Viva la complotista!

L’étrange situation que nous avons vécue avec le covid au cours de cette année 2020 a atteint à la fois un niveau d’absurdité et d’imprévisibilité peu communes. Ce sont pas tant les événements qui sont en cause mais bien la réaction qu’ils ont entraînée. Non seulement l’infection au covid ne semblait pas si grave que cela, si on en croit Santé Publique France, mais les conséquences et mesures issues des cerveaux en panique des politiciens qui ont géré cette crise ont dépassé de très loin ce qu’on aurait pu accepter d’eux en temps normal. De là à déduire une relation de cause à effet entre les deux, il y a quelques millimètres que seuls les pires complotistes n’hésitent pas à franchir.

Ô Scandale! Ô Ignominie !

En cette fin d’année 2020, le mot « complotiste » est devenu une injure à la mode. Signe des temps ou évolution naturelle, les générations futures jugeront. Cependant le terme est flou et relativement nouveau. Le complotiste serait la personne qui expliquerait une partie ou la totalité des événements qu’il doit affronter au quotidien par l’existence d’un complot, d’une conjuration d’hommes de pouvoir aux buts plus ou moins avouables et plus ou moins cachés. Évidemment pour le détracteur de cet hurluberlu de complotiste, le complot serait totalement fictif, fantasmé, le fruit d’un cerveau simple voire dérangé. Traiter ainsi le complotiste permet ainsi de discréditer l’hypothèse du complot et exclurait d’office l’existence de comploteurs.

On sent la commodité de la manoeuvre. Dorénavant l’existence d’un complot est par nature impossible en raison du complotisme, maladie sociale quasi psychiatrique. Il n’y a donc pas de comploteurs à rechercher, tout se fait en parfaite transparence en permanence, c’est une évidence. D’ailleurs ne sommes nous pas en République, en Démocratie, formes de gouvernement qui excluent l’opacité par principe? Évidemment, au quotidien, c’est exactement le contraire qui est observé. Ça complote à tous les étages et sur tous les sujets. Le cerveau humain fonctionnant assez facilement par extrapolation, il en conclut en toute logique que toute décision qui s’impose à lui est le résultat d’un complot.

Poussées à leurs extrêmes, ces deux visions des choses sont aussi absurdes l’une que l’autre. Le complotisme intégral utilise, il faut bien se l’avouer, les mécanismes de la pensée magique et reste donc une forme de raisonnement régressive pour un adulte. Il est d’ailleurs assez facile à démonter avec quelques connaissances d’un sujet qu’il ne répond pas forcément à une logique de magouille de catacombe. La vérité est en général beaucoup plus nuancée ; elle demande une analyse plus fine. De même, plaider la transparence, la sincérité absolue et systématique en toutes circonstances est plus de l’ordre de la candeur ou pire de la naïveté (voire de l’imbécilité caractérisée). Je ne crois pas d’ailleurs qu’il existe sur cette terre un seul être humain qui ne se soit jamais plaint d’être la victime d’une conjuration. Rappelons juste qu’il y a maintenant sur terre deux populations irréconciliables : les complotistes et les anti-complotistes.

Cette terminologie n’a d’ailleurs pas grand-chose à voir avec le fond du sujet traité. Il est affaire de foi. C’est un acte quasi religieux. Historiquement, nous noterons que « les complotistes » n’étaient que des gens qui avaient des doutes et qui, à force de recherches ou de délires faciles, ont été qualifiés de cet épithète anathémisant par leurs adversaires. Cependant, les traiter de complotistes est parfaitement débile dans la mesure où cela pointe du doigt ce qu’il faudrait absolument cacher, un éventuel complot. Par prudence, il vaut mieux éviter d’utiliser un terme qui a la même racine que ce qu’on veut dissimuler – surtout quand on nie des évidences flagrantes. C’est très maladroit, c’est contre-productif. L’esprit se concentrera sur le problème au lieu de s’en éloigner. En fait, c’est de la novlangue inversée. Orwell fait appauvrir le langage par son héros en éliminant dans une notion toutes les occurrences possibles sauf deux: une qui guide la pensée et la négation de celle-ci (par exemple blanc et non blanc). Ainsi il est impossible de formuler le concept de « rouge » qui devient d’ailleurs strictement identique à celui de « vert ». C’est donc la notion de couleur qui disparaît en novlangue. Avec le concept de complotisme on ne pense qu’au complot. C’est d’une crétinerie sans limite. Le seul intérêt serait d’entretenir la psychose paranoïaque induite chez ceux là même que l’on voudrait dénoncer.

Bref, il faut maintenant une porte de sortie à cette situation. Elle est très simple. Il faut, grâce à l’intuition, à la patience et à quelques connaissances, essayer de proposer un système explicatif à chaque situation. C’est long, difficile et fatiguant. Quand ses propres compétences touchent leur limites en la matière, il existe heureusement quelques experts fiables auprès desquels il est possible de se forger une opinion. Mais ce rôle n’est pas dévolu aux seuls experts académiques. Parfois le bon sens y suffit. La théorie résiduelle du complot ne sera ainsi plus qu’une possibilité parmi les autres résiduelles, admise ou maintenue par facilité ni écartée par principe.

Il existe un exemple très simple vécu lors des premiers mois de confinement. La gestion calamiteuse des masques et des procédures de prise en charge des malades aux mois de mars et d’avril 2020 peut très bien s’expliquer sans théorie du complot, juste en analysant les déterminants de l’administration à la française. Et c’est Coluche, comique de l’ère giscardo-miterrandienne, qui nous l’a donné avec plus de trente ans d’avance. « Les technocrates, c’est des mecs, tu leurs donnes à gérer le Sahara, au bout de cinq ans, ils importent du sable ». Remplaçons Sahara par stock stratégique de masques et vous savez pourquoi le gouvernement a si piteusement pataugé. Pas besoin de complot. Mais il avait aussi, dans le même sketch, prévu le demi-complot crapuleux. « Ecrivez-nous ce qui vous manque, nous vous écrirons comment vous en passer. » Ici ce qui nous a manqué, ce sont des médicaments simples et bon marché, efficaces et sans effets indésirables. Tout le monde a reconnu le protocole Raoult. Il y a deux niveaux à bien comprendre. D’un point de vue strictement décisionnaire, il y a eu certainement complot mais, au strict niveau exécutif, il n’y a eu qu’application des habitudes locales. C’est ainsi qu’avec cet épisode, il devient très tentant de subodorer l’existence d’un groupe de personnes aux intentions mal définies. En juin, l’histoire se corse avec la publication par le sieur Klaus Schwab, directeur du forum économique de Davos de son état, de son livre présenté à grand renfort de Prince Charles d’Angleterre : la grande réinitialisation. Il suffit de lire quelques lignes de cette prose pour comprendre que le complot est non seulement réel, mais assumé. Ce n’est plus de la théorie, c’est du constat. Personne n’a pris les comploteurs la main dans le pot de confiture, ils l’ont eux-mêmes bramé comme des animaux en rut. Bizarrement ceux qui s’opposent au fond, au contenu, aux attendus idéologiques sous-jacents et aux conclusions de ce texte sont toujours traités de complotistes, alors que nous devrions être dans le débat puisque tout est public. Donc s’il y a complot, dans ce cas, il ne serait nullement sur le fond mais sur l’impossibilité de débattre. Cette éventualité serait interdite par un « complot ».

Alors, inévitablement, nous revient en mémoire un autre sketch de Coluche. Il se passe dans une dictature latino-américaine. Le policier interpelle un passant: « Eh toi, tu penses quoi du régime? » L’autre, ennuyé, lui répond diplomatiquement: « Ben, la même chose que vous. – Bon, ben je t’arrête. » Caramba ! Viva la complotista !

Olivier Lardoux

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