Ce qu’on ne veut pas voir de Brignoles

Et donc le FN a gagné à Brignoles. À droite, c’est la consternation. À gauche, c’est aussi la consternation. Dans la presse, avec l’évidente euphorie des journalistes qui trouvent enfin quelque chose à raconter d’autre que relayer les bobards grossiers d’un ministre de l’Économie à moitié saoul, on trouve aussi une petite dose de consternation. C’est, on peut le dire, la consternation.

Pensez donc.

À droite, la consternation est logique : le pouvoir politique, qui bascule normalement de la droite (parlementaire, évidemment) vers la gauche (parlementaire, bien sûr) ou l’inverse, vient de leur échapper. Pire encore, ce pouvoir leur échappe parce que les vilains socialistes ne se sont pas alliés à eux dans un Front Républicain salvateur et régulièrement appelé des vœux des candidats en danger. Pourtant, les partis socialistes officiels ou officieux n’hésitent jamais à tout faire pour empêcher le parti national-socialiste, rebaptisé national-fasciste par certains pour éviter toute confusion avec d’autres partis socialistes. Quitte, lorsqu’il le faut, à faire des papouilles avec l’autre camp.

À gauche, c’est bien évidemment la consternation : d’une part, la défaite catastrophique (forcément catastrophique) n’est due, à l’évidence, qu’à la mauvaise volonté du parti socialiste de droite de ne pas vouloir s’acoquiner avec eux. Il y a eu les méchants écologistes qui, en présentant leur candidat au premier tour n’ont rien fait qu’à embêter la déjà fragile liste socialiste de gauche. Bref : si les gens sont méchants, le socialisme officiel ne peut pas s’imposer et doit alors laisser place au socialisme de l’UMP qui ne s’assume pas.

Vous trouvez tout cela confus ?

Que voulez-vous, je n’y peux rien : entre les écolos, qui proposent un interventionnisme d’état massif pour tout et n’importe quoi, le parti socialiste, qui estime qu’il faut que l’état intervienne lourdement un peu partout, l’UMP pour lequel l’Etat offre la seule planche de salut grâce des interventions tous azimuts, et le Front-National, pour lequel la nation et surtout, l’État républicain sont l’horizon indépassable que toute solution devra intégrer, au maximum possible, et pour tous les domaines, il est clair qu’entre tous ces partis, la distinction se joue dans les détails, les tons pastel en bord de tableau, les petites touches subtiles ici ou là qui amènent cette délicate différence permettant aux moutontribuables de se répartir dans les différents couloirs qui mènent cependant tous à l’abattoir. Lorsque Philippe Bouchat, sur Contrepoints, titre que cette victoire du FN n’est que la victoire du parti extrême-constructiviste, il résume fort bien la situation : tous ces partis proposent différentes doses de la même potion, dont on sait déjà quels seront les effets, parce qu’on y goûte depuis déjà bien trop longtemps en France.

Pendant ce temps, chez les journalistes, c’est, évidemment, la consternation.

Le FN qui gagne à Brignoles, c’est la victoire d’un vilain parti qui ne s’est pas fait sur les bisous républicains et le vivre-ensemble. C’est, surtout au vu des résultats, sans appel (54% en faveur du méchant candidat), la démonstration simple et claire que les discours, pourtant citoyens, éco-responsables, festifs et généreux des partis républicains n’ont pas fonctionné. Zut alors ! La population deviendrait-elle réfractaire aux gentillesses et à cette si délicieuse solidarité imposée avec l’argent des autres, pourtant toutes indispensables dans ce pays multiculturel soumis à une mondialisation violente qu’il faut combattre ?

C’est la consternation devant ce désastre puisqu’il va falloir trouver les responsables, pardon, les coupables de cette abomination ! Il va falloir que des têtes tombent ! Le pays ne peut pas se laisser aller, comme ça, à l’hydre socialiste nationale-socialiste fasciste, sans réagir et sans que les meneurs soient chopés, les traîtres ou les mous du genou traînés devant les tribunaux populaires, et que le peuple se voit purgé des éléments séditieux qui se sont manifestement laissé aller au vote pas utile.

Et puis c’est la consternation parce que Brignoles est une ville test. Mais si, c’est évident ! Comme les municipales se rapprochent, la petite commune permet de voir ce qui risque de se passer dans chaque ville de France, et servira ainsi de sonnette d’alarme qui permettra une levée de boucliers pour que se forme un front républicain contre la tentative de repli que constitue le FN. Mais si. Les résultats de Brignoles, à ce titre, déclenchent forcément la consternation dans tout le peuple conscientisé de gauche des journalistes.

La consternation, certes, mais pas que.

On sent aussi leurs trépignements lorsqu’il s’agit de bien tout décrire la débâcle des « partis de gouvernement » dans cette commune de 16.000 habitants qui semble occuper la quasi-totalité du paysage politique français actuellement. On sent nettement ce petit frisson, mélange du plaisir qu’on s’accorde à croire traiter un événement historique (n’est pas Albert Londres qui veut, hein) et de l’horreur de savoir qu’il est encore fécond le ventreuh de la beuhête immheuhonde. Ce qui nous donne une volée de titres facilement terrifiants (« Le FN passe, la gauche trépasse », par exemple) sur le mode « Le pays est perdu, courage, fuyons » quasiment sous forme de private jokes que seule l’intelligentsia parisianno-parisienne est à même de comprendre.

Et on sent aussi ce besoin frénétique d’occuper du papier avec de l’analyse finement pesée sur ce qu’il aurait fallu faire, dire ou proposer pour éviter que la commune sombre dans l’extrême, plouf. Si l’on y ajoute la débandade de Carlotti et la surprise Ghali lors des primaires socialistes à Marseille, on comprend qu’il y a du gros tirage et du cinq colonnes à la une (ou presque) à faire passer, là, les cocos ! On va pouvoir parler de choses qui croustillent avec des comparaisons osées (la Ghali serait la Ségolène Royal de Marseille, bonjour l’insulte).

La consternation, le frémissement, tout ceci est bel et bon.

Mais pour ce qui est de la remise en question, à droite comme à gauche, qui devrait normalement accompagner le magnifique coup de pied au cul que les partis traditionnels viennent de se prendre, rien. Pour ce qui est de l’analyse de base, qui consiste à remarquer que les discours mollassons ne marchent plus, du tout, il n’y a pas grand monde. Ou lorsqu’on a droit à une remarque à ce sujet, c’est pour dire que « le discours populiste résonne favorablement aux oreilles des électeurs ». Les traditionnels petits jeux d’appareil et les bidouilles électorales ne marchent plus vraiment, les électeurs semblent se rappeler plus facilement les casseroles, nombreuses, coûteuses et bruyantes, des candidats qu’on leur présente, et préfèrent la nouveauté, fût-elle sulfureuse, d’un FN populiste aux vieilles marmites dans lesquelles les soupes qui furent faites jusqu’à présent ont toutes eu un goût pourri.

Je n’en vois pas, n’en entends pas et n’en lis pas beaucoup qui expliqueraient que ce score du FN était couru d’avance, qu’il est même normal et qu’il est l’étape logique sur la route de la servitude que le pays emprunte depuis quelque temps déjà. Combien pour rappeler que Brignoles n’est, électoralement parlant, pas grand-chose, que cette petite ville de 16.000 habitants ne devrait pas occuper tout le pays alors que la crise continue de faire des ravages. Il faut prendre un peu de recul pour se rendre compte que cette élection locale sans intérêt (puisque courue d’avance et parfaitement logique dans l’ordre des choses) occupe trois ou quatre fois plus de temps d’antenne et de surface de papier que les aventures ridicules de Trierweiler et Taubira en Afrique du Sud alors qu’objectivement, l’une et l’autre nouvelles sont du même acabit et devraient se trouver reléguées dans les pages intérieures de nos quotidiens, celles dont on se sert en premier pour emballer le poisson…

Et surtout, je n’en vois pas beaucoup pour noter que cette élection préfigure aussi d’une stratégie électorale assez méphitique de la part d’un parti socialiste en déroutes politique, idéologique et morale complètes. Comment ne pas voir que cette montée progressive du Front National est fort pratique pour un parti qui sent bien que les élections de 2017 sont loin d’être gagnées, et que son premier adversaire, suffrage majoritaire oblige, ne pourra être dégommé qu’avec une montée suffisante du parti repoussoir ? Comment ne pas comprendre que si Brignoles est ainsi monté en épingle par autant de gens, c’est parce que cette élection sert d’avertisseur pour tous les candidats des partis installés, avec en leitmotiv, discret mais répété en boucle : « si vous ne faites pas le nécessaire pour ratisser suffisamment large, le FN va vous piquer votre sinécure » ?

Et comment ne pas s’interroger franchement sur la lucidité de ces partis s’ils imaginent qu’ils vont pouvoir continuer longtemps à éviter soigneusement les questions de fond (déficits chroniques, dettes, délitement des institutions, chômage, impôts vexatoires, insécurité, pour ne citer qu’eux) ? Comment ne pas voir qu’à ce rythme, la surprise en 2014 puis en 2017 risque de prendre un goût amer ? En effet, si, pour Chirac, il fut relativement simple d’éliminer le vieux Le Pen, quelles chances réelles donneriez-vous à Hollande devant sa fille ? Quel candidat, à droite, pourrait réellement prétendre au renouvellement devant elle ? Fillon, celui qui fut, selon la rumeur, premier ministre pendant 5 ans ? Copé, dont personne ne voudrait pour notaire tant il suinte la confiance et la probité ?

Allons, un peu de sérieux.

> h16 anime le blog hashtable. Il est l’auteur de Égalité taxes bisous.

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29 Comments

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  • Yaki , 16 octobre 2013 @ 18 h 34 min

    Le FN a été créé après la Seconde Guerre mondiale, alors forcément, il n’a pas pu collaborer.
    Encore que JM Le Pen fut directeur de campagne aux présidentielles de 65 de Jean-Louis Tixier-Vignancour, membre du gouvernement de Vichy.

    Les hommes comptent, mais surtout l’idéologie qu’ils défendent. L’esprit du régime réactionnaire de Vichy , tel qu’a pu le retenir l’historien Jean-Pierre Azéma, se définie par six caractéristiques :

    la condamnation sans appel du libéralisme ;
    le refus du principe égalitaire, proclamé par la Révolution ;
    une pédagogie anti-intellectualiste ;
    la défiance à l’égard de l’industrialisme ;
    l’affirmation d’un nationalisme fermé (qui s’oppose au nationalisme républicain d’avant l’affaire Dreyfus) ;
    l’appel à un rassemblement national.

    Il me semble que cela ressemble fort à l’approche du FN.

    Votre mépris pour le vote des gens et des responsables politiques est pitoyable: élus par la pègre, appel au meurtre.
    Comment définissez-vous un “vrai français” ?

    Quand vous dites que 80% des collabos étaient de gauches, déjà il faudrait en apporter la preuve et pas jeter des noms à la volée. Il faut aussi retracer l’évolution personnelle de ces personnes, comme celle de Laval.
    Jacques Doriot, Simon Sabiani sont passés du communisme au fascisme dès les années 1930…
    Les artisans du régime, à différencier les têtes des serviteurs du régime, sont recrutés principalement parmi les protagonistes de la “Révolution nationale”.
    Et parmi les 20% de leader restants (en gardant vos proportions), il faut compter le principal leader, Pétain, dont les soutiens naturels étaient l’armée, l’Eglise, les notables et les élites.
    A titre d’exemple, on peut citer :
    le cardinal Baudrillart, Alphonse de Châteaubriant, Robert Valéry-Radot issus d’une composante chrétienne réactionnaire ;
    Raphaël Alibert est proche de l’Action française ;
    Joseph Barthélémy, parlementaire de la droite libérale, membre de l’Alliance démocratique ;
    Philippe Henriot ex vice-président du grand parti de droite traditionnelle qu’était la Fédération républicaine,
    Eugène Deloncle et Jean Filliol, fondateurs de la Cagoule
    Les activistes de l’extrême-droite française comme Jean Boissel ou le franciste Marcel Bucard joueront un rôle dans les instances de Vichy, dans la Milice ou la LVF.
    L’ancien responsable de La Cagoule Joseph Darnand fonda la Milice française.

    Il ne faut pas oublier non plus que l’année 1942 marque un tournant dans la position de beaucoup de gens vis à vis du gouvernement de Vichy, tant de gauche que de droite.

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