Algérie : une tragédie française

Il y a trois mois, Guy Pervillé a fait paraître son ouvrage Oran, 5 juillet 1962, Leçons d’histoire sur un massacre. Le 5 juillet 1962, le jour-même de l’indépendance de l’Algérie, fut commis à Oran, un massacre qui frappa les Français, longtemps majoritaires dans cette ville. Le bilan, connu dès 1963 par un rapport officiel mais resté secret de Jean-Marie Huille, et confirmé d’après les archives publiques consultées par l’historien Jean-Jacques Jordi en 2011, est proche de 700 morts et disparus. On a parlé d’un lien entre le massacre d’Oran et la stratégie tortueuse du colonel Boumedienne, chef d’état major général de l’Armée de Libération nationale dans sa lutte contre le Gouvernement provisoire (GPRA), qui aurait suscité ce massacre pour pouvoir s’emparer d’Oran en y rétablissant l’ordre. Mais aucune preuve de cette hypothèse n’a été trouvée.

En novembre 1964, Louis de Broglie estimait à 2 788 Pieds-noirs, les tués avant le cessez-le-feu de mars 1962. Il y ajoutait, après cette date, 3 018 enlèvements dont 1 282 retrouvés. Et nous savons qu’il y eut, après le cessez-le-feu, plus de 500 militaires « morts pour la France » en Algérie, dont plus de la moitié tués ou enlevés par le FLN. Au total, il y eut donc 5 000 Français assassinés après la cessation officielle des combats. 

A la date des accords d’Evian en mars 1962, Il y avait déjà eu 530 000 départs de Pieds-noirs, soit la moitié de la communauté recensée en 1960 (plus d’un million dont 130 000 Israëlites présents dans le pays 700 ans avant les Arabes). Le programme de Tripoli adopté par le FLN en juin 1962, et tenu secret jusqu’en septembre 1962, ne cachait pas la volonté d’accélérer le départ des Français par des mesures « socialistes » d’expropriation. Environ 350 000 se sont exilés entre mars et décembre 1962 puisque selon l’ambassade de France à Alger, il restait 180 000 Français en Algérie en décembre 1962, parmi lesquels 10 000 coopérants venus de la métropole. 
Ainsi se termina l’aventure française en Algérie, ou plutôt sur le territoire appelé ainsi aujourd’hui. Car ce pays est une création du colonisateur. Avant 1830, il s’agissait simplement de plusieurs régions situées entre deux pays authentiques, le Maroc des sultans alaouites et la Tunisie des beys d’origine turque.

Ce qui peut être considéré comme une tragédie est le fruit d’une absence de choix dès l’origine. Les deux pays voisins ont été acquis en tant que protectorats. Il n’avaient donc pas vocation à être « francisés » et assimilés. Il s’agissait simplement d’un accroissement territorial et d’une influence culturelle pour la grande puissance internationale qu’était la France. Napoléon III avait envisagé tout d’abord ce destin pour l’Algérie et parlait de Royaume arabe, ce qui supposait une administration indirecte et la promotion politique d’élites arabo-berbères. Mais il publia une brochure en novembre 1865, où il définissait ainsi l’Algérie : “Ce pays est à la fois un royaume arabe, une colonie européenne et un camp français.” Cette phrase est emblématique de l’extrême confusion qui régna sur le sort à réserver à ce territoire, confusion qui se poursuivra jusqu’au bout.

Il y a bien trois manières de dominer un territoire d’outre-mer. Soit le protectorat sur un Royaume arabe voué à l’indépendance à terme, comme le Maroc ou le Cambodge. Soit la colonie de peuplement comme le Québec, qui suppose le refoulement et/ou l’absorbtion des indigènes (60% des Québécois ont au moins un ancêtre amérindien mais sont indiscutablement français sur le plan ethnico-culturel). Soit le camp militaire, où l’on administre militairement un territoire laissé aux indigènes qu’on espère « élever à la civilisation » ainsi que le disait Jules Ferry, comme l’Afrique occidentale et équatoriale françaises (AOF et AEF). Jamais le choix ne fut effectué et l’Algérie coloniale demeura un mélange des trois statuts (surtout les deux derniers jusqu’à de Gaulle), avec tous les mensonges que cela suppose à l’adresse des deux communautés.

Cette relation biaisée durant cent trente ans se poursuit jusqu’à nos jours, avec ses effets délétères et immaîtrisables. Les jeunes Algériens ne réclament plus l’indépendance qu’ils ont acquise, mais des visas d’immigration. De Gaulle, dont la gestion de la fin de guerre fut pour le moins hasardeuse, avait conscience du danger de ce cordon ombilical non tranché. Lors de son entrevue avec le président algérien Ben Bella, le 13 mars 1964, il lui déclara fermement: « Cessez de nous envoyer des travailleurs migrants, qui essaient encore de se faire passer pour des harkis. Nous n’en avons que trop. Vous avez voulu l’indépendance, vous l’avez. Ce n’est pas à nous d’en supporter les conséquences. Vous êtes devenu un pays étranger. Tous les Algériens disposaient d’un an pour opter pour la nationalité française. Ce délai est largement dépassé. Nous n’en admettrons plus. Débrouillez-vous pour les faire vivre sur votre sol. » Ce qu’il précisa devant Alain Peyrefitte: « L’Algérie vit pour un tiers de ce que les travailleurs algériens gagnent en France. Si un beau jour ils nous emmerdent (sic) et que nous les foutions tous à la porte, eh bien l’Algérie crèverait, c’est évident.”

En revanche, le choix courageux du Général de se débarrasser d’un territoire qu’il eut mieux valu ne pas acquérir en l’absence d’objectif précis, découlait d’une analyse politique, donc cynique. Dans sa thèse Pour en finir avec la repentance coloniale (2008), Daniel Lefeuvre rompit avec les idées reçues en rappelant qu’en 1959, l’Algérie engloutissait 20% du budget de l’Etat français ! En soignant les populations algériennes et en faisant reculer la mortalité infantile, la France avait créé les conditions d’une catastrophe qu’elle s’était elle-même condamnée à gérer. En 1845, au premier recensement colonial, l’Algérie était peuplée de 2 028 000 musulmans (chiffre immuable depuis l’Antiquité), en 1954, au dernier recensement avant l’indépendance, de 8 449 000 musulmans. Résultat du dévouement du corps médical français, les dernière temps, chaque année 250 000 naissances nouvelles étaient comptabilisées en Algérie, soit un accroissement de 2,5 à 3% de la population soit un doublement tous les 25 ans. « L’Algérie française » allait très vite aboutir à la « France algérienne », ce que certains partisans d’alors de l’intégration/citoyenneté admettent aujourd’hui discrètement, comme Jean-Marie Le Pen.

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33 Comments

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  • jean Dutrueil , 11 juillet 2014 @ 10 h 29 min

    @ bainville,

    Encore un pauvre petit catho heurté parce qu’on ose critiquer sa sacro sainte religion qui est soit disant la “Vérité Unique de l”humanité”

    Concernant Lugan: vous avez qu’a le lire, je n’invente strictement rien, je vous conseille son ouvrage “Rwanda, l’Église, la démocratie et le génocide”: vous verrez ce qu’il en pense de vos fameux “Pères Blancs” expliquant que c’est bien leur évangélisation cynique qui a provoqué malgré elle le génocide!

    Concernant les pré-chalcédonien, c’est votre propos, monsieur le petit catho qui est absolument ignoble et méprisant envers eux.

    Mais cela ne m’étonne guerre, un petit catho comme vous ne fonctionnant que par “Révélation” et “Vérité Unique” n’a bien souvent aucune vrai culture historique surtout concernant sa religion qui est forcément parfaite et véridique au mépris de toutes les autres et aussi des fais historiques qui ne sont pas toujours très glorieux.

    Je vous conseille tout simplement de lire un livre d’histoire sur la période, que constaterez-vous?

    Tout simplement que les chrétiens sémites convertis de première génération du Levant, d’Éthiopie et d’Égypte ont développés très tôt des théologies refusant l’incarnation du Christ à travers des “hérésies” telles que l’arianisme ou le nestorianisme.

    Refusant les conciles de Nicée (4ème siècle) et de Chalcédoine (5ème siècle), conciles dont les votes étaient majoritairement européens et non sémites, les égyptiens, coptes, ont été effroyablement persécutés par le pouvoir byzantin.

    Il y a eu plus de victimes coptes persécutées par le pouvoir chrétien de Byzance dans le seul règne de Théodose “Le Grand” que de persécutés chrétiens par les romains païens pendant toute la durée de l’empire romain païen!!!

    Si vous n’êtes pas d’accord avec ce fait, je vous conseille de pétitionner auprès de l’historien de l’antiquité, catholique, Yann le Bohec!

    Après le concile de chalcédoine, ils furent excommuniés tant par Rome que par les Églises orthodoxes européennes pendant 1500 ans, ce n’est qu’à une date très récente qu’ils ont repris le dialogue.

    Vos propos prouvent, monsieur, à quel point votre soit distante religion de “Paix et d’Amour” est justement la négation même de l’Amour.

    D’une part car dès qu’on la critique, certains de ses adeptes dont vous faites parties, rentrent dans une espèce de transe fanatique au nom des propos de Jésus “celui qui n’est pas avec moi et contre moi” phrase ayant déclenchée tant de persécutions dans le monde, notamment la très funeste guerre de religions en Europe entre protestants et catholiques.

    Mais d’autre part aussi et surtout car votre religion ne peut accepter la différence, elle ne peut comprendre que d’autres races, d’autres peuples développent eux-mêmes leur propre vison du divin, chose qu’elle refuse, se sentant obliger de tout convertir (parfois dans de grandes violences: exemple la christianisation de l’Empire Romain qui ne s’est pas tant fait au travers de bisous évangéliques que par le recours à la violence systématique), bref de produire toujours du même, de l’indifférencié, de l’indistinct et donc de refuser l’autre tel qu’il est.

  • Bainville , 11 juillet 2014 @ 11 h 29 min

    Votre profonde méconnaissance de la religion catholique ne vous permet pour autant d’insulter ceux qui connaissent un tout petit peu l’histoire de l’Eglise.

    Ne pas reconnaître, contre l’évidence et les faits historiques cent fois prouvés, la divinité du Christ ou même son incarnation, c’est refuser de faire partie de l’Eglise et s’excommunier soi-même.

    Le fatras de vos imprécations et amalgames historiques tendancieux, rend votre propos dérisoire.

  • Jean Dutrueil , 11 juillet 2014 @ 15 h 04 min

    @Bainville,

    Ok, donc ceux qui s’excommunient en refusant le dogme de l’Incarnation, il faut les persécuter selon vous?

    Car concernant les pré-chalcédoniens c’est bien ce qui s’est passé, que vous le vouliez ou non.

    Et vous croyez une seule seconde que les faits historiques ont prouvé l’incarnation de Jésus?

    Lesquels,vous pouvez me dire?

    Car, jusqu’à présent, selon les faits historiques, il était probablement bien plus, à l’origine, un patriote juif qui se rebellait comme tant d’autres de ses coreligionnaires contre l’impérialisme romain et la complicité des élites juives avec l’empire que le Christ, qui 300 ans plus tard, à travers les conciles européens deviendra Fils incarné d’un Dieu trinitaire à l’image des dieux païens pré-chrétiens européens tels que Mithra, Sérapis, Orphée, Krishna, etc.

    Mais ça vous ne pouvez l’accepter car l’histoire ne correspond pas avec votre dogme de “Vérité Unique”!

  • Ivane , 11 juillet 2014 @ 15 h 59 min

    On ne s’est pas “débarrassé” de l’Algérie. Elle est plus que jamais présente (et couteuse) à la France. Elle est même très certainement la cause qui va emporter la France.
    De Gaulle aura, en plus d’avoir trahi sa parole, les pieds-noirs, les harkis et l’armée, trahi la France. tant il est vrai que cette frontière-là ne se défendait qu’au delà de la mer… D’ailleurs Le Pen, puisqu’on veut le citer, disait, à la suite de Soustelle, que, “si l’on ne faisait pas l’Algérie française on aurait la France algérienne”.
    J’ajoute que ce n’est qu’en faisant montre de virilité qu’on peut “tenir” les Arabes. L’abandon et le reniements auront été le signal le plus puissant qui a ouvert aux envahisseurs de toujours les portes de la France. Vos fils qui rampent aujourd’hui pour ne pas prendre les coups des fils des moudjahidines du FLN peuvent remercier le grand homme. Non, nous n’avons pas fini de payer les trahisons de De Gaulle.

  • pi31416 , 12 juillet 2014 @ 1 h 55 min

    “Les missionnaires blancs ont apporté beaucoup de choses au Tiers Monde, hygiène, diététique, dispensaires…” et surpopulation.

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