Unité dans la diversité ?

Tribune libre de Rémi Lélian et Jacques de Guillebon*

Unité dans la diversité, nous disait le camarade Thieulloy : la formule est simple, aisée et ne mange pas de pain. La diversité, on la connaît, ce jeu des sept familles cathos qui fonctionne en France depuis deux cents ans, partagé entre traditionalistes, libéraux-conservateurs, sociaux-libéraux, démocrates-chrétiens, progressistes, réactionnaires et socialistes. L’unité, on la connaît moins pour ne l’avoir vue depuis longtemps, cette Arlésienne, et peut-être même jamais. L’enjeu est gigantesque, continuait notre frère Thieulloy, pas moins qu’un changement de paradigme civilisationnel qui déguise sous les traits de l’égalité l’esclavage de demain. Tout le monde en est d’accord.

L’unité, on l’a vue un moment et répétons-le, elle était surprenante dans sa nouveauté, d’octobre dernier jusqu’au 24 mars. Presque six mois. Mais l’unité, l’ami Thieulloy craint de l’écrire, c’est Frigide qui l’a réalisée et personne d’autre. Ce n’est pas grave, il n’y a nulle honte pour personne à l’avouer. L’histoire de France regorge d’instruments de même acabit, de Vercingétorix à Jeanne d’Arc, en passant par de Gaulle et sainte Geneviève. C’est précisément ce que l’on appelle un événement, quelque chose qui surgit, incarné, alors qu’on ne l’attendait pas. Pour un chrétien, l’image est plus forte encore, celle de la pierre qu’on avait rejetée qui est devenue la pierre d’angle. Alors, oui, on sait, Frigide a un surnom ridicule, elle faisait le grand écart dans des boîtes gay, elle porte des jupettes roses trop courtes pour ses longues jambes, et elle a une choucroute sur la tête. What else ?

Tout cela ne nous fait pas un printemps, français ou non. Le catholicisme français souffre de multiples tares, que nous n’allons pas toutes énumérer ici, ce serait trop long et nous n’avons pas l’intention de faire notre confession publique. Mais il en est au moins deux que l’on a identifiées depuis longtemps pour ce que leur nocivité est si grande qu’elle en est devenue insupportable, et qu’elles se manifestent au moins une fois par an comme pour se rappeler à notre bon souvenir. Il y a d’abord, très commune, celle de la jalousie, de l’envie et partant de la rivalité, instrument favori du diabolos, qui pousse les brebis à se rassembler en camps antagonistes, découpant chacune dans le pré où brouter paisiblement qui s’appelle le monde leurs parts de marché. Les sept familles que nous avons citées plus haut sont une bonne illustration de ceci, qu’un certain Paul dénonçait déjà il y a deux mille ans en Asie mineure. Nul n’est à Pierre, à Paul ou à Apollos, ni à Frigide ou à Béatrice, mais au Christ. Il est bon de le rappeler.

La deuxième, c’est la confusion des méthodes de lutte politique. Elle est spécialement navrante, depuis au moins cent ans. Pile tu gagnes, face je perds. C’est le jeu du catholique français contre le monde. Jugeons-en aujourd’hui : quelques petits groupes sûrs d’eux-mêmes et de leur bonne foi s’agitent et jurent qu’ils feront tomber le gouvernement, ou au moins qu’ils lui feront rendre gorge. La révolution, pourquoi pas ? Mais demandons-nous d’abord s’ils en ont les moyens, si les conditions de la révolution sont réunies, si leur entreprise non seulement peut aboutir mais si encore elle ne sera pas contre-productive, et enfin quel est leur projet politique.

En ont-ils les moyens ? Non. Quelques centaines de jeunes gens mal aguerris, inorganisés et désarmés ne font pas une révolution. Ça finit en garde-à-vue, ça se casse un doigt et ça pleure maman.

Les conditions sont-elles réunies ? La France est certainement au bord de la crise de nerfs, mais elle a d’autres chats à fouetter, malheureusement, que la question du mariage. Les catholiques sont, avec raison, extrêmement mobilisés aujourd’hui. Mais ils ne sont pas la France. La France, celle du peuple, serait prête à faire la révolution pour qu’on la protège, qu’on lui trouve du travail, qu’on lui accorde des conditions de vie décente, mais pour rien d’autre. On rêve tous d’une autre France, sublime, qui combatte vaillamment pour de nobles causes. Ce n’est pas le cas. Et qui n’a pas compris cela n’a rien compris.

Cette entreprise a-t-elle des chances d’aboutir ? Ce qui avait des chances rationnelles d’aboutir, c’était l’organisation draconienne dans son unité qu’avait initiée Frigide : tout le monde à l’intérieur, derrière des pancartes et des slogans réduits au plus petit dénominateur commun frisant même la misère intellectuelle. C’était pourtant la seule garantie de manifestations massives, qui ont d’ailleurs eu lieu, deux fois. Dès le début, des trublions piaffant cachaient mal leur impatience de scander leurs propres slogans, parfois relativement éloignés du débat. Mais par grâce, l’unité a tenu six mois. Nul qui en fût exclu pourvu qu’il se pliât à la discipline, pesante mais comme toutes les disciplines, de ne rien réclamer d’autre que le retrait de ce projet de loi. Ce n’était pourtant pas compliqué. Mais il a fallu que les contre-réformistes dans l’âme viennent tout briser, car certainement, à se voir un million, ils se sont sentis forts tout d’un coup. Et dans un moment de faiblesse d’esprit dont ils sont coutumiers, il leur a échappé que le million n’était là qu’à lutter contre cette folie de faux mariage. Et rien d’autre. Cependant ils conçurent chacun dans leur cœur une chimère : qui qu’on pouvait bien utiliser ce million pour rétablir le roi ; qui encore pour jeter bas la gauche ; qui toujours pour créer enfin sur terre le Royaume de Dieu. Nobles idéaux. Sottes perspectives.

La Restauration rapide, ça n’existe pas, sauf à croire au coup de force et il est affligeant de constater qu’il en demeure qui n’ont pas médité encore ni Franco, ni Videla. Quitte à faire la révolution, il faudrait commencer par remplacer dans certaines bibliothèques les œuvres complètes de Bernard Antony par celles de Lénine. Au moins, ça marche. Mais les conséquences en sont infinies.

Et c’est ici que surgit la dernière question : faire chuter ce gouvernement, pour quoi faire ? « Hollande t’es foutu, les cathos sont dans la rue », ça se crie facilement. Mais si par impossible, leur révolte fonctionnait, où irions-nous ? Nous attendons la réponse. Confondre la réalité avec ses rêves, c’est une occupation, louable, d’enfant. Malheur à la ville dont le prince est un enfant. Avec Lénine, il faudrait aussi ouvrir parfois L’Ecclésiaste. Car des dirigeants du Printemps français, on n’a jusque là entendu rien d’autre que des paroles d’enfants, rien sinon des actes puérils, comme révulser des sénateurs encore hésitants la veille de leur vote, ou invoquer très rapidement une agression gay-friendly dans le métro pour descendre à nouveau dans la rue. Pratiquer la politique du pire, c’est une occupation de masochiste dont certains, selon toute apparence, se satisfont, et puis, si nulle révolution ne vient, le gouvernement aura beau jeu, mais n’est-ce pas déjà le cas ?, d’invoquer les images que lui ont fourni quelques excités épars pour transformer le mariage pour tous en lutte contre l’extrémisme. À quoi serviront alors toutes ces gesticulations si ce n’est à armer l’adversaire car au jeu de l’image vainc toujours celui qui sait s’en servir et qui la domine. Qui pourra se vanter d’avoir gagné alors ? Il est encore temps de venir à résipiscence, camarades.

*Rémi Lélian est critique littéraire et professeur de philosophie. Jacques de Guillebon est un écrivain, essayiste et journaliste français. Il écrit dans La Nef, Causeur et Permanences.

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63 Comments

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  • JG , 17 avril 2013 @ 17 h 42 min

    Malheureusement, vous vous trompez. Refaites l’histoire des manifestations, et vous verrez qu’en octobre Frigide partait seule, que vous n’étiez pas là, et que tout le monde lui disait déjà de ne rien faire.
    Et ce ne sont pas vos insultes pataudes qui y changeront quelque chose.

  • Pharamond , 17 avril 2013 @ 17 h 58 min

    article détestable. on a cité Bernanos dans un commentaire: la lecture de ce livre m’inspire beaucoup de réflexions en ce moment… Jeanne d’Arc, Ste Geneviève…. Pitié!!!!!!!! vous les voyez chanter une certaine chanson “comique” que nous connaissons tous? et ne jamais s’en repentir???
    la ville dont le Prince est un enfant? oui… où sont les hommes mûrs? les chefs qui restent jusqu’au bout? entre un enfant et une vieille peau, j’ai choisi.
    l’Ecclésiaste, St Paul (tordu en plus)… quid des Maccabées?, de l’épisode du Juge Juda, du “qui ne deviendra pas comme ces enfants”…
    Je laisse tomber, j’ai une manif à fair (précision: je suis majeur, fonctionnaire, historien, mais JEUNE et CATHOLIQUE).

  • Jean Delaforest , 17 avril 2013 @ 18 h 47 min

    MENSONGE !

    Le collectif des associations y était et les premières têtes sont tombées à ce moment-là. La Jobarde s’est imposée à cette époque en faisant place nette autour d elle et en s entourant d une petite clique acquise à sa promotion médiatique, clique représentant les fameuses coquilles vides. Vous faites sans doute partie du petit clan chargé de colporter la désinformation mais cela ne marche plus car les provocations de votre idole chérie ont survolté la base de la MPT.

  • PG , 17 avril 2013 @ 18 h 52 min

    Guillebon, où était-il ce charmant éphèbe plumitif ces derniers jours : dès que cela chauffe, le BHL du catholicisme se mobilise, mais ailleurs que sur place. Il FAIT évènement, mais fuit le réel. Lui il écrit, remue sa mèche et il pense ce que les imbéciles catholiques vivent et réalisent sur le terrain. Il devrait dévider son petit couplet de bien pensance dans le commissariat du 18 ème où on enferme les gens raflés.
    Nous avions connu il y a qq temps un GULLEBON qui secouait la vielle droite conservatrice, et nous le retrouvons maintenant défenseur de l’ordre bourgeois : la Manif Pour Tous, mais en rangs et au pas barjoté. Gullebon-Valls-Barjot : l’axe du Bien contre la dérive de l’aventurisme.
    Jésus, tais-toi donc avec ta bonne nouvelle, il n’y a aucune structure établie pour mettre en forme ta révolte. Et puis à force de contester, tu vas souffrir et entraîner bien des malheurs pour tes amis.
    Va voir Hérode-Hollande, Caïphe-Valls et Pilate-Cope et passe un accord avec eux : tu prêches à heures fixes, tu dis du bien de César, et tu verras, tous les modérés d’Israël et d’ailleurs seront derrière toi………Tu vas faire un sacré succès institutionnel, tu seras grand-prêtre un jour ! Arrête donc de parler de ta vérité, de ton chemin de la Vie, on a jamais vu l’humanité se sauver avec de telles sornettes !
    Sacré GUILLEBON, l’écrivain catholique de service, quelle grande poilade de te lire ici ! Tu es une béatitude du pharisaïsme à toi tout seul !

  • Jean Delaforest , 17 avril 2013 @ 19 h 31 min

    PG a croqué Guillebon sur le vif !

  • Adock , 17 avril 2013 @ 19 h 38 min

    L’histoire ne se répète pas !

    Nos mouvements doivent être à l’image d’un réseau social.

    Il faut mettre un terme au jacobinisme de la manif pour tous.

    Pour cela, chacun doit créer son propre mouvement, sa propre association, ses propres mobilisations.

    De cela naitre la proportionnelle intégrale du nouveau régime.

    La manif pour tous était un outil de coordination, il est devenu un jacobinisme de replis.

    L’unité est nuisible.

    L’unité était bonne pour les combats du passé, mais comment le mur de Berlin est-il tombé ?

    Dans le désordre et la désunion.

    La démocratie semi-directe fut partiellement instaurée après cette chute, partout en Allemagne !

    Que les vendéens réservent auprès de la préfecture, leurs propres boulevards, que les lyonnais en fassent de même, que les commerçants en fassent de même etc.

    Et La manif pour tous redeviendra alors ce qu’elle aurait toujours dû être, un outil, non pas de commandement, mais de coordination de mouvements souverains qui partagent ou pas les combats qu’ils veulent partager ou pas, entre eux.

    La manif pour tous jacobine est vulnérable, Barjot peut être menacée, corrompue ou même assassinée… ce mouvement peut être récupéré par l’UMP (qui tente une percé) ou même par les communistes (qui tentent aussi une percé, preuve en est, les drapeaux de la CGT dans les manifs).

    Cette unité est donc un risque.

    Nous devons au contraire nous désunir, chacun doit, ici et là, dans ses villes, constituer de petites unités indépendantes, de 500 à 5000 personnes, unies et mobiles par les réseaux sociaux.

    Certains de ces groupes pourront tomber, être raflés par la police politique, mais ainsi horizontalisés, nos mouvements dans leur ensemble, sont indestructibles.

    Ne permettons plus que nous n’ayons le choix, qu’entre La manif pour tous, le Printemps français ou Civitas, il nous faut élargir l’offre de plusieurs centaines d’autres propositions, d’autres groupes, non liés les uns aux autres, mais complémentaires les uns aux autres.

    Personnellement je tente de monter une opération sur Bruxelles le 5 mai… nous ne sommes pas très nombreux pour le moment, mais chacun doit venir tenter de convaincre les associations, réseaux sociaux, leaders divers, de mobiliser le 5 mais à Bruxelles.

  • JG , 17 avril 2013 @ 23 h 23 min

    Ouh là, il faut croire que Petit Gros a vécu la première manifestation de sa vie récemment.
    “Mon Dieu, des policiers, madame la Marquise. Vous le croyez ça ? Avec des gros gourdins et même des petits gaz. Quel scandale ! Passe encore qu’ils vous bastonnent le prolétaire de temps en temps, ça lui fait du bien, mais de bons bourgeois de la banlieue ouest comme nous, j evous le demande ? Tout se perd.
    Tiens, puisque c’est comme ça, nous aussi, nous allons faire la révolution. Et pas plus tard que demain, c’est moi qui vous le dis. Na. Comment ? Je ne sais pas, mais on va la faire. C’est sûr.
    La loi ? Quelle loi ? Ah, sur le mariage… Peu importe, on n’est pas là pour ça.
    Nous, on va faire comme Jésus, la révolution dans la rue. Il ne l’a pas faite ? Ah bon. C’est sans doute qu’il était trop lâche. Nous, madame, je vous le dis haut et fort, nous-z’-y allons. Et zut à la République.”

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