Pour la Fédération des États Unis du Levant

Marre qu’on ne parle à propos de la Syrie que de petits calculs politiques et guerriers ! Je ne peux pas croire que les peuples du Levant ne rêvent pas d’autre chose. Alors, je me prends à rêver avec eux.

C’est tristement amusant mais je n’ai pas encore entendu dans la bouche de nos zélites politico-médiatiques parler de l’après-guerre de Syrie. Comme si la guerre était le seul horizon de ce pays et de ses voisins martyrisés, et la manière de la faire le seul sujet. Une idée, notamment, dont on rebat les oreilles des Européens à longueur de journée sur le thème « l’Europe, c’est la paix et la prospérité », reste absente du discours de nos politiques et de ceux qui les commentent : c’est celle d’une union des peuples du Levant dans une structure politique adaptée à l’Histoire, à la démographie et à la sociologie de cette région.

La nuit dernière, fatigué de tout ce sang répandu jusqu’à nos portes, j’ai voulu m’évader en imaginant un truc inimaginable, évidemment, utopique à coup sûr, du genre à s’entendre dire « vous n’y pensez pas ! ». Mais, et c’est le privilège de l’homme libre qui n’a de comptes à rendre à personne, je me suis livré à la rédaction d’un projet purement spéculatif qui n’a strictement aucune chance de voir le jour. Quoique ! L’idée d’une Société des Nations est née il y a deux siècles dans le cerveau prolifique du très grand Emmanuel Kant, aujourd’hui déconsidéré par un Michel Onfray. Celle de l’Europe politique, qui a failli voir le jour avec Napoléon, a prospéré tout au long du XIXème siècle sur le thème du bonheur universel avant d’être finalement mise en oeuvre pour servir des intérêts privés. C’est pourtant cette idée qu’il conviendrait d’appliquer au Levant.

J’ose même dire que c’est la seule viable. Mais il n’est pas question d’appliquer là-bas des principes qui ont mis quatre siècles à s’imposer en Europe comme la démocratie élective ou la laïcité. Ces deux mots sont depuis vingt ans à l’origine de tous les maux du Levant ; il faut que l’Occident, s’il veut aider sincèrement ses populations, renonce à les imposer à ces civilisations qui les eussent depuis longtemps adoptés s’ils les avaient jugés appropriés à leur cas. La démocratie et la laïcité ne sont viables que dans les sociétés où seul l’individu est reconnu comme sujet et objet politiques. Dans l’Orient compliqué, la cohésion politique et sociale tient à mille autres fils.

Il me semble que la solution pour le Levant tout entier existe. Et, même, elle est déjà appliquée et démontre depuis cent-dix ans sa validité : c’est le modèle libanais. Adapté aux trois, ou même quatre, pays voisins du Liban, et complété, le modèle libanais est le seul viable et susceptible de ramener la paix pour longtemps au levant.

Le Liban fonctionne sur la base d’une des plus vieilles constitutions du monde, la Constitution du 23 mai 1926, qui pose un système original : une démocratie parlementaire confessionnelle. A la suite de la guerre dite civile mais, en réalité, en grande partie importée, de 1975 à 1990, l’Accord de Taëf a inscrit dans le marbre les règles suivantes : l’Assemblée nationale compte 128 députés, moitié chrétiens, moitié musulmans bien que ceux-ci soient majoritaires ;  son Président est chiite, le Premier ministre est sunnite : tous deux sont responsables devant les députés ; le vice-premier ministre et le porte-parole du gouvernement sont des chrétiens orthodoxes ; enfin, le Président de la République est obligatoirement un Chrétien maronite, c’est-à-dire catholique d’Orient. Ce système, institutionnalisé au Liban, fut, en réalité, longtemps en pratique en Syrie et en Irak, où les mêmes minorités cohabit(ai)ent, avant que l’Amérique et ses séides y instaurent le chaos. Au détail près que, dans ces deux pays d’obédience socialiste et officiellement laïcs, ce sont les dirigeants appuyés sur leurs armées qui en étaient les garants.

Ce modèle devrait inspirer les pays voisins, y compris Israël, si Israël veut survivre. Mais, pour ramener la paix dans toute la région, il faut aller plus loin : que les cinq pays qui forment le berceau de l’humanité monothéiste (Liban, Israël-Palestine, Syrie, Irak et Jordanie) renouent avec leur commune genèse. Pour cela, il leur faut rétablir les conditions de l’antique cohésion des peuples d’Orient. La situation née du partage de l’Empire ottoman étant ce qu’elle est, il n’est pas question de faire disparaître les États existants : ça, c’est le projet commun aux fauteurs de guerre islamistes et occidentaux. Il est au contraire question de les rendre plus forts et plus aptes à résister aux pressions étrangères en unissant leurs atouts. C’est ce qu’une Fédération rend possible.

Qu’est-ce que la Fédération des États du Levant ? Monsieur de La Palice répondrait : « une fédération » et il aurait raison ; la réponse est dans la question. Je vais donc vous dire ce que n’est pas une fédération. Une fédération n’est pas un état ; un état estpleinement délégataire de la souveraineté du peuple dont il est l’émanation : une fédération détient un pouvoir partiel que lui délèguent les états souverains qui y adhèrent. Un état est consubstantiel à son peuple ; une fédération est un cadre juridique dans lequel s’inscrivent les états qui la constituent. Un état est dépositaire et garant d’une identité commune à ses composantes : en cela, il se confond avec la nation ; une fédération n’a pas d’identité propre mais toutes celles des états qui y adhèrent. Une fédération n’est pas un état mais un corps constitué en commun par plusieurs états qui veulent, dans l’intérêt de leurs peuples, être plus grands, plus forts, plus prospères et plus solides qu’ils ne sont : une fédération est un mariage de raison. Cela n’empêche pas qu’elle puisse prendre, avec le temps, tous les attributs d’un état. Mais, à moins d’y être contraints par la force, les peuples ne s’y résignent le plus souvent qu’après des décennies.

La meilleure constitution possible pour une Fédération des États du Levant serait proche de celle des États-Unis d’Amérique : un régime présidentiel et bicamériste. Le parlement fédéral serait constitué d’une Assemblée et d’un Sénat. Pour réduire le déséquilibre démographique existant entre les pays adhérents, l’Assemblée fédérale compterait 1/3 de Députés équitablement répartis entre les pays et 2/3 répartis en fonction du nombre d’électeurs. Les Sénateurs, eux, seraient désignés par les Députés élus des pays membres. Il ne s’agit pas, évidemment, d’un Sénat à la Française, sans pouvoirs, voué aux fins de carrière et aux apparatchiks récusés par le suffrage universel direct ; c’est un Sénat à l’américaine doté de pouvoirs et de moyens, dont Tocqueville s’étonnait (dansDe la démocratie en Amérique) d’y trouver une assemblée aussi distinguée que la Chambre des représentants était vulgaire. Un cénacle où siégeait tout ce que l’Amérique comptait d’hommes de mérite et pétris de talent. Tocqueville attribuait ce phénomène au mode de scrutin au deuxième degré qui permettait au peuple de choisir sans le savoir ses membres les plus aptes à bien servir leur pays. Je gage que les peuples du Levant, mis en situation de choisir leurs représentants après des décennies de guerres et de chaos, seraient dans le même état d’esprit que ceux du nouveau monde à sa naissance.

Les prérogatives de la fédération seraient limitées à la monnaie, la politique étrangère, la défense, le commerce extérieur et l’énergie. Elle pourrait lever directement l’impôt sans passer par les états membres.

Mais, me direz-vous, quel intérêt aurait un état comme l’Irak, grand comme l’Italie et doté d’une population de 36 millions d’habitants, gorgé de pétrole et de gaz, à s’allier avec ses voisins impécunieux ? Quel intérêt aurait Israël (car j’insiste, Israël a toute sa place dans un projet tel que celui-ci), si puissant, si bien soutenu par l’Occident, si sûr de sa puissance et de son soutien qu’ils pourrait très bien se passer de cette union ? Quel intérêt aurait la Jordanie, royaume discret, respectueux de ses voisins (quoique, vis-à-vis de la Syrie…!) et respecté par eux ? Dans chacun des pays concernés, il se trouvera des gens pour s’étonner d’une telle idée. Mais tous, en réalité, y ont un intérêt suprême et, même, vital : la paix.

La paix, la véritable indépendance et la prospérité : voilà ce qu’une Fédération pourrait apporter aux États du Levant. Y compris, encore une fois, à Israël. Songez que pas un Israélien ou un Arabe de moins de 67 ans n’a connu la paix chez lui ou à ses frontières. Et songez que, depuis 2003, le chaos règne dans ces contrées où on meurt de la guerre, de la faim et du manque de soins : 1 million d’Irakiens décédés à cause de l’embargo, y compris sur les médicaments ; 500 enfants y meurent chaque jour de malnutrition (Source : Sénat France). Et quand on ne meurt pas, on est baladé d’un camp de réfugiés à un autre où on finit quand même par mourir de la chaleur ou du froid (1 800 000 pour le seul Liban, soit 30% de sa population).

Une fédération réunissant les cinq pays du Levant compterait 81 millions d’habitants (18ème devant l’Iran et la Turquie) sur un territoire de 740 000 km² gorgé de pétrole (2ème réserve mondiale) et de gaz (11ème réserve). Elle deviendrait l’une des quatre puissances régionales (avec l’Iran, la Turquie et l’Egypte) au carrefour de trois continents avec un accès à deux mers (la Méditerranée et l’Océan indien). Mais, surtout, je le répète, le vrai, le grand bénéfice d’un tel projet, c’est la paix. La paix, c’est la fin des privations et des souffrances pour des millions de gens ; c’est la fin de revendications de liberté pour de nombreuses minorités, dont les Kurdes, qui n’auraient plus de raisons de se battre les armes à la main ; c’est la fin des prétextes aux haines ethno-religieuses qui servent de justification aux pires crimes ; c’est la fin de l’assujettissement aux puissances étrangères qui ne leur veulent pas que du bien ; c’est la fin du gaspillage d’argent détourné de l’investissement pour l’avenir des peuples au profit du surarmement général, qui profite bien aux dites puissances étrangères, soit dit en passant.

Faire la paix, c’est couper l’herbe sous les pieds de Daech et d’Al Qaïda.

> Kader Hamiche anime un blog.

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3 Comments

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  • Anthony Coutret , 28 novembre 2015 @ 8 h 08 min

    Cher monsieur Hamiche,

    Quiconque ne connaît pas le Liban et la route de Damas peut être indifférent à vis paroles, mais votre vision, enfin, d’un futur stable pour cette région est rafraichissante quoiqu’un peu utopiste.

    Néanmoins penser la paix me parait au moins aussi important que penser la guerre. Le Levant et ses merveilles doivent être sauvés. C’est aussi dans notre intérêt notre stabilité…

    Mais ces terres n’ont jamais été unie que sous des empires. Quel saut qu’une fédération ! Le défis sont immenses.

  • Pascal , 28 novembre 2015 @ 16 h 59 min

    Quelques remarques :

    En premier lieu il convient de garder à l’esprit que les guerres de Syrie et d’Irak sont des guerres du pétrole. Qui contrôle les sources d’approvisionnement en énergie contrôle le monde développé et industrialisé, donc le monde tout court. Pour se faire l’Oncle Sam a fait dès le début de 1945 le choix du wahabisme contre la troisième Rome (Moscou) et accessoirement, mais de plus en plus, contre son protectorat ouest-européen.

    Les accords de Taëf signent la fin de la prédominance chrétienne au Liban. On a gardé pour le symbole la dévolution de la fonction de Président à un maronite mais le véritable pouvoir est depuis Taëf dans les mains du Premier ministre sunnite. Les maronites qui sont le sel de la nation libanaise sont divisés entre ceux qui soutiennent les chiites et ceux qui soutiennent les sunnites, ce n’est guère glorieux. On en est revenu à ce vieux réflexe de survie des minorités opprimées qui ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier, pour ne pas insulter l’avenir.

    Par ailleurs le Liban ne peut souffrir la comparaison avec la Syrie ou l’Irak. Le Liban est une entité politique plus ou moins indépendante (pas tout à fait une nation mais quelque chose d’approchant) depuis l’Emirat libanais que l’on peut faire remonter très loin dans le temps. Si nous sommes les inventeurs de la Syrie nous ne sommes que les parrains du Liban qui préexistait.

    Les options de la puissance mandataire que nous fûmes n’était pas si aberrantes que ça si Tonton Sam n’avait pas joué à Jurassic Park avec les salafistes. Un foyer national juif en Palestine, un foyer national chrétien au Liban, un foyer national arménien dans le sandjak d’Alexandrette (région d’Antioche) et une Syrie cantonisée (le canton des Alaouites, celui des druzes, etc…).

  • xrayzoulou , 28 novembre 2015 @ 19 h 54 min

    Je pense Monsieur Hamiche que votre idée n’est pas si mauvaise que cela. Le nerf de la guerre est le pétrole, entre autres, l’oncle Sam le convoite ardemment, comme il espère devenir le plus fort, le gendarme du monde… Pour cela il est appuyé par tous les illuminatis, le Nouvel Ordre Mondial ….. (Satanistes).
    Il serait bien de se remémorer la Bible, les évangiles …etc… Quand on se réfère à la naissance de Jésus, d’après la Bible, il devait naître à Bethléem, dans la tribu de Judas. Les évangiles le confirment, donc c’était en Israël. La Palestine en était une région. Mais c’était aussi un carrefour où toutes les nations se croisaient. Pourquoi cela a-t-il changé ?
    Les arabes et les juifs sont 1/2 frères, au lieu d’être la main dans la main, ils vivent à couteaux tirés. L’islamisme y est pour quelque chose, c’est triste. Prions pour la paix, l’obscurantisme perdra du terrain !

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