Il y a 80 ans débutait l’opération Aktion T4

C’est à  l’été 1939 , il y a quatre-vingt ans presque jour pour jour , qu’a été mis en place par le IIIe Reich le dispositif Aktion T4  destiné à éliminer les handicapés physiques et mentaux d’Allemagne.

Si le début officiel de l’opération est le 1er septembre,  au commencement de la guerre, la décision avait  été prise antérieurement  et il est vraisemblable que son exécution a été préparée tout au long  de l’été . L’opération,  pilotée par la Chancellerie,  a reçu le nom de code  T 4 parce que l’  administration dédiée   a été installée dans une villa confisquée à une famille juive au 4 de la Tiergartenstrasse  (rue du Jardin des Plantes) , une des avenues les plus huppées de Berlin.

C’est là que fut recrutée   une équipe  restreinte  dirigée par Philip Bouhler,  destinée à réaliser  cette élimination,  en liaison  étroite avec le Dr Karl Brandt, médecin personnel du führer[1].

Dès avant son accession au pouvoir  , Hitler avait ce projet   en tête. Il découlait de son     idéologie  préconisant l’élimination des  faibles et des tarés, à la  fois pour améliorer la race et  pour  débarrasser le pays de la charge des  improductifs. Il ne fallait   pas trembler pour  le faire  car, selon lui,  le monde appartenait  aux forts  aptes à surmonter les sentiments de  pitié . Cela n’a cependant pas empêché  Hitler de  déclarer   que l’opération  visait à infliger  « une mort miséricordieuse »   à des gens dont la   vie  ne valait pas la peine d’être vécue. Entre les deux-guerres, l’idée d’une élimination des tarés,  portée par la philosophie de Nietzsche[2], était déjà   dans l’air du temps , non  seulement  en Allemagne mais aussi dans le monde anglo-saxon.

Dès 1933, les nazis avaient pris des  mesures d ’ « hygiène raciale »   : stérilisation obligatoire des porteurs de  maladies héréditaires,   légalisation de  l’avortement dans le cas où un de parents en serait affligé .  Mais pour des raisons politiques,  Hitler  préféra  attendre la guerre pour aller plus loin tout en préparant les esprits par une propagande insistant sur le coût social des handicapés  . A partir de 1938, la même  propagande  prétendit  que  des parents de handicapés de plus  en plus  nombreux écrivaient pour demander leur élimination.

 

Dans le plus grand secret

 

La difficulté à surmonter  était la résistance prévisible des familles et des Eglises . Tout se fit donc  dans le secret. Si l’opération débuta avec la guerre de  Pologne , c’est que le  régime espérait que le bruit médiatique lié à la déclaration de guerre la couvrirait.

On commença  par les enfants : dès le 18 août , une circulaire imposa  aux médecins et sages-femmes de déclarer ceux qui  naissaient handicapés. Les parents étaient  informés de leur  transfert  dans des unités  dispensant des soins spécialisés ; ils devaient signer une autorisation. L’opération fut  très vite  étendue aux adultes : furent  particulièrement visés les psychopathes, les alcooliques, les infirmes, les faibles d’esprit,  les incurables.  L’inaptitude au travail était le  critère déterminant.

L’opération  se fit hors des  hôpitaux psychiatriques,  dans six centres spécialisés , dont  des châteaux isolés,   répartis sur tout  le territoire. Les malades y  étaient amenés dans des autobus gris aux vitres  opaques   de la  société d’Etat Gekrat. Ignorant leur destination, les familles  recevaient  plus tard un faire-part de  décès pour cause d’épidémie et quelquefois une urne funéraire.

La  majorité du corps médical  était au  courant  comme l’a montré le procès des médecins qui s’est tenu à Nuremberg en 1948. Après avoir essayé les piqures de  morphine ou scopolamine, l’administration du T4  jugea plus expéditif le recours au   monoxyde de carbone, suivi d’une crémation.

On estime que,  pendant les deux années (août 1939-août 1941) où  elle se déroula,  l’opération fit environ 75 000 victimes. Mais l’élimination des malades mentaux ou enfants  handicapés se poursuivit hors de l’opération T4 ,  dépassant au total   les  100 000 victimes.

Le secret presque absolu dans lequel elle fut menée   fit que les réactions furent lentes. D’autant qu’en régime totalitaire, les   familles sont isolées les unes des autres et sous surveillance policière. Quand la chose filtra, des pasteurs protestants et de prêtres catholiques  écrivirent à la Chancellerie . La  protestation la plus spectaculaire  fut celle de Mgr Clemens-August  von Galen,  évêque de Munster qui, à l’été 1941,  saisit la justice  et  interpella  avec véhémence le gouvernement  du haut de sa chaire.  Que l’opération ait cessé peu après   est-il l’effet  de cette interpellation ou cette phase de l’opération était-elle  terminée ? Toujours est-il que l’évêque fit mis au secret et plusieurs de ses prêtres déportés .

Une autre raison de mettre  fin à l’ opération, était  qu’à  l’automne 1941, après l’invasion de la Russie, commençait  l’élimination  des juifs, d’abord par balle dans les terres  occupées de l’ Union soviétique puis,  de manière plus « scientifique »,  dans des camps. L’Aktion  T4 aura  servi en quelque sorte de  terrain d’expérimentation  à  cette autre opération,  prévue elle aussi  depuis longtemps. Le personnel qui avait été recruté pour éliminer  les  malades  mentaux  fut  en partie  transféré dans les  camps d’extermination.

 

Roland HUREAUX

Agrégé d’histoire

[1] Condamné à mort à Nüremberg ; Bouhler s’est suicidé  en prison.
[2] Le philosophe a à plusieurs  reprises  recommandé l’élimination des  tarés.

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3 Comments

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  • 0 / 10
  • bertrand , 27 juin 2019 @ 8 h 27 min

    Intéressante, cette rétrospective sur l’amour du IIIème reich pour les handicapés .
    Mais:, y-a-t-il quelque chose de changé dans les mentalités? Dans ce moment, j’ai une profonde pensée pour Vincent Lambert!!!

  • balaninu , 27 juin 2019 @ 9 h 06 min

    J’ai le même sentiment ! nous ne pouvons malheureusement que constater que les humains sont toujours aussi monstrueux ! En France l’euthanasie est dans beaucoup d’esprits ! et je pense moi aussi à Vincent Lambert et à tant d’autres qui par suite d’un accident survenu au cours de leur vie ou à la naissance vont suivre le même chemin. Car c’est une volonté de vouloir garder que les “meilleurs”.., mais les vieux aussi seront sur les listes. Lorsqu’il n’y a plus Dieu et que les humains Le refuse, Dieu nous laisse à nous-mêmes et l’on voit ce que cela donne. Détruire ! Satan est heureux il a beaucoup d’adeptes.

  • jejomau , 27 juin 2019 @ 11 h 21 min

    Avec la PMA pour les LGBT, on déplace l’objectif premier de cette discipline du médical vers le sociétal en offrant un terreau propice et implicite à une forme « douce, molle », « démocratique et sans souffrance » selon les expressions employées par le biologiste Jacques Testart, de cette méthode aux funestes relents, puisqu’elle a été mise en application lors des pires périodes de l’Histoire, notamment sous l’Allemagne nazie et dans l’Amérique des années 30, époque où furent menées de très vastes campagnes de stérilisation des handicapés, des délinquants et des individus malades.

    En sortant de son cadre actuel, thérapeutique, pour entrer dans le champ d’une médecine jugée comme de convenance car elle répond non plus à un besoin, ni à un problème physique, mais permet la réalisation d’un désir, celui d’avoir un enfant, la PMA portera en effet en elle les graines de cette dangereuse dérive : le garde-fou de la nécessité curative étant aboli, tous les autres pourraient disparaître dans la foulée.

    S’ils franchissent ce seuil, de gré ou de force, les praticiens de la reproduction seront ainsi progressivement contraints de fabriquer des êtres vivants « à la carte ».

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