France souviens-toi de qui tu es !

Tribune libre de Cyril Brun*

Lorsque la Révolution Française a éclaté, l’Europe n’en revenait pas de ce que le plus doux, le plus aimable des peuples ait ainsi pu se transformer un en monstre sanguinaire, aveugle prêt à déchiqueter sans discernement quiconque se dressait devant lui. Il est saisissant de lire cet étonnement des contemporains européens dans leur correspondance. Et depuis ? Depuis qu’est devenu le plus aimable des peuples ? A-t-il toujours le goût du sang aux lèvres ? Si nous regardons l’histoire chaotique et violente qui émaille les deux derniers siècles, nous serions bien tentés de répondre oui. Comme un homme ne se remet jamais d’un meurtre, comme une personne saine se relève difficilement d’un coup de folie meurtrière, la France semble comme abrutie depuis deux siècles. On le dit trop peu, le peuple de France n’est pas encore sorti de l’épisode révolutionnaire. Preuve s’il en est le nouveau maire de Rouen en est encore à débaptiser le salon Louis XVI pour lui donner le nom de… République. La période révolutionnaire, avec sa violence inouïe, a créé une rupture qu’une certaine idéologie a savamment entretenue. Il y a un avant et un après, comme il y a un ancien et un nouveau régime. Que l’on soit monarchiste ou républicain m’importe peu ici, car la cassure qui a eu lieu n’est pas seulement politique. Elle est identitaire et anthropologique. La France n’est plus la même. Celle construite patiemment par nos rois, au prix d’une lente intégration respectant les particularismes locaux a cédé le pas à une recomposition brutale et arbitraire. Là où chaque identité régionale tissait harmonieusement l’unité du pays, le centralisme révolutionnaire est venu étouffer les particularismes au point qu’aujourd’hui le communautarisme qui leur a succédé est devenu la hantise des nouveaux régimes successifs. Car l’effort révolutionnaire a oublié une chose fondamentale, l’unité naît de la diversité. La peur au ventre, conscients de la fragilité du régime qu’ils voulaient imposer, ils n’ont plus voulu qu’une seule tête, réduisant la personne à l’individu, en faisant un simple numéro poli par la propagande. Et cela dure, en s’accentuant, depuis maintenant deux siècles. Notre actuel gouvernement se situe dans la droite ligne des mentors de la révolution. Il en utilise les mêmes procédés. Intimidation, passage en force, mais surtout négation de l’Histoire et de la personne. Deux siècles pourtant nous séparent de la chute de l’Ancien Régime et la France n’est toujours pas à l’aise avec ce moment clef de son Histoire. Les programmes d’Histoire minimisent de plus en plus les siècles qui ont précédés 1789 et quand ils les abordent c’est avec un parti prix qui fait honte à la vérité. Pourquoi donc un régime vieux de deux siècles a-t-il autant peur de ce qui l’a précédé ? Pourquoi, sinon parce que ce régime sent qu’il a un vrai problème de légitimité. Je ne dis pas que la république en soi n’a pas de légitimité. Je dis que notre république a un problème de légitimité et ce pour une simple raison, elle est né du mensonge et s’entretient depuis deux cents ans par le mensonge. Ce n’est pas tant le régime qui est en cause, mais ce qu’il a dû briser pour s’imposer et se maintenir. Or, si paradoxal que cela puisse paraitre, ce que la révolution a retiré de plus fondamental et ce dont les régimes successifs maintiennent la privation, c’est la liberté. La France pays des droits de l’Homme, les valeurs de la République maintenues artificiellement par un pacte républicain dont personne n’a jamais vu ni signé le moindre article, ne sont qu’un artifice rhétorique destiné à entretenir un peuple brimé dans l’illusion de la liberté.

Pas moins de dix régimes se sont succédés depuis l’épisode révolutionnaire. Soit une durée de vie moyenne de 20 ans. Les rois, les empereurs, les consuls et les républiques passent sans que personne ne s’inquiètent de leur caractère éphémère. Depuis la chute de Napoléon III on pense même que la république vit cette nécessaire adaptation au temps qui passe. Un homme qui aurait une telle volatilité passerait pour instable et on penserait de lui qu’un malaise profond l’habite. La même question devrait se poser pour notre pays. Pourquoi depuis deux siècles peine-t-il autant à trouver une stabilité ? Pourquoi les crises successives emportent-elles les régimes, alors que la monarchie a traversé les siècles ? Le problème ne tient pas uniquement au choix du régime, mais à ses assises. Depuis 1789 nous passons notre temps à refuser la vérité historique au profit d’une idéologie galopante. Aucun être au monde ne peut grandir sereinement en niant son histoire. Cette négation entretient un mal-être collectif qui plonge la France dans l’instabilité et l’inquiétude. La France n’est plus un pays serein et son peuple ne peut plus être le plus doux et le plus aimable des peuples. Mais plus grave encore, pour s’imposer et faire oublier sa naissance ce nouveau régime, sous toutes ses formes, a préféré nier la réalité humaine et a peu à peu imaginé un prototype d’individu facile à gouverner, un standard aussi aisé à contenter qu’on range des boites identiques et calibrées sur une étagère. Le temps aidant, ce stéréotype standardisé s’est de plus en plus éloigné de l’être réel, sans que plus personne ne soit audible pour rappeler la vérité anthropologique. Et aujourd’hui nous sommes parvenus au paroxysme de cette dichotomie avec les projets de lois en cours.

Mais le drame de cette épopée s’est étendu au monde entier au nom du pays des droits de l’Homme. Il serait temps avant de parler des droits de reparler de l’Homme. Et si la France a bel et bien une vocation et s’il ne faut pas davantage nier les deux derniers siècles que les précédents, cette vocation pourrait bien être de restaurer la véritable dignité humaine. Les tenants aveugles d’une idéologie du progrès, terrifiés d’être à la traîne des dérives progressistes commises dans d’autres pays, usent leur force et la France à vouloir être comme tout le monde et même (orgueil franchouillard mal placé) à faire mieux.

Et si au contraire la France redevenait le pays des droits de l’Homme, si la France était bien ce peuple aimable et doux qui protège le plus faible ? Si la France prenait à nouveau de l’avance, si la France était visionnaire et pouvait rester dans l’Histoire le pays qui en disant non avait stoppé la spirale du mal ? Alors peut-être, par un retour à la vérité, le peuple de France retrouverait-il la sérénité et donc la stabilité. Alors peut-être serions-nous, enfin, le pays des droits de l’Homme. Telle est, me semble-t-il la responsabilité de la France après avoir entrainé le monde dans l’illusion depuis deux siècles.

*Cyril Brun est le délégué général de l’Institut éthique et politique Montalembert à Paris.

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25 Comments

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  • 0 / 10
  • cocorico , 16 avril 2013 @ 20 h 33 min

    Pas humilié mais grandi.

  • sof , 16 avril 2013 @ 22 h 54 min

    Oui, et n’est-ce pas le sens de l’interpellation du St-Père JPII “France, fille aînée de l’Eglise, qu’as-tu fais de ton baptême ?” C’est assez étonnant de constater que la France a longtemps eu un rôle de “leader” (pas toujours pour le meilleur).
    Elle pourrait reprendre sa place car l’on sent bien chez nos voisins ces regards attentifs comme des plus jeunes enfants d’une fraterie vers leur aîné, qui cherchent un guide. La France est une boussole qui aurait perdu le Nord…

  • leopold St John , 17 avril 2013 @ 0 h 43 min

    bravo. tout est dit. ce texte est magnifique de clarté. prions pour eclairer ceux et celles qui guideront notre pays et ses aimables habitants vers la paix et la reconciliation

  • noralpha , 17 avril 2013 @ 7 h 23 min

    Cela fait plaisir de lire ce type d’article

    Clair précis et évident

    L’évidence n’est pas la chose la plus facile à faire comprendre

    Toutes nos félicitations à Mr Cyril Brun

  • BMN , 17 avril 2013 @ 7 h 43 min

    texte d’Albert Camus, prix Nobel, extrait de son livre L’homme révolté :

    « Le 21 janvier, avec le meurtre du Roi-prêtre, s’achève ce qu’on a appelé significativement la passion de Louis XVI. Certes, c’est un répugnant scandale d’avoir présenté, comme un grand moment de notre histoire, l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. Il reste au moins que, par ses attendus et ses conséquences, le jugement du roi est à la charnière de notre histoire contemporaine. Il symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. Dieu, jusqu’ici, se mêlait à l’histoire par les Rois. Mais on tue son représentant historique, il n’y a plus de roi. Il n’y a donc plus qu’une apparence de Dieu relégué dans le ciel des principes.
    Les révolutionnaires peuvent se réclamer de l’Evangile. En fait, ils portent au Christianisme un coup terrible, dont il ne s’est pas encore relevé. Il semble vraiment que l’exécution du Roi, suivie, on le sait, de scènes convulsives, de suicides ou de folie, s’est déroulée tout entière dans la conscience de ce qui s’accomplissait. Louis XVI semble avoir, parfois, douté de son droit divin, quoiqu’il ait refusé systématiquement tous les projets de loi qui portaient atteinte à sa foi. Mais à partir du moment où il soupçonne ou connaît son sort, il semble s’identifier, son langage le montre, à sa mission divine, pour qu’il soit bien dit que l’attentat contre sa personne vise le Roi-Christ, l’incarnation divine, et non la chair effrayée de l’homme. Son livre de chevet, au Temple, est l’Imitation de Jésus-Christ.
    La douceur, la perfection que cet homme, de sensibilité pourtant moyenne, apporte à ses derniers moments, ses remarques indifférentes sur tout ce qui est du monde extérieur et, pour finir, sa brève défaillance sur l’échafaud solitaire, devant ce terrible tambour qui couvrait sa voix, si loin de ce peuple dont il espérait se faire entendre, tout cela laisse imaginer que ce n’est pas Capet qui meurt, mais Louis de droit divin, et avec lui, d’une certaine manière, la Chrétienté temporelle. Pour mieux affirmer encore ce lien sacré, son confesseur le soutient dans sa défaillance, en lui rappelant sa « ressemblance » avec le Dieu de douleur. Et Louis XVI alors se reprend, en reprenant le langage de ce Dieu : « Je boirai, dit-il, le calice jusqu’à la lie ». Puis il se laisse aller, frémissant, aux mains ignobles du bourreau. »

  • Sergio , 17 avril 2013 @ 9 h 07 min

    Brillante analyse de Cyril Brun sur la genèse du mal-être français depuis plus de deux siècles…

  • scaletrans , 17 avril 2013 @ 9 h 21 min

    Les dégâts causés par la Révolution dans l’esprit humain sont considérables. Il y a plus de cinquante ans Funck Brentano écrivait déjà à peu près ceci en parlant de la France: “130 ans de sophistique, aucun peuple ne peut résister à cela”.
    L’espoir ne peut résider que dans le Très Haut. “Sans moi vous ne pouvez rien faire” nous a dit le Christ.

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