Réflexion sur l’encyclique “Laudato Si”

Peu avant la publication de l’encyclique du Pape François, Laudato Si, la plupart des commentaires focalisaient sur les implications et les liens qu’a cette encyclique avec le débat sur le changement climatique. Une tentative d’influencer ce débat fait clairement partie de l’objectif de cette encyclique, alors que cet exercice n’étaient plus effectué que par des organisations internationales, quelques ONG, des bureaucrates gouvernementaux et des professionels du lobbyisme. De plus, malgré les quelques intrusions dans des aspects très techniques, tel l’impact de l’air-conditionné, la véritable signification de ce long texte, ardu à lire par endroits, se situe plus généralement au niveau d’une réflexion théologique sur la relation de l’homme avec la nature.

Alors que la plus grande part de cette réflexion focalise sur l’environnement, deci-delà au fil de la lecture apparaît une analyse très négative du principe de l’économie de marché. Ceci tendrait à confirmer qu’on été recyclées, sans jeu de mots, les réponses obtenues aux questions posées à l’époque sur la teneur de certains points précis de l’exhortation apostolique “Evangelii Gaudium” du Pape François. Il est question en effet des mêmes objections relatifs à la nature de l’économie de marché, objections dont l’argumentaire déficient a pourtant été démontrée.

Il ne fait pas de doute que le fonctionnement de l’économie mondiale appelle très certainement la critique. Cette encyclique souligne à juste titre le problème des sauvetage des banques au frais de tout un chacun. Au cas où le monde devait se retrouver face à une nouvelle série de défaillances des banques, il ne fait aucun doute que les gouvernements agiront de la même manière et que le problème de l’aléa moral qui est à la racine de ce disfonctionnement du secteur financier serait ainsi renforcé. L’encyclique suggère également, à raison, qu’à la suite des évènements de 2008, il y eu un échec majeur pour réformer les systèmes financiers au niveau mondial. De même, sont parfaitement justifiés les mots durs qu’a le Pape à l’adresse de ceux qui considèrent la croissance de la population comme un danger pour l’environnement et empêcherait le développement économique.

Néanmoins, beaucoup de problèmes conceptuels et de douteuses affirmations empiriques caractérisent la vision que donne l’encyclique de la vie économique contemporaine.

Pour ce qui concerne les dégâts sur l’environnement, Laudato Si semble omettre le fait que la pire pollution produite par l’activité économique au 20ème siècle a été la conséquence directe de la planification centralisée d’une industrie étatique dans tous les pays sous régime communiste. Quiconque a visité l’Europe de l’Est ou l’URSS à l’époque et a vu ces campagnes dévastées témoignera sans ambage de la validité d’une telle affirmation.

Ensuite, on trouve dans cette encyclique des termes tels que “le Nord” et “le Sud” pour décrire les dynamiques de l’économie mondiale. Cette terminologie a été utilisée par divers papes dans un passé récent. Mais cela reflète aussi le corpus conceptuel de ce qu’on appelle le théorie de la dépendance selon laquelle les ressources, spécialement les ressources naturelles, s’écoulent de la “périphérie”, les pays pauvres, vers le coeur des pays riches et se faisant, bénéficient aux pays riches aux dépens des pays pauvres. Ceci signifie, selon les tenants de la théorie de la dépendance, que les pays périphériques devraient restreindre leurs échanges avec les pays développés et limiter l’investissement étranger. L’objectif étant de réduire leur dépendance en exportations de matières premières et de produits agricoles, tout cela étant censé induire l’émergence localement de secteurs d’activité industrielle.

Cette façon de comprendre l’économie mondiale, théorisée par certains économistes sud-américains dans les années 50, a été discréditée depuis longtemps. On ne trouvera plus beaucoup d’économistes de gauche prêts à soutenir ce genre de thèse. En effet, il y a bien des pays dans “le Sud”, tels que le Chili et l’Australie, qui sont classifiés formellement parmi les économies développées. De plus, ils sont devenu riches grâce partiellement à l’exportation de minerais et de produits agricoles ainsi qu’à des choix délibérés d’intégrer l’économie mondiale plutôt que de rester cachées derrière des barrières protectionistes et d’essayer de faire démarrer des activités locales par le biais de subsides.

Peut-on demander où les économies de l’hémisphère “Nord” comme la Russie et ses combines de capitalisme de copinage ou encore les économies des pays producteurs et à rente de pétrole se classent-ils dans ce schéma “Nord-Sud”? La réponse est simple: lls n’y ont pas leur place. Pour faire court: si le paradigme “Nord-Sud” est la lorgnette par laquelle le Saint Siège appréhende la scène géopolitique mondiale, cette manière s’accroche effectivement à des perspectives d’analyse de l’économie mondiale dont les limites étaient déjà très apparentes dans les années 70.

Un autre problème avec Laudato Si, déjà manifeste dans Evangelii Gaudium est une sursimplification des analyses de ceux qui pensent que l’économie de marché libre est pour les pays et pour le monde la manière optimale d’avancer. En voici un exemple:

“Dans certains cercles on soutient que l’économie actuelle et la technologie résoudront tous les problèmes environnementaux. De même on affirme, en langage peu académique, que les problèmes de la faim et de la misère dans le monde auront une solution simplement grâce à la croissance du marché.”

La croissance est en effet indispensable pour sauver les populations de la pauvreté. Il n’y a pas de remèdes à long terme contre la pauvreté persistante sans croissance et l’économie de marché possède une capacité sans pareil pour produire cette croissance. Peu importe ceux que l’on cache derrière les termes “certains cercles”, je n’en connais aucun parmi les défenseurs de l’économie de marché qui tient la croissance pour la réponse unique et suffisante pour combattre la faim et la pauvreté. Beaucoup d’autres choses doivent être mis en place, en particulier une structure institutionnel, culturel et moral. Cela commence par un élément aussi fondamental qu’un Etat de droit, largement absents des pays latino-américains et à propos desquels Laudato Si tout comme Evangelii Gaudium ne dit tout simplement rien.

Laudato Si affirme ensuite:

“Ce n’est pas une question de validité de théories économiques, que peut-être personne aujourd’hui n’ose défendre, mais de leur installation de fait dans le développement de l’économie. Ceux qui n’affirment pas cela en paroles le soutiennent dans les faits quand une juste dimension de la production, une meilleure répartition des richesses, une sauvegarde responsable de l’environnement et les droits des générations futures ne semblent pas les préoccuper. Par leurs comportements, ils indiquent que l’objectif de maximiser les bénéfices est suffisant. Mais le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l’inclusion sociale”.

Il est difficile de ne pas voir ici un language simplificateur. Ceux dont il est question sont en fait traités de malhonnêtes et cela constitue une sérieuse accusation. On trouvera tout le contraire d’une telle accusation dans les lectures d’auteurs tels que Wilhelm Röpke ou encore d’Adam Smith.

En effet, il n’est pas vrai, par exemple, qu’être favorable à l’économie de marché signifie nécessairement que l’on soit pas concerné par l’environnement et obsédé par le profit. Un grand nombre de tenants de l’économie de marché ont passé leur vie à chercher des moyens de faire correspondre l’intérêt économique avec les exigences du respect environnement. Ce sont ceux-là même qui pointaient du doigt les conséquences sur les générations futures de la course à la dette dans laquelle se sont lancé les gouvernements du monde occidental. Ceux qui sont plus en faveur d’interventionnisme d’Etat ou amateurs des théories de Keynes sont restés plutôt silencieux ou se sont contenté de penser que tout cela ne présentait un gros problème.

Enfin, vous aller pouvoir compter sur les doigts d’une main le nombre d’auteurs défenseurs de l’économie libre qui pensent que la liberté économique suffit pour assurer à l’espèce humaine un avenir radieux. Par exemple, prenons le cas d’Adam Smith. D’accord, tout dans Adam Smith n’est pas compatible avec la vision Catholique de l’homme. Mais la vision qu’il a du commerce et de l’échange s’inspire d’une vision civilisationnelle plus large laquelle (1) insiste sur la nécessité d’une société civile forte (2) reconnais qu’il y a des choses que seul un gouvernement est capable de faire et qu’il y aura des circonstances où l’intervention gouvernementale sera nécessaire et (3) souligne l’importance des vertues commerciales, classiques et, disons-le, Judéo-chrétiennes, lesquelles doivent prévaloir dans une société pour assurer qu’une libre économie fleurisse et qui bénéfiera au plus grand nombre plutôt que juste à une élite priviligiée jouissant de liens étroits avec la classe politique.

Il est en l’espèce plutôt triste et ironique que la même encyclique soit marquée par des appels tout à fait pertinents au sujet de l’environnement et les problèmes économiques qui y sont liés, et mentionne également des affirmations à l’emporte pièce au sujet de l’économie de marché et de ses défenseurs. Laudato Si fait valoir que l’Eglise n’a pas le monopole de la sagesse pour ce qui est de la dimension prudentielle des questions économiques et de l’environnement. Et pourtant, l’encyclique fait usage de termes tels que “le marché déifié” et “la conception magique du marché”, une mention pas justifiée de la théorie de “la main invisible” d’Adam Smith selon laquelle celle-ci relèverait du relativisme moral, d’incessants rappels de liens entre le marché et le matérialisme et le consumérisme, alors que ni l’un ni l’autre n’avaient pas grande difficulté de proliférer dans une économie planifiée, le manque de critiques des régimes de gauche tels que l’Argentine et le Vénézuela qui ont produit de la destruction économique et augmenté la pauvreté, et cette façon d’attribuer suspicieusement des mauvaises intentions à ceux favorable au marché libre, tout cela concourt à manifester ne pas être disposé à un débat ouvert et courtois.

Il est vrai qu’un certain clergé catholique, et autres activistes, ont l’air de penser que le dialogue avec le monde veut dire écouter plus ou moins essentiellement les politiciens de gauche, même athées ou carrément anti-catholiques. Ceci ne devrait pas être une raison pour stigmatiser la position de ceux qui souhaitent mettre en avant, argument difficilement contestable, le plus formidable et le plus rapide réducteur de pauvreté qu’est l’économie de marché, que ce soit à un niveau global ou national ou encore local et dont dépend l’entrepreneuriat, la liberté d’échanger et la croissance du capital.

Le plus rapides des coups d’oeil sur les écrits du Pape François permettent de remarquer tout aussi vite que Jorge Bergoglio n’est pas un adepte de la théologie de la libération. Il est un non-sens total de décrire le Pape adepte du marxisme. En effet, le Pape François pointe la défense de la vie innocente depuis la conception, ses condamnations de l’euthanasie sont claires, ses critiques de plus en plus féroces de ce monde foutraque connu aussi sous la dénomination de la “théorie du genre”, toutes ces positions contredisent radicalement le corpus idéologique émanant de la gauche.

Pour tout cela, et malgré l’indubitable authenticité de l’amour et le souci du Pape Francois pour les pauvres, il est regrettable que ce pontificat semble si peu enclin à s’engager dans une discussion sérieuse sur les mérites moraux et économiques de l’économie de marché par rapport aux alternatives possibles. Il est clair que le bien-être et le bien commun ne peuvent pas être réduits à l’efficience économique et la croissance. Ce ne sont pas les marchés libres qui sauveront nos âmes. Mais à condition qu’émerge un environnement éthique, social et institutionnel adéquat, la liberté économique et l’activité prospère qui en découle peut faire beaucoup pour nous délivrer de la maladie, de la pauvreté et de la stagnation économique qui aura marqué jadis la plupart des pays d’Europe et qui marque encore beaucoup de pays du tiers monde aujourd’hui.

C’est une leçon, il me semble, qu’une grande partie du monde catholique doit encore s’approprier.

*Samuel Gregg est chercheur senior et directeur à l’Institut Acton (site).

> Cette tribune a initialement été publiée dans The American Spectator (site). Elle a été reproduite avec l’accord de l’auteur. Traduction : Emmanuel d’Hoop de Synghem

Related Articles

4 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • A= Aristote , 30 juin 2015 @ 9 h 30 min

    On aurait attendu une sérieuse réflexion sur la notion de “nature” son rapport à la création et à l’action humaine , son influence sur la justesse de rapports humains ; mais comme dit un de mes amis: ” la voiture est plus petite , les idées aussi” .
    Par ailleurs comme le relève très bien l’auteur de l’article : trop de préjugés de “gauche” où est nécessairement la générosité .
    Il serait bon de rappeler des pensées comme celle de Wilhelm Röpke mais …

  • jpm , 30 juin 2015 @ 10 h 29 min

    Très lourde ignorance de l’auteur qui en est toujours à identifier la théologie de la libération avec le marxisme ! Pas la place pour répondre ici ! Mais vous pouvez toujours (pardon de me citer) aller sur mon blog “Terrorisme pastoral”. La TdL a des composantes variées toutes aussi nocives telle que la “théologie populaire”, dite “théologie argentine” qui est la référence déclarée du pape François.
    S’il vous plaît, étudiez avant d’écrire !

  • vavie , 1 août 2015 @ 0 h 28 min

    Au-delà des louanges qu’il serait incorrect de ne pas émettre à l’égard d’un discours qui exprime une juste préoccupation sur la santé future de notre environnement naturel, au-delà du droit et du devoir pour un pape, d’expliquer que la foi chrétienne est un support nécessaire à des réponses adéquates au défi d’un développement durable et global, l’encyclique suscite néanmoins des réserves qui relèvent de la culture qui imprègne notre Eglise et qu’il convient de verser au débat.
    L’encyclique porte d’abord cette attitude spontanément répulsive vis-à-vis du progrès technique et du développement. Cela est typique de la culture catholique longtemps restée centrée sur celle du paysan collé à sa terre et dont le temps est celui de la lente poussée de ce qu’on a semé, de la germination et de la fructification, et qui, de ce fait, manifeste de la méfiance face aux changements artificiels . Le Pape maintient à ce sujet un discours à consonance négative, alors même qu’aujourd’hui, on peut dresser un bilan qui ne peut ignorer les bienfaits de la démocratie, du confort matériel, des facilités de communication et de la qualité des soins apportés à la santé. Il faut attendre le point 102 (page 81) pour que l’encyclique concède ces bienfaits tout en les minimisant par leurs conséquences négatives tant d’un point de vue écologique que spirituel ou moral et en maintenant un regard incrédule sur les possibilités offertes par de nouvelles avancées technologiques pour répondre aux défis à venir. Y croire serait irrationnel et signe de mythomanie. C’est ce que le Pape nomme le paradigme technocratique ou techno-économique qu’il dénonce au point d’écrire que « si personne ne prétend vouloir retourner à l’époque des cavernes, cependant il est indispensable de vouloir ralentir la marche pour…récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane » (point 114 page 91). Il termine le premier chapitre consacré au constat, par ce jugement : « si le regard parcourt les régions de notre planète, il s’aperçoit immédiatement que l’homme a déçu l’attente divine » (point 61 page 51).
    S’il est vrai que le développement, fruit de la démocratie et de l’économie de marché, comprend sa part d’ombre, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour pasticher Churchill, on dira que démocratie et économie de marché sont de mauvais systèmes, mais après tous les autres. Permettez-nous, au contraire, de louer le monde magnifique que l’homme a pu faire émerger depuis deux siècles. Opéré de la cataracte grâce au laser, doté d’un appareil acoustique électronique et d’une prothèse de hanche, voici un homme qui me fait dire « les aveugles voient, les sourds entendent et les boiteux marchent » comme une réponse du Seigneur à la question de la venue de son royaume.
    L’homme peut aujourd’hui exprimer librement sa pensée, se déplacer comme il l’entend, bénéficier de procédures judiciaires qui le protègent de l’arbitraire du pouvoir. Contrairement à ce que dit trop péremptoirement l’encyclique, nos villes sont plus propres et plus belles que par le passé, la culture plus étendue que jamais, les rapports sociaux plus simples et plus authentiques. N’est-ce pas au cours de ce XXème siècle que la tiare et le trône papal porté par des hommes , ont disparu ? Il y a un peu plus d’un demi-siècle, sur 3 milliards d’hommes, un tiers vivait correctement, un tiers pauvrement et un tiers misérablement. Les famines sévissaient régulièrement. Aujourd’hui, on estime que sur 7 milliards d’habitants, 800 millions connaissent encore cet état de misère, soit 11% au lieu de 33 %. Les grandes famines n’ont plus cours.
    Nous avons appris aussi à être moins matérialistes. Si vous pensez que la dénonciation du consumérisme est un discours neuf, détrompez-vous. Dans un mandement de carême d’avant la grande guerre de 1914 -1918, l’évêque du diocèse de Namur vilipendait ce qu’il appelait « la société de consommation », la montée de l’esprit matérialiste, parce qu’à l’époque, nos arrières grands-parents pouvant accéder à l’acquisition d’un mobilier, ne vivaient plus que pour satisfaire cette ambition : posséder son salon et sa salle à manger. Ensuite, l’enrichissement se poursuivant, chacun rivalisait pour son paraître social, soucieux d’imiter le mode de vie bourgeois.
    La deuxième réserve porte sur cette tentation dirigiste à laquelle l’encyclique succombe. Cette tentation nait du sentiment qu’une maîtrise consciente des événements et des réponses qu’on y apporte, est plus recommandable qu’une attitude de laisser-aller. Elle anime les hommes de pouvoir appelés à diriger et les intellectuels qui rêvent d’en être les éclaireurs parce qu’eux, bien sûr, ont cette intelligence du fonctionnement du système à maîtriser. La perception critique de l’économie de marché mue par des forces « invisibles » traduit cette tentation dirigiste. Hélas, l’histoire démontre que les forces visibles sont plus malfaisantes, influencées qu’elles sont, par des jeux de rivalité et par l’amitié de ceux qui savent être bien en cours quand il ne s’agit pas de vulnérabilité aux manœuvres de corruption. Ces forces sous-estiment la complexité des problèmes et, plus grave encore, étouffent les potentiels de créativité. Non qu’il ne faille diriger ni encadrer la liberté de gérer notre maison commune. Mais face à l’écologie qui fixe le résultat et dicte des comportements – le « logos », il convient de laisser place à l’économie qui recommande un dispositif tel que, quels que soient les événements futurs, la voie la meilleure sera choisie- le «nomos ». C’est toute la différence entre gouvernance et gouvernement. La première est un dispositif tel que les meilleures décisions seront prises, sans que celles-ci ne soient prédéfinies ; le second est une fonction qui prend les décisions pour fixer un cap et y faire conduire l’organisation gouvernée. Les deux volets se complètent, mais il faut être attentif à ce que le gouvernement ne se libère de la gouvernance. La maxime de saint Augustin « Aime et fais ce que tu veux » relève du «nomos ». Jésus fait de même : « je vous commande de vous aimer » et ainsi vous porterez beaucoup de fruits. Mais Jésus ne dicte pas la nature de ces fruits, par ailleurs effectivement imprévisibles. La seule certitude, c’est que si l’on s’aime, ce seront les fruits qu’il importait de produire, qui surgiront.
    La troisième réserve nait d’un sentiment de frustration ; celle de ne pas entendre l’Eglise s’exprimer plus longuement sur le domaine où réside cependant sa compétence spécifique, à savoir la vision qu’elle peut nous esquisser sur le futur de l’humanité dans une dimension eschatologique. Quand le Pape écrit que « les meilleurs mécanismes finissent par succomber quand manquent les grandes finalités » (point 181 page 139), il met le doigt sur l’essentiel, ce qui doit nous interpeller et qui peut prendre la forme de questions ainsi posées par l’encyclique : « Pour quoi passons-nous en ce monde ? Pour quoi venons-nous à cette vie ? Pour quoi travaillons-nous et luttons-nous ? » (point 160 page 124). Mais l’encyclique reste silencieuse sur ces questions. Or, seule une mobilisation de l’humanité fondée sur la réponse à celles-ci, lui donnera le ressort nécessaire pour vaincre, grâce à une mise en marche vers la terre promise, la tentation d’un repli sur soi destructeur. C’est d’un Moïse dont l’humanité a besoin, non pour critiquer le chemin parcouru et encore moins pour nous ralentir, mais, au contraire, pour magnifier ce progrès accompli, pour saluer les artistes, les savants, les entrepreneurs et tous les travailleurs qui y ont contribué, et donner ainsi une motivation à sa juste poursuite par laquelle se dévoilera peu à peu le contour du destin du peuple de Dieu ; un destin qui ne peut être que glorieux, parce que construit par l’Esprit qui nous habite en vertu de l’alliance qui nous unit au Père, à tout jamais.

Comments are closed.