La théorie du genre : Symptôme d’une société narcissique, manipulée et fascisante ? (1/2)

Tribune libre de Yann Carrière*

Étudier le genre (l’aspect social de l’identité sexuée) ou bien sa construction (le domaine de la théorie du genre) est une démarche en elle-même respectable. Les biologistes spécialistes des différences entre les hommes et les femmes sont les premiers à reconnaître l’existence et l’importance de ces aspects.

Mais, indépendamment de la respectabilité et du sérieux de l’objet de réflexion, la qualité scientifique de toute démarche d’étude sur le genre ou les genres est d’abord liée aux buts que l’on se fixe et aux méthodes que l’on utilise. Aussi, même si l’objet d’étude choisi (le genre), est un « concept construit » plus qu’une évidence naturelle, c’est donc avant tout de la rigueur intellectuelle et morale des tenants de l’approche que dépend la crédibilité de leurs recherches.

Et c’est là que, souvent, le bât blesse, notamment dans les développements les plus extrêmes utilisés par les militants de mouvements de libération (des femmes, des homosexuels…). Même si aujourd’hui, des hommes et des femmes essaient de mener des études plus équilibrées, bien qu’ils soient souvent amenés à donner des gages aux idéologies en place.

Mon propos est donc de montrer d’abord que la théorie du genre est certes une théorie au sens large du terme, mais qu’elle ne présente pas, loin s’en faut, les garanties habituellement associées aux démarches scientifiques. Parallèlement, nous verrons qu’il s’agit en fait d’une idéologie au service de politiques particulières. Enfin, au cours de cette exploration, les buts, méthodes et conséquences de ces politiques apparaîtront particulièrement mauvais voire singulièrement pervers.

Cependant, pointons la nécessité de prendre conscience que la théorie du genre, loin d’être une aberration de notre époque, en cristallise les pires déviations idéologiques. Si l’on souhaite lutter contre ces théories mauvaises pour la civilisation, il convient donc de procéder à l’examen de certaines orientations de la culture dominante occidentale déjà bien installées.

Mon premier contact avec la théorie du genre eut lieu lors d’une réunion amicale d’universitaires dans les années 90. On parlait à l’époque de la queer theory, dont la théorie du genre est un avatar. Je conversais avec un jeune militant homosexuel qui m’annonçait avec fierté : « Le sexe est une catégorie plus subjective qu’objective qui devrait pouvoir être modifiée sur la carte d’identité sur simple demande ». Notons que depuis l’idée a progressé : l’Argentine a même rendu légale cette possibilité en mai 2012.

Avec cette anecdote, le décor est planté sous plusieurs aspects.

“Nous n’avons pas affaire à des personnes ou démarches centrées sur le désir de connaître et d’explorer le réel, mais à une volonté politique de transformation de la société. Le mot et la volonté de subversion sont récurrents dans les textes de Judith Butler.”

D’abord le militantisme. Nous n’avons pas affaire à des personnes ou démarches centrées sur le désir de connaître et d’explorer le réel, mais à une volonté politique de transformation de la société. Le mot et la volonté de subversion sont récurrents dans les textes de Judith Butler.

Secondement le narcissisme. Aucun obstacle à mes désirs n’est entendable, (je peux être homme ou femme en fonction de mon vécu subjectif). Cette caractéristique générale de notre société a été bien explorée, aux États-Unis par Christopher Lasch, en France reprise et critiquée par Alain Ehrenberg. Les psychologues, psychothérapeutes et psychanalystes – entre autres professionnels des sciences humaines – ont depuis longtemps repéré cette émergence croissante du fonctionnement narcissique dans notre société. Ce dernier est notamment tous les jours encouragé par les publicités qui soulignent en permanence notre droit au bonheur et à la transgression : no limit ! Il est donc important de relever que la théorie du genre n’est nullement une aberration dans la vie intellectuelle contemporaine. Elle en incarne au contraire l’esprit. Aussi on ne peut la condamner comme une lubie superficielle.

En tout cas, pour des militants qui exigent d’être respectés et non discriminés même si leur manière d’être et notamment leur orientation sexuelle ne correspond pas à la norme (ce qui est louable), le meilleur moyen est encore de supprimer ces normes, de les détruire ou plutôt, on va le voir, de les déconstruire. Alors, la question d’une éventuelle souffrance liée à l’atteinte de l’image de soi et de sa dignité ne se pose même plus : ainsi, avec l’abolition du genre prescrit (homme ou femme), si les lesbiennes ne sont pas des femmes, comment pourrait-on encore ne serait-ce que s’étonner de leur conduite ou de leurs préférences ? C’est la fin assurée des risques de discriminations injustes.

Enfin et c’est peut-être le plus inquiétant, le déni du réel et de ses contraintes, général aux dérives narcissiques, s’applique ici à un objet bien particulier : la différence des sexes. Dans la culture psychanalytique, ce type de défense est typique du pervers. Malheureusement, nous allons le voir, il y a non seulement de la perversion mais aussi de la perversité dans cette démarche.

À ce stade de l’examen des buts poursuivis, on peut observer plusieurs rétrécissements importants de la portée de la théorie du genre : contrairement à ce que laisse entendre son intitulé, déjà partiellement mensonger donc, il ne s’agit pas d’explorer le genre en toute généralité. Tout d’abord, l’exploration se fait uniquement dans une perspective de rapports de pouvoir entre les genres. De plus, la recherche et la réflexion de la théorie du genre ne prennent jamais de recul par rapport à un dogme fondateur qui affirme que la différence des sexes et l’hétérosexualité s’accompagnent nécessairement de discrimination injuste. Enfin l’approche est délibérément et uniquement centrée sur le sens univoque des rapports de pouvoir et d’oppression liés à « l’hétérosexualité imposée » : c’est toujours dans le sens des hommes envers les femmes, des hétérosexuels envers les homosexuels, de la société envers les transgenres et jamais l’inverse. De ce point de vue, la théorie du genre est un continuateur du féminisme radical, qui postule le dogme absurde que ce sont toujours les hommes qui dominent ou ont le pouvoir sur les femmes.

En dehors de ce paradigme singulièrement restreint (au pouvoir d’une part et au pouvoir masculin d’autre part), la démarche de la théorie du genre est entièrement aveugle. C’est ce qui explique l’autisme de ses tenants dans le documentaire norvégien « The Norwegian Paradox » : un journaliste norvégien joue les candides sur les différences de comportement des sexes au travail et met en lumière le parti pris et l’obscurantisme des tenants de la théorie du genre. On y perçoit en particulier l’obsession de la théorie du genre pour les rapports de pouvoir à sens unique. De fait il y a rejet de toute autre approche des genres, et notamment des éléments sur les différences hommes femmes fournis par la biologie. Ce rejet a priori révèle un véritable esprit de croisade : comme le dit l’un des partisans interviewés, « notre rôle est de combattre ceux qui croient à la biologie » ; dont acte. Une croisade n’est pas une entreprise scientifique. Ici au contraire, elle combat les scientifiques : il s’agit donc d’obscurantisme.

L’objectif de la croisade, la psychanalyste Janine Chasseguet Smirgel le découvrait avec stupéfaction il y a quelques années : il s’agit de déconstruire (entendre détruire) l’hétérosexualité. Ce que cela révèle de haine est impressionnant. Haine de la nature, de la réalité (négation du sexe biologique), haine de l’autre en tant qu’hétérosexuel et spécialement comme homme hétérosexuel. La psychanalyste était frappée par l’agressivité de l’oratrice, recrutée sur les quotas de lesbiennes dans l’université américaine. Aujourd’hui il nous suffit d’apercevoir les Femen pour percevoir la noirceur haineuse de l’idéologie qui anime des mouvements prétendument féministes !

“Le déni du réel et de ses contraintes, général aux dérives narcissiques, s’applique ici à un objet bien particulier : la différence des sexes. Dans la culture psychanalytique, ce type de défense est typique du pervers.”

Jusque-là, le mal est déjà considérable. Il ne prêterait cependant pas tant à conséquence si les méthodes intellectuelles employées n’étaient aussi trompeuses que la vraie nature des buts de cette théorie.
Car une hypothèse même mal conçue peut être mise à l’épreuve de la réalité de façon scientifique et rigoureuse, ce qui révèle alors, avec un peu de chance, la qualité insuffisante de l’idée initiale et permet à la réflexion d’avancer. Encore faut-il admettre les canons habituels de la rigueur intellectuelle.

Or, ici comme dans nombre de recherches en sciences humaines inspirées d’idéologies politiquement correctes, les règles traditionnelles de sérieux et d’objectivité sont rejetées. Certains chercheurs militants en sciences humaines soulignent fréquemment que ces règles sont des inventions de l’homme blanc hétérosexuel du XVIIIe siècle et qu’à ce titre, elles ne concernent pas les autres catégories d’humains. Dans les gender studies en particulier, on demande même aux chercheurs de faire preuve d’originalité épistémologique, en offrant des approches et points de vue subjectifs.

Pourtant, l’édifice intellectuel souvent illisible et confus de la théorie du genre utilise une armature conceptuelle et des outils intéressants et dignes d’attention. Simplement, ils sont utilisés à sens unique et sans le contrôle d’instruments expérimentaux davantage garants de l’objectivité et de la valeur scientifique des idées avancées. Citons deux outils principaux : la généalogie et la déconstruction. Les deux se donnent pour tâche de décortiquer concepts (le sexe, le genre…) et pensées, tout en les démystifiant et donc en en atténuant la portée. Le premier se penche sur l’histoire de la construction du concept cible, alors que le second s’intéresse au contexte de son émergence (contexte socio-historique, anthropologique…).

Pour intéressantes qu’elles soient sur un plan exploratoire, pour la fabrication d’hypothèses ou de pistes de réflexion, ces démarches, déjà anciennes (cf. Nietzsche et Foucault pour l’une, Derrida pour l’autre), restent d’une pertinence limitée dans la constitution d’un savoir.

Le savoir au sens de la science s’appuie en effet in fine sur la confrontation des hypothèses au réel. On ne peut se contenter d’élaborations intellectuelles, aussi astucieuses soient-elles. D’où l’importance d’exposer ses thèses à l’expérimentation ou à tout autre dispositif de contrôle par la réalité (principe de falsifiabilité bien décrit par Karl Popper). Mais nous rejoignons là les positions honnies d’objectivation, typique de l’homme hétérosexuel blanc !

Ces approches sont enfin essentiellement destructrices, elles infirment plutôt qu’elles n’affirment. Au-delà de la notion d’objectivité, même la notion de sujet est remise en cause. On atteint là sans doute un extrême dans l’éloignement et la déconnexion du réel entamée il y a plusieurs siècles par Descartes, dans son « je pense donc je suis ». Il y voyait une certitude minimale, sans songer qu’un jour la notion de sujet elle-même pourrait être mise en doute…

> Suite vendredi 5 avril sur ndf.fr !

*Yann Carrière est Docteur en Psychologie et membre du réseau Homme, Culture & Identité. Il a écrit Du sexisme au fascisme, lettres à un jeune père sur la misandrie contemporaine.

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32 Comments

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  • 0 / 10
  • Frédérique , 4 avril 2013 @ 20 h 30 min

    @notraffaire
    L’éducation nationale se charge de masquer la vérité, c est à nous, parents, de la rétablir auprès de nos enfants, ce que n avaient pas fait les miens, et comment je suis tombée de haut, une fois adulte quand j ai lu des livres sur l histoire de l occupation nazi.

  • PARITEPEREMEREdepuis2000 , 5 avril 2013 @ 2 h 46 min

    Je boycotterai la “suite”.
    La liste des griefs est surabondante.
    Refuser de laisser le terme genre se faire prendre en otage.
    Il n’y a pas de théorie au sens épistémologique.
    Par indulgence une doctrine, pour éclairage : une utopie.
    La notion d’ “orientation sexuelle” est évanescente comme le prouvent amplement la lettre B dans l’enseigne LGBT, ces actes innombrables de clients pères mariés qui vont au Bois sodomiser de
    fausses femmes vrais brésiliens, l’impossibilité d’une définition sui generis indépendante de contingences circonstancielles seulement inhérentes à des pratiques.
    L’appartenance à un groupe sanguin est une variété pérenne très secondaire qui ne viole pas l’universalité de la dignité humaine, alors que la fantasmatique “gender identity” toute de subjectivisme est présentée comme une essence intra-humaine qui serait catégorique aux dépens de la bio-parité F/M … monsieur Carrière et sa clientèle “masculiniste-réactionnelle” devraient se méfier de la dérive en psychologisation du droit et de la biologie : l’astrophysique tolère l’astrologie mais cette dernière en vient-elle à réprimer l’Observatoire ?
    L’attitude intellectuelle de soit-disant “déconstruction” n’est qu’une esbrouffe pour se démarquer prétentieusement du vrai sens qui est : analyser. Les gadgets lexicaux comme “décortiquer”, “décrypter” (très à la mode) ne peuvent tenir lieu d’argument. Parmi les démolitionnistes, une anecdote caractérise un certain Barthes : en visite en Chine du mao-goulag dans les années 60, Barthes gémit que de voir tant de jeunes soldats sans pouvoir coucher avec était une grande souffrance… Hollande a-t-il fait fleurir le tombeau du pédo Genet au cimetière catholique espagnol de Larache (Maroc) ? (El-Araïch = Le-Verger)
    Monsieur Carrière évoque pour se l’annexer la critique en obscurantisme certes, or il n’est pas arrivé en conscience à la rupture épistémologique inéluctable due à l’ADN (il y a 60 ans) et au test de Jeffreys (il y a 25 ans) qui liquident objectivement des millénaires ténébreux tributaires de la mystique du père PATER SEMPER INCERTUS EST.
    Monsieur Carrière se pique de maîtriser l’épistémologie universitaire en invoquant le ” principe de falsifiabilité bien décrit par Karl Popper “, mais n’est pas René Taton ou Jean Dhombres qui veut :
    d’emblée son usage suiviste de l’anglicisme “falsifiabilité” dénote une absence de réflexion personnelle sur la théorie (rétrospective comme toutes les théories) de Popper. C’est d’ailleurs un critère implacable pour discerner les sachants véritables des gloseurs légers : les vrais lecteurs de Popper rectifient d’eux-mêmes et parlent de REFUTABILITE au lieu de cette barbare “falsifiabilité” si ambigüe et somme toute immature.
    Enfin en lisant l’annonce d’un prochain réquisitoire contre Descartes de la part d’un psychologue pour cause de ” déconnexion du réel “, on pense à l’hôpital qui se f… de la charité ! Certes Descartes a commis des erreurs scientifiques affligeantes dans le domaine de la mécanique, obnubilé par l’image des “tourbillons”, et à contre-sens de l’excellent Robert Hooke quant à la bonne interprétation de la force centrifuge (Descartes concluait à un renflement du géoïde aux pôles comme par une gluance de type barbe-à-papa autour de l’axe !). Mais pour autant son optique géométrique simultanément à l’anglais Snell est validée formellement et commentée dans le sens de la Fécondité pour la Postérité.
    ” Fécondité pour la Postérité ” : voilà peut-être le critère moral-intellectuel qui manque à M. Carrière pour lui permettre de dépasser un certain bain de nostalgisme pathologique qui guette sans répit les claviers-de-céans…
    Non, je n’accorderai pas à M. Carrière le moindre crédit visuel pour sa suite de carrière.

  • Alexis , 5 avril 2013 @ 9 h 19 min

    @PARITEPEREMERE Si vous écriviez un autre commentaire qui soit lisible et intelligible nous serions tous heureux de pouvoir comprendre le sens de ce que vous avez à dire. Pour le moment vous n’apparaissez que comme un trublion PRO-GENDER qui veut impressionner son nombril.

  • Diex aie ! , 5 avril 2013 @ 11 h 05 min

    haaaaaaaaaaa nous y revoilà ! Les vilains fachos!!! Décidément, ils sont responsables de tous les maux de la terre ceux-là!!!

  • Chocard , 5 avril 2013 @ 11 h 52 min

    Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement…

    Vous voyez une fécondité potentielle dans la théorie du genre vous? Vous en voyiez probablement dans le communisme… Le chaos est fécond prétendent certains…

    Où Descartes doute pour arriver à la Vérité, vous êtes resté au doute…

  • jean marc boni , 5 avril 2013 @ 11 h 54 min

    notre société de tolérance est allée trop loin ; nous ,les hétéros, devons faire repentance , surtout si nous sommes des mecs.
    les intellos ou pseudo intellos soixante-huitards nourris au biberon de sartre et beauvoir cherchant à refaire le monde en tirant sur leur pétard et confortés par les mouvements pacifistes , antiracistes , féministes ,peace and love de californie suite à la guerre du vietnam , ont engendré dans nos sociétés occidentales confortables des enfants rois ayant le droit de tout dire et tout faire , de jouir sans entrave et de nous emm. avec leur revendications toujours plus débiles…
    le résultat est là.
    et puis ensuite , ils vont inventer quoi ?

  • jejomau , 5 avril 2013 @ 12 h 03 min

    Sur les 130 Français possédant des comptes dans les paradis fiscaux, il y a celui de Jean-Jacques Augier, actionnaire de deux sociétés offshore aux îles Caïmans. Camarade de l’ENA de François Hollande (promotion Voltaire)qu’il connait depuis plus de trente ans il est le trésorier de la campagne présidentielle du candidat socialiste et a géré les 22 millions d’euros de celle-ci.

    Pédéraste, il milite activement pour le Mariage pour tous. Il y a quelques mois, Augier a aussi racheté à Pierre Bergé le magazine Têtu , en grandes difficultés…

    http://www.leprogres.fr/faits-divers/2013/04/04/augier-un-homme-tres-(trop-)-discret-augier-l-ami-de-30-ans

    Quel est ce lobby qui s’est installé au pouvoir ?

    Bien sûr Hollande ne sait rien et n’a rien vu….

    qui tient vraiment les rênes du pouvoir ? Pourquoi des enquêtes ne sont-elles pas diligentées par nos services surtout quand on sait que ce Mr Augier par exemple a fait des affaires pendant 10 ans dans un pays communiste (la Chine) qui était alors dans les années 80 encore un pays ennemi des intérêts de la France ?

    NOUS NE VOULONS PAS DE CETTE LOI TAUBIRA !

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