Départementales et école des fans

Franchement, c’est inattendu, mais apparemment, tout le monde a gagné.

Déjà et avant tout, c’est encore une victoire écrasante des abstentionnistes : certes, ils étaient plus forts au premier tour, mais c’est toujours le parti d’en rire et celui de s’en foutre qui ont, une fois de plus, décroché la timbale puisque près de 50% des électeurs ont préféré aller à la pêche ou faire un excellent tiramisu pour occuper leur dimanche, ce qui est une saine occupation à base de cacao que je recommande à tous les obstinés du bulletin inutile.

De façon anecdotique, c’est aussi la victoire microscopique mais fanfaronnée de toutes les micro-gauches bigarrées et gourmandes qui trouveront toujours un motif pour se réjouir : entre le canton de Trucmuche qui, grâce l’alliance trans-partisane des gauches ouvrières, syndicales, écologiques et citoyennes (au minimum) a – vaillamment – repoussé le Front National, et le canton de Bidulechouette qui a conservé tel élu communiste à son poste, les petits partis trouveront largement de quoi se congratuler alors que le pays continue à s’agiter dans des soubresauts que d’aucuns qualifieraient de post-mortem.

Mais avant tout, c’est, de l’aveu de tous nos journalistes, philosophes, sociologues, politologues et autres experts de la statistique post-électorale, une jolie victoire de l’UMP : la stratégie du « ni Front National, ni Parti Socialiste » a fonctionné en accroissant sans aucun doute la déroute mémorable du camp socialiste. Il n’y a pas eu de front républicain, ni officiellement pour la droite (d’où l’effroi, justifié rétrospectivement, de Valls), ni dans les faits pour la gauche. Oh, bien sûr, il y a eu moult arrangements entre amis, copains et coquins pour que le changement de mains ne se fasse pas trop dans la douleur. Lorsque les opposants sont les mêmes depuis des lustres, on ne voudrait surtout pas que les petits nouveaux (du Front National, ici) arrivent et mettent à mal les délicats compromis qu’il aura fallu généralement des années pour tisser entre les uns et les autres et qui ont permis de conserver tout un paquet d’affaires sous le discret boisseau départemental.

D’une certaine façon, c’est aussi victoire du PS qui aura réussi à contenir le Front à sa partie congrue. Oui, certes, j’en conviens, le FN aura mis à mal un paquet d’élus locaux du PS en parvenant à se hisser au second tour et à décrocher un poste. Certes aussi, il a récolté un nombre considérable de votants. Mais tous ses efforts ne lui auront permis de ne récolter aucun département (comme prévu, du reste), ce qui était en réalité le but clair de tous les socialistes chauds ou froids, depuis le premier ministre en passant par les militants PS et jusqu’aux sympathisants UMP. Magnifique stratégie qui a le mérite d’à la fois conserver le FN hors de portée du pouvoir (pour le moment), et de ne pas du tout accréditer les thèses de collusion de la vociférante cheftaine nationaliste.

Avec tous ces beaux victorieux, il faudra un perdant. Et ce perdant sera sans conteste le Front National.

Perdant étrange : encore une fois, bien que ne pouvant bénéficier que d’une dynamique de report extrêmement ténue (avec une porosité vers la droite et la gauche à peu près équivalente, n’en déplaise aux petits bobos sensibles des rédactions de journaux mainstream), le parti récolte tout de même plus que le Parti Socialiste ou que l’Union de la Gauche, et réalise la prouesse de ne décrocher aucun département, au contraire de ces deux précédents blobs politiques…

On m’objectera que c’est la logique électorale, la construction même du conseil départemental (anciennement général) qui aboutit à ce curieux phénomène où un parti qui récupère assez régulièrement un nombre considérable de voix, que ce soit dans des élections nationales ou locales, à la proportionnelle ou au scrutin majoritaire, ne parvient presque jamais à concrétiser cela en postes d’élus. On m’expliquera que c’est ainsi que la Vème République a été conçue, avec, quasi-intrinsèquement, un bi-partisme à peine caché, et puis c’est peut-être un peu bizarre mais finalement, c’est aussi bien comme ça, c’est aussi ça, la « démocratie », et puis voilà c’est tout, n’en parlons plus.

Soit. Mais il faut être conscient d’un problème évident : d’une part, il devient ardu de prétendre avoir des élections démocratiques et obtenir, régulièrement, un résultat en décalage flagrant avec les attentes d’une quantité croissante de Français, aussi nauséabonde soit-elle pour le pouvoir alternatif en place. Cela ne peut que renforcer la fracture entre le peuple et les élus (qui ne sont pas gênés tant que continue la rotation élective).

D’autre part, et c’est à mon avis bien plus gênant, il faut aussi comprendre que lorsque le Front National parviendra effectivement à concrétiser son assise par des élus, le basculement sera à la fois rapide et massif, sans la moindre possibilité pour les perdants de voir arriver le bouleversement. Et je dis bien « lorsque » et pas « si » : la dynamique, évidente, montre que le FN a parfaitement compris à la fois la méthode pour drainer des militants vers lui, et le discours à prononcer pour s’assurer des votes. Il est loin le temps du papa, celui des braconnages de voix sur les terres de la droite. La chasse est maintenant ouverte sur celles de la gauche et de l’extrême-gauche, où le gibier est abondant, les troupeaux apeurés n’ayant pour chef que des limaces sans colonne vertébrale idéologique, prêts à toutes les petites bassesses pour conserver le pouvoir.

De ce point de vue, Manuel Valls, obstinément premier ministre de ce pays, marque un point lorsqu’il déclare

« Les scores beaucoup trop élevés de l’extrême droite restent un défi pour tous les républicains. Ils sont la marque d’un bouleversement durable de notre paysage politique. »

Il se trompe cependant en ne comprenant pas la nature du bouleversement, sourd, profond, qui se joue sous ses pieds. Déjà, il ne comprend pas que l’ère de la droite prête à se sacrifier pour sauver un élu PS, finalement pas différent de son élu à elle, est révolue. Il ne comprend pas non plus que l’ère où le Français votait FN discrètement, sans le dire, pour éviter l’ostracisme, est elle aussi révolue. Il ne comprend pas que toutes les tactiques grossières qui ont été employées jusqu’à présent sur le FN sont en train de se retourner contre lui et tous ceux qui en usent encore. Et surtout, il ne comprend pas que dans ces élections, tout le monde a gagné, sauf plusieurs millions de Français. Or, il ne faut pas tant de monde pour créer des mouvements puissants de mécontentement, durables et dangereux.

En fait, ces départementales résonnent comme une victoire de l’UMP et des forces de droite traditionnelles seulement pour les vieilles oreilles pleines d’acouphènes de nos journalistes et de nos politiciens habituels. Les premiers, bien trop subventionnés, n’ont plus l’habitude d’écouter le terrain. Les seconds, trop coulés dans le moule pratique de l’opposition gauche-droite, n’entendent que le carillon de l’alternance.

Malheureusement, si l’on prête vraiment attention au tintement actuel, c’est en fait celui du glas.

> H16 anime un blog.

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8 Comments

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  • OFMAR , 30 mars 2015 @ 17 h 58 min

    Excellente analyse que j’ai entendue ébauchée , l’esprit de synthèse, le savoir et le savoir-faire faire en moins, toute la journée, dans des endroits publics et points d’eau du quartier de la Goutte d’Or, assurément le plus cosmopolite de Paris.

  • Marino , 30 mars 2015 @ 18 h 03 min

    “Il se trompe cependant en ne comprenant pas la nature du bouleversement, sourd, profond, qui se joue sous ses pieds.”

    Un peu hors sujet…. mais J’adore ce que le Figaro publie

    * Des responsables comparent Valls au copilote de l’A320

    Christophe Perny, candidat socialiste malheureux dans le canton de Lons-Le-Saunier, et ancien président du Jura a vivement réagi à la défaite socialiste d’hier soir : « On change rien on continue alors qu’on est dans un désastre, et un suicide politique, qu’il est train de nous faire, j’ai envie de lui dire ‘Manuel sors de cette cabine avant de tous nous écraser ».

    Une allusion directe au crash de l’Airbus A320 de la GermanWings mardi dernier, provoqué par le suicide présumé du copilote Andreas Lubitz. Christophe Perny poussant la comparaison encore plus loin : « Manuel Valls n’entend rien, il est sourd, aveugle ».

    Ce matin, un ancien ministre, cité en off dans le Parisien, avait lui aussi osé la comparaison : « Valls est enfermé dans le cockpit, Hollande est parti aux toilettes et tous les socialistes dans la cabine vont au crash ».

    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/03/30/97001-20150330FILWWW00269-des-responsables-comparent-valls-au-copilote-de-l-a320.php

  • xrayzoulou , 30 mars 2015 @ 18 h 15 min

    Marino,
    D’accord avec vous. vals est bien le copilote de l’A320, islamiste et qui veut démolir la France.
    C’est un “pseudo suicide” : c’est un démantèlement de la France, qu’il veut donner sur un plat aux islamistes, ce pays qui n’est même pas le sien !!!!

  • Stephan_Toulousain , 30 mars 2015 @ 18 h 17 min

    On n’a pas dû faire les mêmes élections. J’ai voté pour un binôme qui me représenterait au conseil départemental et qui donne une couleur à un canton. Couleur est vite dit car dans le suffrage majoritaire 1 voix suffit .
    mais quand j’entends la télé , ou que je regardes les médias, on me parle de présidences de conseil départemental, élection, si je ne m’abuse qui auront lieu jeudi prochain.
    Alors j’aurai aimé qu’on me dise qui a été élu dans mon canton, quels sont les couleurs représentées dans mon conseil départemental;, combien chaque parti a-t-il de représentant élu dans le conseil départemental, et au niveau national.
    Non seulement je peine pour obtenir ces chiffres, mais on me bassine pour des considérations autres que celle des éléctions auxquelles j’ai participé.

    Vous voulez savoir qui a gagné, qui a perdu ? prenez le comptage de représentants sortants et le même de représentant entrant. le delta vous dire si vous avez gagné ou pas.

  • pas dupe , 31 mars 2015 @ 11 h 00 min

    “…le journal Le Monde, en date du 26 mars 1986 : sous le titre Inquiétude dans la communauté juive, on peut lire :

    « Enfin, les associations B’nai B’rith « lancent un appel à la vigilance, attirent l’attention des partis de la nouvelle majorité contre toute tentation de vouloir reprendre les slogans extrémistes sur l’insécurité et les idées xénophobes à l’encontre des immigrés » et « rappellent aux représentants de ces partis leurs engagements pris, au cours des forums du B’nai B’rith, devant la communauté, déclarations reprises après proclamation des résultats du vote, de ne s’allier en aucun cas au Front national ».

    C’est pourtant clair, non ?…”
    http://france-licratisee.hautetfort.com/archive/2012/10/05/le-crif-se-lasse-de-l-antisemitisme-obsessionnel-de-jean-mar.html#comments

  • YVES , 31 mars 2015 @ 14 h 27 min

    J’éspère que les amies du PS(UMP) vat disparaitre petit a petit et ce grasse a SARKO qui a subitement des idées pour la France il ne les a pas eux avant il a du passer par Lourde enfin il faut éspèrer qu’il aura de bonnes idées pour toute les affaires qui le concerne.Mais enfin bravo le FN car vous avez la majorité des Français qui votent pour vous

  • Charles , 2 avril 2015 @ 8 h 32 min

    Nous assistons à une pièce de théâtre dont un nouvel acte vient de nous être joué.
    Ollandouille devrait vider les conseils départementaux de plusieurs prérogatives.

    Pour les régionales de décembre, il devrait y avoir un pacte secret entre PS & UMP
    afin de maintenir le barrage contre la Résistance. (fusion surprise entre T1 & T2).

    D’autres actes suivront,le prochain à la Noel de 2015, le suivant au printemps de 2017.

    Entre temps, nous aurons les présidentielles américaines de 2016.
    Elles auront un impact décisif sur le reste du monde si le nouveau président(e)
    est une personnalité libre et de vraie conviction dans la ligne du “Tea Party”

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