Les racines marxistes de l’écologie contemporaine

Le Pape François va publier une encyclique sur l’écologie qui, d’après quelques fuites journalistiques – mais faut-il vraiment faire confiance aux journalistes pour garder un secret ? – s’ « attaque aux pays riches », qui ne seraient ni conscients de leur lien intime avec la nature, ni responsables de sa sauvegarde. Avec cette encyclique, la question écologique est, une fois de plus, remise sur le devant de la scène médiatique. Il ne s’agit pas pour nous de rentrer dans le débat, et de savoir qui est coupable du complot qui, apparemment, se trame contre la « nature » ; ni non plus comment ni pourquoi ni vers quoi. Il s’agit de déceler l’idéologie qui est derrière la propagande écologiste, qui a, peu à peu, transformé la noble « écologie » en « écologisme ».

L’instrumentalisation marxienne de l’écologie

La première chose à remarquer, c’est que la recherche d’une relation à la nature qui serait indépendante de la médiation par la marchandise est un élément fondamental de la critique « culturelle » du capitalisme héritée du marxisme (Pierre Charbonnier, « De l’écologie à l’écologisme de Marx », Tracés 1/2012 (n° 22) , p. 153-165).

On lit, chez les marxistes, ou plutôt marxiens, que Marx « a proposé une lecture puissante de la principale crise écologique de son époque, à savoir le problème de la fertilité des sols dans l’agriculture capitaliste » (John Bellamy Foster, Marx écologiste, 2011, p. 43). Le même problème qui est soulevé, par exemple, à propos du TAFTA, le fameux Traité Transantlantique, qui, selon les mythes, décomplexerait totalement un usage ultra-libéral de la terre, à coups de pesticides non homologés ou d’immenses entreprises broyeuses d’hommes.

Attention. Derrière le concept à la mode de « développement durable », se tapit l’influence de l’administration, de l’État et des collectivismes de tout genre. C’est chez Marx que se trouve la définition la plus claire du dévelopement durable, notre bon Karl cherchant « les fondements d’un matérialisme historico-environnemental prenant en compte la coévolution de la nature et de la société humaine. » (Marx écologiste, 2011, p. 43).

Mais Marx n’avait que faire de l’écologie, au sens contemporain. Le bon Karl, en effet, se souciait surtout du développement des engrais synthétiques, à partir des années 1840, qui faisait définitivement passer l’agriculture au stade industriel, et de l’accroissement de la course aux engrais naturels. La seule chose qui l’intéresse, au fond, c’est la logique des flux matériels qui sous-tendent l’économie capitaliste.

C’est évident : Marx instrumentalise l’écologie, la question de la terre et de son utilisation, à des fins uniquement critiques et afin d’illustrer sa théorie de la lutte des classes, de l’exploitation industrielle des méchants riches envers les pauvres prolétaires et de l’aliénation qui en découle. Si vous lisez Juan Martinez-Alier (1987), par exemple, vous saisirez comment les tentatives de reconstruire les liens entre l’économie écologique et l’héritage du matérialisme historique ont pu se développer.

Le « développement durable » n’est, souvent, rien d’autre que l’occasion pour l’État d’exercer sa mainmise normative et administratives sur des propriétés privées ou des forces de production qui échappaient en partie, avant l’écologisme, à son contrôle. Il s’agit aussi, pour les collectivités publiques, de construire avec des normes de plus en plus complexes, comme si les individus n’avaient aucune conscience du « durable » et du « respecteux ». C’est le nom qui recouvre des milliers de « comités publics », de « réunions », de conventions, de normes, de directives, d’amendements : autant de contrôles que l’État ou les collectivités veulent exercer sur les individus et les entreprises.

Le malthusianisme de certaines « écologies humaines » ou « intégrales »

De même que l’écologie politique, ou l’économie écologique, cachent souvent une idéologie marxiste, la nouvelle propension des catholiques à s’intéresser à l’ « écologie intégrale » ou à « l’écologie humaine » cache lui aussi, bien souvent, une idéologie : une sorte de malthusianisme post-moderne. Il se définit très simplement : décroissez, mes enfants ; ou, comme a pu le dire François : « ne copulez pas comme des lapins ». Cette méfiance à l’égard du potentiel de développement humain, couplé à la critique de l’utilisation économique de la nature, se rapproche à de nombreux égards de la critique marxiste de l’économie capitaliste.

Il ne s’agit pas pour nous de nier le pressant besoin de formuler une doctrine saine du corps et de la chair, que l’on peut trouver dans les fructueuses théologies du corps par exemples, ni de nier la nécessicité philosophique qui consisterait à mettre en place les conditions de possibilité d’une véritable logique de l’οἶκος, de l’habiter et du demeurer. Il s’agit de faire un travail archéologique, à la manière de Michel Foucault et de Nietzsche : dénoncer la logique post-marxiste qui sous-tend les développements actuels de l’ « écologie intégrale » ou de l’ « écologie humaine ».

Ses partisans ne semblent vouloir, au fond, que mettre en exergue la menace environnementale représentée par le « capitalisme » ou l’ « ultra-libéralisme ». Ils sont encore enfermés dans de vieux schémas dialectiques, désuets et absconts. Les mondialisations que nous vivont sont pour eux subies, alors qu’elles doivent constituer le socle sur lequel se propulser vers l’avant. Ils ont abandonné toute idée de progrès – si néfaste a-t-elle pu être dans l’histoire, ou si instrumentalisée est-elle encore aujourd’hui, et toute idée de liberté : l’homme est si mauvais, affirment-ils, qu’il ne peut que rentrer dans une logique de destruction de son environnement, de son corps et de son patrimoine : l’homme casse son οἶκος, sa « maison », pour la revendre à petit bout. Mais quelle idée ont-ils de l’homme ? Quel espoir ont-ils encore en lui ?

Seule une « prise de conscience » des enjeux écologiques et humains pourra faire sortir l’homme de cette logique mortifère, affirment-ils. Il faut « moraliser » l’homme, « moraliser » le capitalisme, « réguler » le marché : en un mot, il faut faut imposer des règles strictes. Ils ne voient pas que cette prise de conscience ne peut avoir lieu que de manière libre, sans le concours de l’État, sans le concours d’une collectivité oppressante, et sans le caractère dirigiste d’une économie non libérale. Ce n’est pas en introduisant une coupure nette entre l’éco-nomie et l’éco-logie que leurs buts seront atteints ; bien au contraire, c’est en produisant une économie (gestion) de l’environnement (habitat) que l’un pourra, par mode d’inclusion, s’adjoindre les services de l’autre et travailler ensemble. Ni la liberté, ni l’économie ne sont contre l’écologie : elles en sont leur plus précieux alliés. Que ces quelques propos puissent ouvrir à d’autres débats futurs.

L’écologisme mérite-t-il une bonne guerre ?

Au fond, les marxistes, marxiens, collectivistes, malthusianistes et post-modernes ne roulent, consciemment ou inconsciemment, que pour une seule logique : celle de la guerre. L’éditorialiste Jean-Marc Vittori dans Les Échos est le plus clair sur ce point :

« C’est ici qu’il faudrait une bonne guerre. Car pour financer un conflit, il faut toujours s’évader des règles ordinaires, faire des choix difficiles, transcender les oppositions. (…) Cette guerre, c’est logiquement le combat pour la planète, pour préserver l’existence de notre espèce, contre les dérèglements climatiques. […] » (à lire, un commentaire cynique  sur Contrepoints).

Suivant cette logique, le seul moyen de sauver l’humanité c’est l’instauration d’une dictature planétaire qui « normaliserait », « moraliserait » et « dirigerait » les actions humaines afin qu’elles respectent (enfin !) la nature.

Encore une fois, c’est la logique de la dialectique des classes qui sous-tend cette idée : celle de la lutte permanente des opprimés (la nature, les oiseaux, le peuple) contre les oppresseurs (les pays riches, les industriels, la finance), qui ne pourra se régler que par une révolution (l’écologisme, l’écologie humaine) afin d’aboutir au monde parfait (l’internationale, pour l’ecologie politique, ou l’homme bien élevé, pour l’écologie humaine). Or on ne possède pas l’homme, non plus que l’homme se possède lui-même. L’homme construit et se construit, désire et se désire, et ne peut atteindre à une concience de soi et de son environnement que par lui-même. Pour que l’homme se respecte et respecte son environnement, il n’y a qu’un seul moyen : lui laisser une subsidiarité intégrale dans ses choix de vie.

***

L’écologie, évidemment, c’est une morale, un tact, une vertu, garantissant la bonne maîtrise de la nature, quand elle n’est pas instrumentalisée par des idéologies né-marxistes, qui voient dans la nature le champ de bataille entre les méchants exploitants et les gentils exploités.

L’écologie, évidemment, c’est le souci de soi, le soin de l’âme (Jan Patočka), le fait d’habiter et de demeurer ; c’est la logique de l’οἶκος, de la maison et du patrimoine. Mais ce n’est pas l’abandon de soi, la dépossession de ses désirs, de sa volonté de réussir, de perservérer, et même de calculer ce qui, pour soi, nous semble le meilleur.

L’écologie est si noble, si vertueuse et si indispensable qu’elle ne peut pas faire l’objet d’une instrumentalisation, consciente ou inconsciente, à des fins de propagande pour mettre en place un « monde nouveau » basé sur le contrôle étatique des ressources, l’amoindrissement des libertés ou encore une « moralisation » normative de l’homme. Pour remplir tout à fait sa mission de science et de vertu, l’écologie a besoin de reposer sur une nature, qui, dans sa complexité, dans son caractère indéniablement concupiscent et dans son mystère profond, est celle de l’homme libre.


Vivien Hoch, juin 2015

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28 Comments

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  • JOSE , 20 juin 2015 @ 9 h 44 min

    Une décroissance!! Mon Dieu quel horreur…Face au mur, accélérons! Autant y aller à fond. Du MEDEF à Mélenchon, tout le monde est d’accord, croâssons, croâssons…

  • JOSE , 20 juin 2015 @ 9 h 51 min

    J’avais envie de me désabonner. Et puis je suis tombé sur votre commentaire: bravo. Votre texte est parfait. Sur Foucault, lire l’excellent article dans Eléments n°154 (hiver)
    http://revue-elements.com/elements-Zemmour–de-Benoist–le-debat.html

  • Bardamu , 20 juin 2015 @ 9 h 56 min

    Je parle de malthusianisme mondialisme, je n’ai rien contre des institutions internationales, lorsqu’elles ne sont pas déviées de leur but, ou même constituées pour accomplir autre chose que leur objet officiellement proclamé.

  • peripathos , 20 juin 2015 @ 20 h 14 min

    La décroissance est une notion floue et fourre tout bon JOSE

    une notion assez équivoque pour convenir à tout les cassoces , anar de tout poils , chrétiens reconvertis à la lutte finale ou à popolnareff et à son “évangile” à la flanc ( “on ira tous au paradis” ) .

    La croissance ou la décroissance peuvent et doivent s’entendre à plusieurs niveau . Et le christianisme , joint à l’intelligence humaine dans ce qu’elle a de plus pur , ne peut se satisfaire et accepter la “décroissance” au sens de progrès véritable des connaissances et des techniques , des arts et de la sagesse .
    Il s’agit , au fond , d’un pêché contre l’Esprit .
    L’esprit humain , comme l’Esprit qui est Dieu , l’un de la Trinité , nous presse d’aller toujours de l’avant vers un mieux et non vers un moins , un moins bien .
    C’est ce qui a fait ( au passé ) la grandeur unique de la civilisation européenne chrétienne mue par l’Espérance et les autres vertus théologales .

    La décroissance c’est le symptome d’un nihilisme contemporain morbide et culpabilisant qui abouti , concrètement , à la tiers-mondisation de l’Europe

  • JOSE , 20 juin 2015 @ 23 h 15 min

    Ce discours qui a accompagné toute la révolution industrielle, il consiste à faire croire que c’est par un surcroit de développement que l’on résoudra les problèmes causés par le développement. Il a échoué: non, la technologie ne nous a pas conduits à découpler la production du prélèvement de ressources, ni à la découpler de l’émission de déchets. La puissance de notre gigantesque appareillage technique, qui n’a jamais été aussi colossale, n’est pas hors sol: elle se nourrit d’énergie, de minerais, de forêts, de terres, génère des déchets, des polluants. Ce n’est certainement pas en faisant enfler cette mégamachine dévorante que nous surmonterons les périls écologiques en cours. Contrairement à ce que prêche les accélérationnistes, nous ne pourrons pas nous exonérer de notre responsabilité collective et d’une remise en cause radicale de notre organisation politique, économique, technique. Nous ne pourrons pas nous dispenser d’une décroissance.

  • peripathos , 20 juin 2015 @ 23 h 33 min

    Faux JOSE

    Archi nul mais peut être faites vous exprès de ne pas distinguer la science , au sens fort de savoir et donc de sagesse théorique et pratique , de la technique .

    Notre époque actuelle a certes dérivé vers une hypertrophie du technique , justement en oubliant la science , motivée par le lucre mais ça n’est pas une raison pour proner la décroissance . C’est ce qu’on appelle un contresens .

    Le progrès peut faire diversifier les ressources et être plus performant avec une moindre consommation et plus sage dans notre gestion des ressources .
    Cela ne veut absolument pas dire décroitre AU CONTRAIRE .

    La sobriété permet une meilleure efficience , comme l’économie de geste chez le virtuose ou le grand sportif

  • JOSE , 21 juin 2015 @ 1 h 07 min

    Non, non, je distingue. alors pour être clair: croissance de “la science au sens fort de savoir et donc de sagesse théorique et pratique” et décroissance économique, décroissance du PIB. Cette dernière n’a rien à voir avec le christianisme: il n’y avait pas plus de croissance sous la Chrétienté que durant les millénaires précédents. La société de croissance n’a que deux cents ans.
    C’est fini, on a épuisé à peu près tout ce qui pouvait l’être (il ne s’agit pas seulement de pétrole). La parenthèse se referme. La science “au sens fort” comme “la sagesse humaine et chrétienne millénaire” pourraient nous aider à négocier le virage à 360 °. Mais on peut aussi AU CONTRAIRE accélérer. Avec efficience.

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