Hommage à Raoul Girardet

L’historien du nationalisme est décédé récemment. Portrait d’un homme libre et patriote.

De jeune étudiant « Action française », tendance Jacques Bainville, il devint un esprit élégant, historien un peu anar de droite, à tout le moins désabusé. Cet homme qui avait le courage de ses opinions fut deux fois emprisonné, en 44 pour résistance et en 61 pour ralliement à l’OAS.

Jacques Rougerie, historien de gauche, le tenait en haute estime et me raconta avoir, un beau jour, remonté les bretelles d’un jeune étudiant gauchiste qui beuglait « Girardet facho ! ». Girardet, de son côté, appréciait également Rougerie, et n’hésita pas à mettre le pied à l’étrier à Gaetano Manfredonia. Ce militant anarchiste soutint une thèse de doctorat sur l’histoire de l’anarchisme sous la direction de Girardet et le résultat fut probant. Girardet eut à cœur de lui procurer un job à Sciences Po, dans la grande tradition de l’université libérale qui récompensait le mérite et l’intelligence sans souci des divergences politiques.

« J’avais toujours peur qu’il me sorte un couteau ! »

Facétieux, Girardet aimait plaisanter avec des collègues sur Manfredonia en déclarant au sujet de ce chevelu d’extrême-gauche : « J’avais toujours peur qu’il me sorte un couteau ! ». Par ailleurs, il déclarait volontiers à ses étudiants : « Sur le blason de Sciences Po figurent un lion et un renard. J’ai vu entre ces murs quelques renards mais très peu de lions ». Il pensait notamment à René Rémond, qu’il n’estimait guère pour n’avoir « rien fait sous l’occupation », comme il me le confia un jour.

Un autre fois, Girardet me raconta une anecdote révélatrice du climat postérieur à 68 : un étudiant se tient comme un veau, il lui demande le silence, l’étudiant le provoque en lui disant « voulez-vous voir mon sexe ? », Girardet lui rétorque « à condition de me fournir une loupe » et, lorsque le lendemain il raconte cet épisode à un collègue, ce dernier, au lieu de blâmer l’étudiant malotru, s’offusque de la répartie de Girardet en ces termes : « Oh ! vous, alors, c’que vous êtes de droite ! » (sic). Heureusement, pourtant, que dans le sillage de Raymond Aron, une poignée d’esprits comme Girardet résistèrent aux inepties de 68.

« Mythes et mythologies politiques est un livre splendide, qui fut longtemps un classique à Sciences Po »

En tant que témoin du 20e siècle, Girardet me mit la puce à l’oreille au sujet du clivage gauche-droite. Mon livre Naissance de la gauche établit que ce clivage date seulement du 20e siècle. En tant que membre de mon jury de thèse, Girardet rencontra le juriste centre-gauche François Burdeau, et ils déjeunèrent ensemble dans une ambiance des plus chaleureuses. Toujours cette tradition de l’université libérale, en voie d’extinction depuis que les chercheurs de droite sont sur liste noire. Jean-Pierre Azéma, que je croisai un jour dans le bureau de Girardet à Sciences Po, me prit carrément pour un demeuré, inférant de mes cheveux courts que j’étais un thésard épousant le nationalisme de Girardet, sans réaliser à qui il avait affaire, et faisant fi de la probité de Girardet dont une internaute rappelle qu’il « laissa toujours libres » ses étudiants.

Mythes et mythologies politiques est un livre splendide, qui fut longtemps un classique à Sciences Po. Travaillant à ma thèse, j’ai retrouvé chez des auteurs du 19e siècle la mythologie politique du sauveur, mise en lumière par Girardet, qui oscille entre l’archétype de Cincinnatus, la vieillesse sécurisante, et celui d’Alexandre, qui symbolise « la hardiesse conquérante des jeunes capitaines avides de se précipiter dans la gloire : la celeritas ». Par la suite, mon deuxième livre fit référence à de nombreux articles de l’historien, ainsi qu’à son cours dactylographié intitulé Le Mouvement des idées politiques dans la France contemporaine. Ce manuel, rarement cité et souvent pillé, reste un modèle du genre, à l’instar des cours dactylographiés du juriste Jean de Soto. Raoul Girardet signa, en outre, une savante Histoire de l’idée coloniale.

Lire aussi :
> Un historien patriote s’en est allé

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5 Comments

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  • patrhaut , 3 octobre 2013 @ 16 h 43 min

    Raoul Girardet resta toujours marqué par les leçons de MAURRAS (encore un !) comme en témoignent les entretiens qu’il eut avec Pierre ASSOULINE et qui furent publiés en 1990 sous le titre “Singulièrement libre” (Perrin) qu’on ne peut que conseiller à ceux qui ne l’ont pas lu.
    Ainsi, il y expliquait pourquoi un maurrassien ne peut tomber dans le fascisme:
    “La doctrine maurrassienne constituait à cet égard une barrière solide: la conception totalitaire de l’Etat et de la société lui était complètement étrangère. Le national-socialisme allemand était dénoncé quotidiennement dans “L’Action Française” comme l’une des pires incarnations du germanisme éternel, un “nouvel Islam” disait Léon DAUDET. Restait enfin la hantise du danger allemand, la menace qui se précisait, le vieux réflexe national de défense.
    BAINVILLE avait sans doute disparu, mais ses leçons restaient présentes. Nous étions trop imprégnés d’elles pour rêver à Nuremberg, à son exaltation de la terre et du sang, et à ses cathédrales de lumière…” (page 37)

  • PG , 3 octobre 2013 @ 20 h 46 min

    Heureux de lire ces hommages à l’un des mes meilleurs professeurs de SC. PO : puits de science, sans jamais être pédant, très ancré dans de fortes convictions, sans jamais les imposer, riche d’arguments mais laissant toujours élégamment une porte ouverte sur la liberté d’en douter.
    Si qq uns à droite aujourd’hui pouvaient le relire, ils en écriraient mieux et penseraient avec plus de finesse, préférant l’intelligence de la forme quand elle contient du fond, à la brillance de l’apparence qui s’est affranchi du goût du vrai.

  • Hubert Montmirail , 4 octobre 2013 @ 9 h 19 min

    Très intéressant: un esprit brillant, qui a participé à des combats qui lui ont valu l’isolement. Dommage qu’à la fin de sa vie (je vise les années 1990) il n’ait pas été lucide sur certains phénomènes de destruction patente de l’identité française (immigration, etc.).

  • albert , 5 octobre 2013 @ 9 h 08 min

    La référence constante à Charles Maurras lui interdit de sombrer dans la démagogie fasciste , un héritage du Risorgimento .
    Elle l’empêcha surtout d’appréhender les temps nouveaux qui s’annonçaient : après le comte de Boulainvilliers , le baron de La Brède et le ( faux ) comte de Gobineau , les partisans du darwinisme social saisirent les bases réelles de l’histoire : non la lutte des classes , mais la lutte des races ( prof Ludwig Gumpluwicz dixit ).
    L’érudit disert que fut le professeur Girardet , lui , ne comprit strictement rien .
    Il n’avait rien compris à la société des castes de l’Inde et les clés pour interpréter ” La République ” de Platon lui manquaient .
    Le pauvre ! Il se situait juste au-dessus de la plèbe gauchiste .

  • Aaron , 6 octobre 2013 @ 23 h 56 min

    Pouvez-vous expliciter votre commentaire ? Merci;

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