss occidental à qui tout réussit, tandis que beaucoup d’immigrés ratent leurs études et ne trouvent pas de travail. C’est là que le babtou blesse. Ce complexe est exacerbé par l’antiracisme et les islamo-gauchistes, qui flattent les caprices victimaire de ces jeunes, et nourrissent leur ressentiment contre le pseudo néocolonialisme des blancs[5]. Ils apprennent à haïr le luxe, réel ou supposé, qui règne chez les céfrans. Encore une fois, eux, les musulmans qui plaisent à Allah, n’ont ni le niveau technologique, ni le confort économique des occidentaux. Ce paradoxe leur est insupportable.

Ce désir d’Occident contrarié se traduit en haine d’Occident. Les petits lascars de banlieues retrouvent leur fierté dans le djihad. La guerre sainte, c’est un projet certes toujours plus viril qu’une marginalisation subie. Galvanisés par le romantisme guerrier des moudjahidines propagé sur YouTube, ils quittent leur HLM, et tentent de rejoindre la Syrie. Ils laissent derrière eux le rap, le béton, le relativisme culturel, le Fastfood, le Youporn, en bref, leur misère culturelle et leur vie déprimante, pour trouver le paradis à l’ombre des épées. Une fois entraînés, ils re-débarquent ici pour massacrer leurs ex concitoyens, tels des enfants vexés qui cassent le jouet du voisin qu’ils se sont vus refuser. Ils trucident les journaleux satiriques, massacrent les fêtards dans les salles de concerts, percutent les flâneurs avec un camion sur la promenade des Anglais etc. Cette démarche est leur crise de djihadolescence. Ils ne se voient plus comme les loosers pathétiques de la civilisation occidentale, mais comme les conquérants sublimes du califat.

Salafistivisme

Certes il y a rejet de l’Occident. Mais entre l’archétype du jeune occidental pourri-gâté, et le jeune djihadiste fanatisé, il y a une continuité très nette. En dépit des apparences, le djihadisme version Daech se trouve être une forme d’aboutissement inattendue du techno-capitalisme occidental. C’est-à-dire d’une société de table-rase du passé, nous l’avons vu, mais encore qui exalte l’ubris infantile et la domination par la technique. Nous rejoignons en cela l’intuition du philosophe Fabrice Hadjadj[6], qui parle de cette jeunesse djihadiste « possédée par l’impatience que génère le dispositif technologique environnant. […]. Ils prétendent tout résoudre par des clics et passent assez facilement de la souris au détonateur. Ils sont en cela des produits de notre push-button society[7] ».

Les prédicateurs promettent à des jeunes mâles qu’il suffit d’appuyer sur un détonateur pour se faire servir une palanquée de vierges en chaleur dans l’au-delà. Le jeune salafiste, qui a temporairement fait vœux de piété, y retrouvera d’une certaine manière un Youporn céleste, avec connexion illimitée, et sous la bienveillance de l’imam. Dans cet Etat islamique, alimenté par les pétrodollars saoudiens, les clips et les snuff movies de propagande sont tournés à la façon hollywoodienne, comme des trailer de jeux vidéo. Au programme : sensationnisme, et blabla prosélyte offrant une simplification typiquement néocons du monde actuel, divisé entre l’axe du bien, et l’axe du mal. Ces jeunes radicalisés sont lâchés dans la nature, munis de gros calibres et d’une mission toute simple : tuer du kouffar – établir le califat – monter au paradis. Leur pulsion juvénile les pousse à jouer de la gâchette. Voitures béliers, exaction sur les civils, banditisme, argent facile, esclaves sexuels etc. on n’est guère loin de GTA Vice City. Chez nous comme chez eux, rien n’échappe au nombrilisme virtuel. Les fiers combattants d’Allah publient des photos portraits, et même des selfies sur Facebook : barbus, armés d’un couteau ou d’un fusil, l’air impétueux.

Pour un peu on les entendrait nous défier d’une voix métallique : « I’ll be back ! ».
Pour un peu on les entendrait nous défier d’une voix métallique : « I’ll be back ! ».

Soyons-en sûrs, ils sont tout aussi attentifs que les occidentaux au nombre de « likes » récoltés après publication. C’est la version « Et-moi arkbar » de nos frivoles blondinettes qui posent avec une bouche de canard. On retrouve dans ce désir de reconnaissance presque touchant, un peu de l’absurdité de la société de l’image occidentale. On se met en avant, juste pour se mettre en avant. On s’avise que sa fierté est bonne en soi. Qui aurait cru que les djihadistes eux-mêmes plongeraient, au même titre qu’Homo Festivus, dans les abîmes de « l’âge de fier » diagnostiqué par Philippe Muray ?

Une anecdote parle d’elle-même, quand les occidentaux salafisés sont arrivés en baskets Nike à Raqqa, il y a eu une toute une vague d’engouement pour ces chaussures. L’État islamique a carrément dû interdire le port de cette marque, jugée contraire aux bonnes mœurs[8]. C’est pourquoi les jeunes djihadistes ressemblent, sans se l’avouer, aux jeunes occidentaux compulsifs. Tous sont des déracinés de la mondialisation. Enfin salafistes, mais encore sales gosses. Dans leur période racaille, ils ont adoré Scarface. A présent ils idolâtrent Ben Laden. Deux bandits, mégalos, riches et assassins. A la différence que Ben Laden masquait ses désirs techno-capitalistes derrière sa radicalité islamique. Même schéma pour les frères Abdeslam dont le quotidien était rythmé par les filles faciles et l’alcool ; ou le caïd Mohammed Merah, fan de Playstation, et de grosses cylindrées. Il n’est pas impossible que ces islamo-racailles, mi débauchés-mi intégristes, aient cru trouver dans leurs attentats terribles un moyen d’anoblir leurs pulsions infantiles, en les parant d’un héroïsme guerrier. Impulsivité, culture du paraître, envie de trash, et désir de récompense rapide, le jeune djihadiste reste un kouffar jusqu’au bout du canon.

Notre propre misère

Le film Made in France[9] sorti en 2015, qui traite du terrorisme islamique chez les jeunes, nous dévoile une scène symptomatique. Le héros, journaliste infiltré dans une cellule djihadiste, demande à Christophe, le céfran converti au salafisme, pourquoi, malgré son baptême et sa famille a priori pratiquante, il n’est pas resté catholique. En guise de réponse, Christophe lui lâche cette analyse spontanée : « Parce-que c’était chiant…! ». Cet aveu, sorti du cœur, renferme une vérité amère sur la décomposition du catholicisme en France depuis plusieurs décennies. Etant admis que cette religion était, en plus d’une foi individuelle, et jusqu’à récemment encore, une atmosphère culturelle et morale pluriséculaire, partagée par tous les français, croyants ou non.

Par réaction aux bonnes relations nouées sous l’Occupation entre une partie de l’épiscopat et le maréchal Pétain, les courants chrétiens modernistes ont, dès la fin de la 2nde guerre mondiale, pignon sur rue au sein de l’Eglise de France. Dans les années 60, l’éventail des courants progressistes, qui s’étend des chrétiens-démocrates aux prêtres ouvriers marxistes, tenaient tous les leviers de l’Eglise de France : séminaires, paroisses, associations et médias[10]. L’heure était à la réforme. Ces catholiques français avaient foi dans le progrès techniques et dans des lendemains qui chantent. D’aucun ont cru voir leur utopie se réaliser en 1968. Partis d’un bon sentiment, ces réformateurs ont, par crédulité, quelque peu édulcoré le message de l’Evangile auprès d’une partie des fidèles. Au point de lui conférer, dans la foulée des excès postconciliaires, la teneur d’une gentillette morale humaniste. La culture de l’enfouissement, encouragée par une Eglise de France qui semblait finir par avoir peur de son ombre, n’a guère amélioré les choses. Le décrochage fut brutal. En 1961, 90% des français étaient baptisés, et 35% se déclaraient pratiquants. Aujourd’hui, si 56% de français sont encore baptisés, seuls 8% fréquentent ordinairement les églises[11]. A trop vouloir s’ouvrir au vent des progressismes, l’Eglise de France, a poussé, malgré elle, une majorité des catholiques à quitter le navire.

Aujourd’hui, la naïveté d’un certain clergé français sur l’immigration arabo-musulmane, et sa tiédeur vis-à-vis de la classe politique, pourtant quasi intégralement acquise à la pratique de l’avortement, pour ne citer que cet exemple, témoigne de l’affaissement doctrinal d’une Eglise de France, à demi sécularisée. L’hommage public de Monseigneur Lebrun, en juillet 2016, suite à l’assassinat du père Jacques Hamel, est assez révélateur : « Reconnaissons que nous sommes de la même famille, la même famille humaine qui n’a qu’un seul cœur, une seule âme, une seule espérance, le bonheur de tous ». Sans doute a-t-il raison de prêcher l’apaisement. Reconnaissons toutefois qu’il y a une certaine paresse intellectuelle, de la part d’un évêque, à révéler que sa « seule espérance » est  « le bonheur de tous », formule vague s’il en est, alors qu’elle devrait, nous semble-t-il, être en premier lieu de pouvoir faire connaître le Christ. En outre, parler de « même famille humaine » et « d’un seul cœur » relève un peu de l’angélisme, quand des djihadistes égorgent des catholiques au nom de l’islam, simplement par haine de ce qu’ils sont. Rappelons que le père Hamel, qui est mort en saint homme, avait encouragé la construction de la mosquée de Saint-Etienne-du-Rouvray, inaugurée en 2000, sur une parcelle de terrain généreusement offerte par sa paroisse. Cette mosquée a condamné l’attentat. Cela nous apprend néanmoins que les musulmans radicaux ne sont pas systématiquement reconnaissants envers les catholiques, malgré les faveurs faites par ceux-ci à leurs propres frères musulmans. « Les hommes sont ainsi faits qu’ils méprisent ceux qui les ménagent, et respectent ceux qui ne leur concèdent rien » nous apprend Thucydide dans La guerre du Péloponnèse. Sans aller jusqu’à prétendre qu’il faut contredire, par principe, les revendications des musulmans ; ces massacres terribles nous apprennent que la charité est une action louable, mais qu’elle ne saurait faire l’économie du discernement.

Pourquoi ce détours par l’histoire récente du catholicisme en France ? Les cathos de gauche sont-ils coupables ? Assurément non. Il reste cependant que l’utopie du progrès peut engendrer le relativisme, et qu’une telle posture, aussi bienveillante soit-elle, fragilise immanquablement les bases de la foi. Or, s’il n’y a plus de croyant fervents, qui s’appuient sur le dogme, l’Eglise qui a mission de transmettre l’Evangile, n’a plus guère d’utilité. Sauf à tenir le rôle d’une ONG sympathique, mais n’en déplaise à certain, cela n’est pas son unique vocation. Une Eglise qui ne s’affirme pas perd de son rayonnement, elle fait fuir ses fidèles et suscite moins de conversions. Ainsi s’explique, en partie, l’épuisement culturel du catholicisme français, et la rupture partielle de sa transmission. En effet, une majorité des jeunes français n’ont pas reçu la foi de leurs aînées. Ou, quand ils l’ont reçu, c’est en version édulcorée. Ajoutons à ceci la haine de soi, véhiculée par les élites ; et nous nous retrouvons avec une jeunesse privée de tout héritage spirituel.

Comme la nature a horreur du vide, le matérialisme a remplacé la foi ; la pulsion hédoniste a sapé les solidarités traditionnelles ; les prêches d’émancipations sociétales ont supplanté l’exigence de progrès intérieur. Notre jeunesse a grandi bercée par une culture semi-libertaire, des offres de loisir, et des promesses de pouvoir d’achat. « Il faut des jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires » suggère Emmanuel Macron comme ultime horizon politique. Enième paradoxe, pour nos impayables déconstructeurs occidentaux : on dissout le peuple, on désintègre la famille, on dénigre l’Histoire pluriséculaire d’un pays ; puis on s’évertue à vendre « l’intégration » aux jeunes des quartiers. Intégration, certes, mais à quoi ? Qui donc voudrait s’identifier à un peuple d’inquisiteurs sadiques, de colonialistes et de collabos méprisables ? Il n’est pas certain que l’intégration à l’IPhone 6, à Gleeden, au Starbucks, et à la gaypride, soit capable d’étancher la soif d’héroïsme et les aspirations nobles d’une jeunesse, qui cherchera quoi qu’il arrive à se raccrocher à quelque chose. Comment s’étonner, dès lors, que tant de jeunes immigrés aient subitement rejeté ce modèle techno-libéral sans profondeur, pour se réfugier dans l’islam radical ? La culture du rien suscite, par réaction, la culture du fanatisme.

Or, comme nous l’avons vu, ces fanatiques religieux sont pénétrés d’occidentalisme. Hybrides monstrueux, réactionnaires dans leur foi, et modernistes malgré eux, par leur façon de croire, de consommer, ou de mourir pour Allah. Ils nous renvoient une image quelque peu embarrassante de nous-même, car ils ont un peu de nous en eux.

Une étincelle d’espérance

Les choses ont malgré tout tendance à s’améliorer. Sur le plan politique, tout d’abord, on constate ces dernières années un regain du patriotisme. Les jeunes ont soif de ré-enracinement et d’attachements charnels. L’horizon mercantiliste que l’on a tracé pour eux n’est plus un absolu. Ils sont de plus en plus nombreux, ces français, qui saisissent à nouveau la valeur de leur patrimoine historique ; en témoigne le succès renversant du Puy du Fou. Si l’on en croit ce sondage du Figaro [12], de plus en plus de jeunes se revendiquent de droite. Ils aspirent sans complexe à plus de frontière, plus d’identité et plus de verticalité. Contre le toutalitarisme qu’on essai de faire avaler, ils reconnaissent les bienfaits d’une société basée sur l’idée de limites.  Ils troqueraient volontiers la culture du « break » permanent prôné par les élites, pour une civilisation fondée sur l’héritage. Bien qu’encore au stade embryonnaire, ce printemps des idées portera un jour, sans nul doute, une jeunesse ferme dans ses convictions à exercer de hautes responsabilités.

Sur le plan religieux maintenant, on observe en France, depuis bientôt 40 ans, un étonnant renouveau spirituel et doctrinal. Sous le patronage de Jean-Paul II tout d’abord, pape missionnaire, qui a quelque peu sorti la France de sa torpeur en lui rappelant les promesses de son baptême. L’action de Benoît XVI, pape théologien, qui s’est érigé contre la dictature du relativisme, notamment par son Discours de Ratisbonne, procède de la même volonté de redressement. À la suite de ses prédécesseurs, François, pape militant, se démène pour rappeler aux catholiques le souci des plus humbles, contre le dogme de l’argent roi. Son Encyclique Laudato Si, véritable traité d’écologie intégrale, nous alerte sur les ravages du consumérisme et de son empire destructeur de tous les écosystèmes, environnementaux et familiaux. La reprise en main des séminaires et la création de nouvelles communautés religieuses, ont engendré un clergé à la tête bien faite, souvent repérable au port de la soutane, ainsi qu’une jeunesse bien formée, qu’on a vu battre le pavé lors des Manif pour Tous. « Une nouvelle génération catho à la tête haute est née, très éloignée de la pudique discrétion de ses aînées » note Jacques Trémolet de Villers[13]. Ce sursaut de la foi est tout à fait capable rebattre les cartes du clivage politique. L’électorat catholique, déniaisé de la modernité libérale, prend petit à petit conscience lui-même, et de sa capacité à peser dans le débat politique, voire à faire flancher le résultat d’une élection. Mais pour ce faire, il faudra encore qu’il ne transige pas sur les points non négociables. Guillaume Bernard, maitre de conférences à l’ICES, a d’ailleurs signé un papier remarquable sur Boulevard Voltaire[14] sur le thème de la résurrection des catholiques en politiques.

Ce renouveau, de la part d’une jeunesse qui se réapproprie son héritage, lui donne les moyens de se réarmer culturellement et spirituellement pour affronter le défi du djihadisme et de l’islamisation. « Les laïcards font le vide, les islamistes le remplissent » assène Philippe de Villiers. Pour qu’à jamais soit écarté le spectre de la soumission, offrons à la jeunesse un véritable idéal. Remplissons nous-même ce vide, et la question du djihadisme sera sans objet.

Ambroise Savatier

Notes :

[1] Expression prononcé dans l’Hémicycle par Manuel Valls au lendemain des attentats de Nice.

[4] Monde et Vie, n°922, avril 2016.

[5] On sait pourtant que Salah Abdeslam était parfaitement intégré, et les frères Kouachi ont bénéficié d’emplois jeunes et d’aides de l’Etat.  En 2009, Amedy Coulibaly, l’auteur des attentats de Montrouge et du supermarché casher de Saint-Mandé, était reçu au palais de l’Élysée par Nicolas Sarkozy avec neuf autres jeunes choisis par leurs employeurs pour témoigner des bienfaits de la formation par alternance: il travaillait alors en contrat de professionnalisation à l’usine Coca-Cola de sa ville natale de Grigny

[7] Pour reprendre une expression du philosophe Günther Anders

[9] Sorti à 2015, réalisé par Nicolas Boukhrief

[10] Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours. Seuil, 2012.

[11] Sondage IFOP/Pèlerin, 2 avril 2015.

[13] Jacques Témolet de Villers, Le Nouvel Observateur, 2 mai 2013.

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1 Comment

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  • V_Parlier , 30 septembre 2016 @ 22 h 43 min

    Fin, juste, sans être bisounours pour autant. (Peut-être une surestimation du rôle des derniers papes à la fin…).
    Bref, j’ai apprécié!

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