Le champ de braise s’est éteint pour Hélie de Saint-Marc

Hélie Denoix de Saint-Marc s’est éteint à l’âge de 91 ans à La Garde-Adhémar, dans la Drôme. Il était l’un des derniers survivants du réseau de résistance Jade-Amicol et le dernier survivant du putsch des généraux en avril 1961. Entre résistance, déportation, combat en Indochine et en Algérie, engagement en faveur de l’Algérie française, il aura été de tous les combats patriotiques du siècle dernier.

Né en février 1922 à Bordeaux d’un père avocat strict et anti-républicain et d’une mère issue d’une famille de notables, il est le dernier d’une famille de sept et passe son enfance dans le Périgord dont le souvenir le marquera. Son enfance est également marquée par l’empreinte du christianisme qui lui inspire la culpabilité mais aussi la beauté de l’engagement. Première influence, premier moteur d’héroisme. S’y ajoutent des figures tutélaires, des figures historiques (Jeanne d’Arc, les croisés, Charette), les aventuriers contemporains (Mermoz, Guynemer), les écrivains (Saint-Exupéry, Bernanos, Psichari). Très jeune, il ressent l’appel de l’aventure et de la fraternité des armes. Il se tient également au courant des grands bouleversements politiques des années 1930.

La défaite de juin 1940 le surprend comme beaucoup et le heurte profondément. Premier choc, première désillusion, pas la dernière. Premier engagement également lorsque, en février 1941, à 19 ans à peine, par l’intermédiaire d’un professeur jésuite, il est présenté au responsable du réseau de résistance Jade-Amicol, le colonel Arnould. Affecté à des missions de transport de documents secrets, il connaît ses premières peurs. Arrêté suite à une dénonciation en juillet 1943 alors qu’il tentait de franchir la frontière espagnole, il est déporté à Buchenwald à 21 ans, l’âge de la majorité à l’époque. Il y connait une nouvelle épreuve faite de souffrances, physiques et psychologiques, de bouleversement des valeurs, d’effroi, mais aussi de courage et de générosité. Il y rencontre des hommes qu’il n’aurait jamais connu autrement, notamment un Letton qui le sauve d’une mort certaine en partageant avec lui sa nourriture. Lorsque les Américains le récupèrent en avril 1945, il ne pèse plus que quarante-deux kilos et ne se souvient plus de son propre nom durant plusieurs jours.

Revenu de l’enfer en France, il garde les traces de cette épreuve et voit la libération d’un goût amer avec les difficultés et les bassesses de l’après-guerre. Cherchant à se reconstruire, il s’engage pour une formation à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, puis s’engage finalement à la légion étrangère. C’est ainsi qu’il embarque pour l’Indochine en 1947 pour sa nouvelle aventure. Au sein de la 3e REI, il commande des sections de partisans Thos, très hostiles aux communistes dont il apprend à connaître les mœurs et les mentalités. Il mène de durs combats sur la RC4, à Talung, à Cao Bang. Il doit alors affronter l’épreuve de l’abandon des populations de partisans qui les avaient soutenus lorsqu’il doit évacuer le poste de Talung. Deuxième traumatisme, très profond, qui influera beaucoup sur ses engagements ultérieurs, et qu’il appellera sa « blessure jaune ». En 1951, il effectue son deuxième séjour en Indo, cette fois au sein de 2e BEP (Bataillon étranger de parachutistes) en tant que commandant du 2e CIPLE (Compagnie indochinoise parachutiste de la Légion étrangère). De nouvelles épreuves avec, à nouveau, la perte de camarades de combat : le chef de bataillon Raffali, chef de corps du 2e BEP au Tonkin, l’adjudant Bonnin à Hoah Binh ou encore le général de Lattre de Tassigny décédé des suites d’une intervention chirurgicale, tous à quelques mois d’intervalles.

Puis, ce fut l’Algérie, l’ultime aventure et occasion d’autres blessures et déceptions. De nouveaux combats, la guérilla du désert, dans les Aurès et l’Est constantinois comme capitaine, puis à Alger même, de nouvelles rencontres avec les généraux Challes et Massu, Jacques Morin, Roger Faulque. Il découvre ainsi le petit peuple pied-noir pour lequel il se prend d’affection ainsi que les harkis. C’est en grande partie pour eux que, en avril 1961, il participe à la tête du 1er REP (Régiment étranger de parachutiste) à la tentative de putsch sur Alger. C’est un échec, un de plus après l’Indochine et le dernier combat qu’il mènera en uniforme. Se constituant prisonnier, il passe devant le Haut tribunal militaire le 5 juin 1961 où il expose sa défense, calmement et humblement, l’impératif moral qui l’a poussé à ne pas abandonner ses compagnons d’arme comme il avait dû le faire en Indochine. Condamné à dix ans de réclusion criminelle, il passera cinq ans à Tulle avant d’être gracié par le président Charles de Gaulle, celui-là même dont il avait combattu la politique. Il devra cependant attendre 1978 pour recouvrer l’ensemble de ses droits civiques. Ultime épreuve et ultime humiliation pour celui qui n’aura cessé de mettre sa peau et son âme au bout de ses idées.

La suite fut moins exaltante, mais non moins honorable. Se lançant dans une carrière civile dans l’industrie, il fut directeur du personnel dans une entreprise de métallurgie jusqu’en 1988. Il est alors largement inconnu du grand public mais sera redécouvert par une nouvelle génération de Français, qui n’a connu ni la guerre ni la privation, lorsqu’en 1989, Laurent Beccaria entreprend la rédaction de sa biographie qui sera achevée en 1995 : Les champs de braise-Mémoires. Devenu un personnage public à près de soixante-dix ans, Hélie de Saint-Marc témoignera de son expérience à travers plusieurs conférences aux États-Unis, en Allemagne et en France. En 2001, Le livre blanc de l’armée française en Algérie, qui a pour objectif de rétablir une part de vérité sur le conflit et l’attitude des soldats français en pleine polémique, s’ouvre sur une interview d’Hélie de Saint-Marc. En 2002, avec August Von Kageneck, ancien combattant allemand sur le front de l’Est, il publie Notre histoire, 1922-1945, un récit d’entretien avec le journaliste Étienne de Montety. Finalement, à l’âge de 89 ans, il obtient enfin la reconnaissance de la nation en recevant en novembre 2011, des mains du président Nicolas Sarkozy, la Grand-croix de la légion d’honneur, cinquante ans après sa condamnation par le tribunal militaire. C’est donc l’un des derniers héros historiques de la France qui disparaît, emportant avec la mémoire de cette période si troublée et laissant en héritage le plus précieux des biens : le sens de l’engagement et du dépassement de soi, qui demeure encore largement d’actualité de nos jours.

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31 Comments

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  • john Deuf , 30 août 2013 @ 23 h 41 min

    Certainement pas, ce d’autant que l’avenir a prouvé contrairement au fantasme d’un certain Eoche-Duval qu’il était dans la bonne et seule vraie voie.
    La remise de l’Algérie aux corrompus du FLN a failli nous coûter notre liberté que convoitait avec ses 173 divisions et ses 42500 chars contre 13000 à l’Ouest le communisme soviétique.
    En 1942, la libération de la France de l’Allemagne nationale socialiste a pu se faire difficilement grâce à la plate forme algérienne de la France et à l’Armée d’Afrique qui a pallié l’insuffisance des effectifs anglo-saxons mais cette fois ci plus de plate forme. Heureusement qu’un colonel polonais Ryszard Kuklinki, renseignant la CIA nous a sauvé de cette invasion grâce à Reagan et à son “Initiative de Défense Stratégique” qui fit plier les socialistes soviétiques malgré leurs blindés T 72. L’occupation nationale communiste aurait été autre chose de plus dramatique que l’occupation nazie.
    La France avec son pétrole et son gaz sahariens quasi gratuits serait devenue une des premières sinon la première puissance industrielle du monde et n’aurait pas connu le choc pétrolier ni l’invasion du colonialisme arabo-musulman que nous connaissons aujourd’hui puisque avec le développement industriel il n’y aurait pas eu aussi de problème d’emploi en Algérie et l’évolution vers la modernité des Français musulmans aurait franchi la dernière étape, l’évolution scientifique remplaçant le dogme islamiste.
    Rappeler un politicien aussi nul et orgueilleux que de Gaulle qui aurait pu faire détruire notre pays n’a pas servi d’expérience aux Français qui ont élu aujourd’hui Hollande qui est aussi nul et orgueilleux que lui et peut nous précipiter dans l’abîme. C’est désolant de Saint Marc!
    Sommes nous condamnés à ce que l’histoire se répète ?

  • yuguy , 11 septembre 2013 @ 19 h 04 min

    Je me permets d’intervenir suite au message de Centulle car j’ai servi moi-même au 18° RCP 4° compagnie 2eme section en Algérie de 1958 à 1961. A l’époque, M Chaborel était lieutenant et a nous avons participé à l’opération Jumelle-Etincelles des Aurès Nementcha aux 2 Kabylie.Après le putsch d’Alger, le 18eme RCP a été dissous et nous avons été éparpillés ; j’ignore donc ce qu’il est advenu du Lt.Chaborel mais je sais que le chef de Corps du 18°, le lieutenant Colonel Masselot a été emprisonné durant 8 ans me semble-t-il.Je possède la photo de ces deux guerriers qui, comme moi et bien d’autres ont “tout perdu fors l’honneur”. Paix à leur âme maintenant qu’ils ont rejoint Elie denoix de Saint Marc au royaume de Saint-Michel.

  • Centulle , 5 octobre 2013 @ 10 h 44 min

    Merci pour ces précisions sur le grade de Chaborel et les événements lié au putsch. Peut être faisait il fonction de capitaine commandant de compagnie avec son grade de lieutenant d’ou ma méprise. Pour ma part j’ai servi sous ses ordres au 83 éme RI ( régiment de réserve chapeauté par le 9 éme RCP à Pamiers dans les années 82 -84 environ puisque je l’avais choisi comme parrain pour ma remise de l’ONM en mai 84)
    J’ai appris son décès il y a quelques années et je sais également que dans les années 62-64 il était Capitaine commandant le Groupement Commando N°2 au 126 eme RI à Brive.J’aimerai bien avoir si c’est possible la photo dont vous parlez ( avec Georges Masselot) et vous ferez parvenir celles que j’ai de lui que je peux scanner et vous envoyer sur une adresse mail . La mienne étant [email protected]. Il faut que leur souvenir demeure.
    Bien à vous

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