L’ère des géants ou la logique d’intégration

Que les entreprises prennent fréquemment la forme de groupes suscite rarement l’interrogation. Les raisons qui poussent les sociétés à se structurer en ensembles intégrés et cohérents sont pourtant multiples et riches d’enseignements.

L’union fait la force. Voilà un adage qui vaut aussi pour le monde entrepreneurial. Au cours des 20 dernières années, de nombreuses entreprises se sont en effet rapprochées pour former de grands groupes. Quelles sont donc les raisons qui poussent les entreprises à croitre en s’agglomérant ? Quels avantages en retirent-elles ? Les réponses à ces questions peuvent se trouver dans la littérature spécialisée sur le sujet, mais aussi dans l’expérience des entreprises concernées par ce cas de figure. Illustration.

L’intégration, une stratégie de groupe

« Un nombre croissant de PME tend aujourd’hui à se structurer dans des groupes », constate Alexandre Mallard (1). Ce sociologue issu de l’un des laboratoires en sociologie de France Télécom constate en effet que pour beaucoup d’entreprises ce type de stratégie permet des économies d’échelle grâce à « la mise en commun de fonctions transverses : la comptabilité, la R&D, la gestion du personnel, etc. ». Dans ses travaux, l’auteur se penche sur trois groupes qu’il prend soin de rebaptiser : Martin-Lecair, Publi-Factory, et Embaltube. Le premier a été formé par « souci de sécuriser une partie de l’approvisionnement », le second, pour atteindre « une cohérence globale en prise directe » avec l’ensemble de la filière de l’entreprise, et la formation du dernier est encore balbutiante, mais progresse à mesure que les économies d’échelles et la circulation de l’information bénéficient aux entreprises qui le composent. Le mobile commun à tous ces cas d’intégration est bien sûr la recherche de synergie.

Cette recherche passe aussi par la voie financière. La SNCF pratique par exemple des investissements choisis pour se rapprocher de petites entreprises dynamiques. Sébastien Lefebvre, patron de Mesagraph, bénéficie de ce soutien financier et en témoigne : « L’une des questions les plus fréquemment posées par les candidats [au recrutement], c’est : “vous êtes une start-up ? Est-ce que je ne vais pas perdre mon emploi dans les mois à venir ?” Dire que nous sommes soutenus par la SNCF les rassure, eux aussi ».

Le degré d’intégration d’un groupe d’entreprise peut être variable, mais l’objectif stratégie est toujours de favoriser les effets de complémentarité entre ses composantes. Le regroupement d’entreprises, qu’il soit purement opérationnel ou intégré jusqu’à l’échelon financier et administratif, procède toujours d’une recherche d’efficacité. Toutefois, pour permettre à l’intégration de produire ses effets, certaines entreprises choisissent d’accompagner ce processus par la délégation de compétence. La démarche se justifie alors par le besoin de permettre à chaque composante de l’entreprise d’exercer à fond ses talents particuliers. Ce qui achève de démontrer qu’intégration ne rime pas forcément avec organisation pyramidale.

L’intégration comme facteur de consolidation, ou « l’entreprise globale »

Comme l’expliquait Alexandre Mallard, l’intégration sert à certaines sociétés à « articuler les différentes activités de la chaîne de traitement » en vue de déployer « une stratégie globale » à l’intérieur d’une filière. Bien des entreprises ont compris les vertus de la démarche, à commencer par Cofely Ineo, filiale du groupe GDF Suez. Guy Lacroix, PDG de l’entreprise, a été l’artisan de sa création. « Née en 2001, elle est le fruit d’une consolidation complexe », explique-t-il. Ce processus a ainsi vu s’opérer le regroupement d’un grand nombre de petites entreprises du secteur du génie électrique qui a débouché une décennie plus tard sur le ralliement d’Ineo à la bannière Cofely, réservé par GDF Suez à ses filiales-clés dans le domaine de l’efficacité énergétique. « L’objectif porté par cette fusion géante était alors de créer une émulation entre des corps de métier a priori différents, mais parfaitement complémentaires », commente Guy Lacroix, « ainsi, nous sommes aujourd’hui capables de nous placer en interlocuteur unique auprès de nos clients, en couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur ».

Le cas Cofely Ineo n’est pas sans rappeler celui d’EADS. Ici aussi, c’est le facteur intégration qui a permis au groupe de passer à la vitesse supérieure de développement et d’atteindre un rayonnement qu’aucune de ses composantes n’auraient pu atteindre seule. Dans le secteur européen de la défense, « la concentration s’est imposée pour supprimer les redondances, mettre en commun les ressources consacrées à la R&D, et augmenter les parts de marché » résume Burkard Schmitt (2). À la fin du XXe siècle, de grands regroupements se sont imposés dans le secteur, afin d’éviter que les démarches de coopération habituelle n’entravent la compétitivité globale européenne en permettant à « chaque participant de profiter du travail commun afin d’améliorer son propre savoir-faire et compléter sa gamme de capacités technologiques ». L’intégration a donc succédé à la coopétition, et ainsi fut créé EADS, le géant de la défense européenne que l’on connaît aujourd’hui.

Areva est également le fruit d’un processus d’intégration centré autour des compétences. « Né en septembre 2001 de la fusion des entreprises Cogema, Framatome, CEA-Industries et Technicatome, [le groupe indutriel] est alors devenu le premier acteur mondial, et le seul, à ce jour, à intervenir sur l’ensemble de la chaîne du nucléaire », détaille l’INSEE dans une monographie consacrée à Areva. « Le groupe Areva réunit 350 entités légales consolidées » et composant désormais 4 principaux pôles d’activité notamment consacrée au combustible nucléaire, à la construction des centrales, ou encore à la construction des réacteurs.

Facteur de synergie, l’intégration répond à une recherche de performance par l’organisation de la production. Plus d’un dira qu’il ne s’agit pas de ces seules vertus. Certains à l’instar de Michel Hannoun (3) considèrent également que l’intégration participe à la croissance de l’entreprise en permettant la « diversification des activités le long des filières industrielles ». À en croire ce chercheur qui s’est penché sur la question des grands groupes industriels française, le passage d’une entreprise à la logique d’intégration témoigne donc non seulement de sa recherche de croissance, mais aussi potentiellement d’une toute nouvelle étape de son développement.

1. MALLARD, A., « Les groupes de PME, une structure particulière pour la communication en entreprise », Communication et organisation, 2004, mise en ligne le 27 mars 2012, http://communicationorganisation.revues.org/2955
2. SCHMITT, B., « De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de défense en Europe », in Cahier de Chaillot, N° 40, juillet 2000, Institut d’Études de Sécurité, Paris, http://www.iss.europa.eu/uploads/media/cp040f.pdf.
3. HANNOUN, M., « L’Appareil de production des grands groupes industriels en 1972 », in Économie et statistiques, N° 87, mars 1997, pp. 29-5, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1977_num_87_1_3181

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8 Comments

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  • Psyché , 29 août 2013 @ 0 h 20 min

    Les altermondialistes de ATTAC dénoncent certaines dérives vis-à-vis de l’écologie, de la défense des petits paysans à l’échelle planétaire, la puissance de la finance, etc. mais ils sont sur une forme de militantisme pour un mondialisme politique proche de José Bové …
    Sinon, les associations de consommateurs aux Etats-Unis ont du poids dans le cadre des Class Actions et elles arrivent à faire jeu égal avec les grands groupes pour la défense des consommateurs dans le cadre de scandales alimentaire ou sanitaires par exemple.
    En France nous avons fait les “actions de groupe” sous Sarkozy, mais avec des clauses tellement restrictives que ça n’a servi à rien.
    Sinon, rien de neuf sous le soleil, les grands groupes poursuivent leur lobbying à Bruxelles et au parlement français et ils continuent “d’acheter” la démocratie. Ils servent aux députés des projets de lois tout ficelés, prêts à voter !

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