Unité dans la diversité ?

Tribune libre de Rémi Lélian et Jacques de Guillebon*

Unité dans la diversité, nous disait le camarade Thieulloy : la formule est simple, aisée et ne mange pas de pain. La diversité, on la connaît, ce jeu des sept familles cathos qui fonctionne en France depuis deux cents ans, partagé entre traditionalistes, libéraux-conservateurs, sociaux-libéraux, démocrates-chrétiens, progressistes, réactionnaires et socialistes. L’unité, on la connaît moins pour ne l’avoir vue depuis longtemps, cette Arlésienne, et peut-être même jamais. L’enjeu est gigantesque, continuait notre frère Thieulloy, pas moins qu’un changement de paradigme civilisationnel qui déguise sous les traits de l’égalité l’esclavage de demain. Tout le monde en est d’accord.

L’unité, on l’a vue un moment et répétons-le, elle était surprenante dans sa nouveauté, d’octobre dernier jusqu’au 24 mars. Presque six mois. Mais l’unité, l’ami Thieulloy craint de l’écrire, c’est Frigide qui l’a réalisée et personne d’autre. Ce n’est pas grave, il n’y a nulle honte pour personne à l’avouer. L’histoire de France regorge d’instruments de même acabit, de Vercingétorix à Jeanne d’Arc, en passant par de Gaulle et sainte Geneviève. C’est précisément ce que l’on appelle un événement, quelque chose qui surgit, incarné, alors qu’on ne l’attendait pas. Pour un chrétien, l’image est plus forte encore, celle de la pierre qu’on avait rejetée qui est devenue la pierre d’angle. Alors, oui, on sait, Frigide a un surnom ridicule, elle faisait le grand écart dans des boîtes gay, elle porte des jupettes roses trop courtes pour ses longues jambes, et elle a une choucroute sur la tête. What else ?

Tout cela ne nous fait pas un printemps, français ou non. Le catholicisme français souffre de multiples tares, que nous n’allons pas toutes énumérer ici, ce serait trop long et nous n’avons pas l’intention de faire notre confession publique. Mais il en est au moins deux que l’on a identifiées depuis longtemps pour ce que leur nocivité est si grande qu’elle en est devenue insupportable, et qu’elles se manifestent au moins une fois par an comme pour se rappeler à notre bon souvenir. Il y a d’abord, très commune, celle de la jalousie, de l’envie et partant de la rivalité, instrument favori du diabolos, qui pousse les brebis à se rassembler en camps antagonistes, découpant chacune dans le pré où brouter paisiblement qui s’appelle le monde leurs parts de marché. Les sept familles que nous avons citées plus haut sont une bonne illustration de ceci, qu’un certain Paul dénonçait déjà il y a deux mille ans en Asie mineure. Nul n’est à Pierre, à Paul ou à Apollos, ni à Frigide ou à Béatrice, mais au Christ. Il est bon de le rappeler.

La deuxième, c’est la confusion des méthodes de lutte politique. Elle est spécialement navrante, depuis au moins cent ans. Pile tu gagnes, face je perds. C’est le jeu du catholique français contre le monde. Jugeons-en aujourd’hui : quelques petits groupes sûrs d’eux-mêmes et de leur bonne foi s’agitent et jurent qu’ils feront tomber le gouvernement, ou au moins qu’ils lui feront rendre gorge. La révolution, pourquoi pas ? Mais demandons-nous d’abord s’ils en ont les moyens, si les conditions de la révolution sont réunies, si leur entreprise non seulement peut aboutir mais si encore elle ne sera pas contre-productive, et enfin quel est leur projet politique.

En ont-ils les moyens ? Non. Quelques centaines de jeunes gens mal aguerris, inorganisés et désarmés ne font pas une révolution. Ça finit en garde-à-vue, ça se casse un doigt et ça pleure maman.

Les conditions sont-elles réunies ? La France est certainement au bord de la crise de nerfs, mais elle a d’autres chats à fouetter, malheureusement, que la question du mariage. Les catholiques sont, avec raison, extrêmement mobilisés aujourd’hui. Mais ils ne sont pas la France. La France, celle du peuple, serait prête à faire la révolution pour qu’on la protège, qu’on lui trouve du travail, qu’on lui accorde des conditions de vie décente, mais pour rien d’autre. On rêve tous d’une autre France, sublime, qui combatte vaillamment pour de nobles causes. Ce n’est pas le cas. Et qui n’a pas compris cela n’a rien compris.

Cette entreprise a-t-elle des chances d’aboutir ? Ce qui avait des chances rationnelles d’aboutir, c’était l’organisation draconienne dans son unité qu’avait initiée Frigide : tout le monde à l’intérieur, derrière des pancartes et des slogans réduits au plus petit dénominateur commun frisant même la misère intellectuelle. C’était pourtant la seule garantie de manifestations massives, qui ont d’ailleurs eu lieu, deux fois. Dès le début, des trublions piaffant cachaient mal leur impatience de scander leurs propres slogans, parfois relativement éloignés du débat. Mais par grâce, l’unité a tenu six mois. Nul qui en fût exclu pourvu qu’il se pliât à la discipline, pesante mais comme toutes les disciplines, de ne rien réclamer d’autre que le retrait de ce projet de loi. Ce n’était pourtant pas compliqué. Mais il a fallu que les contre-réformistes dans l’âme viennent tout briser, car certainement, à se voir un million, ils se sont sentis forts tout d’un coup. Et dans un moment de faiblesse d’esprit dont ils sont coutumiers, il leur a échappé que le million n’était là qu’à lutter contre cette folie de faux mariage. Et rien d’autre. Cependant ils conçurent chacun dans leur cœur une chimère : qui qu’on pouvait bien utiliser ce million pour rétablir le roi ; qui encore pour jeter bas la gauche ; qui toujours pour créer enfin sur terre le Royaume de Dieu. Nobles idéaux. Sottes perspectives.

La Restauration rapide, ça n’existe pas, sauf à croire au coup de force et il est affligeant de constater qu’il en demeure qui n’ont pas médité encore ni Franco, ni Videla. Quitte à faire la révolution, il faudrait commencer par remplacer dans certaines bibliothèques les œuvres complètes de Bernard Antony par celles de Lénine. Au moins, ça marche. Mais les conséquences en sont infinies.

Et c’est ici que surgit la dernière question : faire chuter ce gouvernement, pour quoi faire ? « Hollande t’es foutu, les cathos sont dans la rue », ça se crie facilement. Mais si par impossible, leur révolte fonctionnait, où irions-nous ? Nous attendons la réponse. Confondre la réalité avec ses rêves, c’est une occupation, louable, d’enfant. Malheur à la ville dont le prince est un enfant. Avec Lénine, il faudrait aussi ouvrir parfois L’Ecclésiaste. Car des dirigeants du Printemps français, on n’a jusque là entendu rien d’autre que des paroles d’enfants, rien sinon des actes puérils, comme révulser des sénateurs encore hésitants la veille de leur vote, ou invoquer très rapidement une agression gay-friendly dans le métro pour descendre à nouveau dans la rue. Pratiquer la politique du pire, c’est une occupation de masochiste dont certains, selon toute apparence, se satisfont, et puis, si nulle révolution ne vient, le gouvernement aura beau jeu, mais n’est-ce pas déjà le cas ?, d’invoquer les images que lui ont fourni quelques excités épars pour transformer le mariage pour tous en lutte contre l’extrémisme. À quoi serviront alors toutes ces gesticulations si ce n’est à armer l’adversaire car au jeu de l’image vainc toujours celui qui sait s’en servir et qui la domine. Qui pourra se vanter d’avoir gagné alors ? Il est encore temps de venir à résipiscence, camarades.

*Rémi Lélian est critique littéraire et professeur de philosophie. Jacques de Guillebon est un écrivain, essayiste et journaliste français. Il écrit dans La Nef, Causeur et Permanences.

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  • Sébastien , 18 avril 2013 @ 18 h 11 min

    “Y aurait-il un quelconque succès à se replier avant que de connaître les résultats du conflit?”

    Mais le résultat on le connaît puisque l’unité de la Manif pour tous est rompue. Il y a ceux qui suivent Frigide Barjot, ceux qui suivent Béatrice Bourges (porte-parole du Printemps français), Civitas et autres.

    Chez les musulmans, il existe le concept de Fitna, que l’on peut traduire par division (ou sédition). La division, on y est en plein. La radicalisation des opposants au mariage pour tous en est le symptôme.

    Le camp d’en face me paraît uni, c’est pourquoi il devrait l’emporter. A quel prix ? C’est une autre question.

  • Anarchriste , 19 avril 2013 @ 10 h 40 min

    Guillebon, Bourges ne fait donc pas du bon boulot ?

    Une révolte d’avant-garde

    LE MONDE | 18.04.2013 à 10h18 • Mis à jour le 18.04.2013 à 14h04

    Par Béatrice Bourges (Porte-parole de Printemps français)

    Le Printemps français surprend. Les premiers surpris sont celles et ceux qui se sont lancés dans l’aventure. On ne prévoit pas qu’on va se révolter. Le Printemps français est une insurrection de la conscience. D’où la référence à Antigone (la vraie, celle de Sophocle). Bien sûr, il dérange. Il n’irrite pas seulement le pouvoir en place, mais aussi les tenants d’un conformisme de béton armé. Vite, pour qu’il ne gêne pas, on lui colle des étiquettes.

    A l’instar des généraux qui appliquent la stratégie de la guerre précédente, on le range dans des catégories obsolètes. Peine perdue. Le Printemps français est nouveau. Il est la première insurrection pacifique de la France d’en bas contre la pensée unique d’une oligarchie politique, financière et médiatique. Attaquer la pensée dominante était le privilège des intellectuels. Cette fois, les simples citoyens s’y mettent. Une démocratisation de l’esprit critique.

    Cette révolte répond à un inconcevable mépris. Combien de millions faut-il être dans la rue pour mendier l’attention du président ? Le Printemps français est un cri des masses contre un arrogant déni de démocratie. Celles et ceux qui défendent les sans-voix, en clamant que les droits des adultes s’arrêtent où commencent ceux des enfants, se sont sentis eux aussi privés de parole. Et non à propos d’une réforme destinée à être à son tour réformée, mais face à une rupture anthropologique pour toute la société.

    Un peuple sait d’instinct qu’on ne programme pas d’autorité la civilisation que seul le lent travail des siècles peut forger. Il fallait faire taire le peuple. C’est raté. Comme le Tiers-Etat en 1789, une majorité silencieuse a pris conscience que, face aux tyrannies plus ou moins feutrées qui voudraient la réduire à rien, elle est et restera quelque chose. Rien ne surprend plus ni ne fait plus de bruit qu’une majorité silencieuse qui décide de rompre son silence.

    LE SENS DE LA DURÉE

    Phénomène générationnel ? En partie, sans doute. Mais, dans sa spontanéité et son polycentrisme, le Printemps français mêle les générations. Beaucoup de jeunes, mais pas seuls. Et ces jeunes, affranchis du jeunisme contemporain, se sont emparés de ce qui manque le plus souvent à la jeunesse : le sens de la durée.

    Influence chrétienne ? Pour une part, dans la mesure où le christianisme, par la solidité de sa tradition bimillénaire, apporte le recul intellectuel et la force morale de résister au prêt-à-penser d’une époque. Mais le Printemps français revendique un héritage pluriel : le franc-parler des prophètes juifs, la sagesse gréco-romaine, la fraternité évangélique, la liberté des Lumières, les luttes populaires pour la justice sociale – tout ce que le pouvoir actuel, asservi à l’hédonisme ultra-individualiste et à l’idolâtrie des marchés boursiers, ne comprend plus.

    Il s’agit, non de l’arrière-garde que certains ont évoquée, mais d’une avant-garde, avec cette originalité de ne pas être une élite mais une multitude. Le passéisme, c’est de projeter dans l’avenir les préjugés et les illusions du présent en train depasser. Ainsi agissent ceux qui se couchent devant un prétendu “sens de l’histoire”, expression provisoire de rapports de force condamnés à changer. L’avant-garde, au contraire, repose sur celles et ceux qui discernent en demain sa lumineuse part de durable, d’intemporel.

    REFUS DU CLICHÉ POPULISTE

    Le Printemps français ne veut pas du cliché populiste qui consiste à renvoyer dos à dos la droite et la gauche, mais il brandit les exigences morales d’un humanisme universaliste dont nul courant politique digne de ce nom ne peut se passer. Il ne se prétend pas au-dessus des partis, mais au contraire, il se situe au niveau de leur soubassement : il défend le socle de la vie démocratique, les fondements du vivre-ensemble, les libertés sans lesquelles la société devient invivable.

    Qu’on ne s’étonne pas de voir, dans l’iconographie de ce courant, des images d’ouvriers et d’usines : le Printemps français, profondément humaniste, s’intéresse au sort de ceux que le Parti “socialiste”, en troquant l’idéal de justice distributive contre une idéologie de l’expérimentation sociétale et une rhétorique pseudo-égalitaire, a oubliés.

    L’humanisme renouvelé doit aussi permettre de retrouver le juste sens de l’écologie. Celle-ci consistait, dans son surgissement des années 1970, à réconcilier l’homme avec son milieu naturel. Ceux qui s’en réclament aujourd’hui luttent obsessionnellement pour la moindre sous-espèce d’amphibiens, tout en excluant l’être humain lui-même de toute application du principe de précaution. Ils discriminent l’espèce humaine, objet favori de leurs initiatives d’apprentis-sorciers.

    Evidemment, tout le monde posera la question obligatoire de la récupération. On peut récupérer un groupe aux contours définis et même des individus dispersés. Mais le Printemps français est avant tout une idée. Plus que cela, il est un esprit, un souffle de justice et de liberté, une aspiration morale. Le vent souffle où il veut. Il n’a pas fini de nous décoiffer. Tous.

  • Anarchriste , 19 avril 2013 @ 10 h 42 min

    Guillebon, bats ta coulpe, vive l’insurrection, vive l’action, vive la Manif pour tous, le Printemps français et les Veilleurs !

    Entretien réalisé par Baudouin de Saxel.

    Alors que le texte sur le mariage pour tous sera de retour devant l’Assemblée nationale mercredi prochain, Béatrice Bourges, le porte-parole du « Printemps français », revient sur la genèse de son mouvement et ses futurs combats au sein de la société. Elle en appelle aussi et surtout à l’unité en tendant la main à Frigide Barjot, qui lui a reproché ses actions coup-de-poing.

    Comment présenter le « Printemps français » ?

    C’est un mouvement spontané du peuple, de la France qui ne s’exprime pas, des gens qui sont indignés par ce qu’ils peuvent voir. Ils ont cet objectif commun de préserver la dignité humaine et de protéger l’Homme. À l’occasion de mes conférences et au gré des différentes rencontres que j’ai pu faire dans toutes les régions de France, j’ai senti comme une fracture entre le monde silencieux et le monde de ceux qui nous gouvernent. Ce peuple, longtemps méprisé, est enfin prêt à se lever et à s’élever contre des décisions qui l’humilient. C’est dans cet esprit de ras-le-bol généralisé et de résistance pacifique qu’est né le « Printemps français » ; afin que chacun puisse ouvrir sa gueule. Notre leitmotiv n’est pas de mettre à bas un régime mais de combattre une idéologie de terrorisme intellectuel en vertu de laquelle on ne peut rien dire sans se faire traiter de fasciste. On va dire que Robert Ménard est d’extrême droite, que je suis catholique intégriste et cela suffira pour nous enfermer dans un tiroir à triple tour et nous bâillonner ! Vous savez, les Français ne sont pas des imbéciles et se rendent bien compte qu’ils se font manipuler. Simplement, aujourd’hui, ils n’en peuvent plus et décident de sortir des clous pour se faire entendre.

    En désaccord avec vos méthodes, Frigide Barjot menace de déposer plainte contre le « Printemps français ». Si les avis divergent sur les moyens à mettre en œuvre pour arriver à vos fins, les revendications sont identiques. Comment expliquer une telle scission ?

    Il y a des divergences dans l’esprit philosophique de nos mouvements. Le nôtre a vocation à être résistant, non-violent et transgressif. Il reflète davantage la voix des régions tandis que la Manif pour tous est sans doute plus centralisée, et tant mieux. Aussi, nous sommes moins dociles et disciplinés qu’eux. Ce désaccord entre Frigide et moi ne doit pas plomber la mouvance. Comme dans toutes les familles, on se fâche parfois avant de revenir calmement dans les bras les uns des autres. Il ne s’agit pas d’une scission à proprement parler.

    Vos camarades semblent exaspérés par ces escarmouches…

    Raison pour laquelle j’en appelle à l’unité. Je reconnais à Frigide d’immenses qualités ; nous avons simplement deux caractères différents ; ce qui devrait plutôt créer une stimulation et une émulation du mouvement. La Manif pour tous est la partie émergée de l’iceberg tandis que le « Printemps français » est la partie immergée. Nous avons chacun besoin l’un de l’autre pour défendre notre vision de la société. Il ne faut pas qu’une querelle stérile occupe le terrain au détriment du fond de notre combat.

    Vous dénoncez la violence mais êtes une adepte des actions coup-de-poing…

    Je suis convaincue que ce printemps qui est en train de voir le jour, de tracer son sillon, est assez mûr pour que quelque chose de nouveau naisse dans ce pays. Alors si je dois servir de paratonnerre, m’en prendre plein la tronche et résister à l’aide d’actions coup-de-poing, je ne le fais pas de gaieté de cœur, mais je le fais. Je peux comprendre la violence de certains individus, car la violence émane de la frustration. Sans la soutenir, je l’écoute et accompagne les gens qui ont besoin de s’exprimer d’une manière ou d’une autre. On m’a reproché d’être rebelle ; c’est mon caractère et j’aspire à mourir ainsi.

    Quels seront vos prochains combats, vos revendications, vos luttes ?

    Nous mènerons les combats pour un humanisme durable et contre tout ce qui touche à la dignité humaine. Le « Printemps français » aura à cœur de dénoncer une dictature de la pensée guidée en partie par le Grand Orient de France et les LGBT. On s’attaque à un énorme morceau. Quand Pierre Bergé dit que le ventre d’une femme est comparable aux bras d’un ouvrier, c’est injurieux envers la femme et l’ouvrier. Au nom de quoi peut-il donner des leçons et imposer sa pensée ? En vertu de quoi les professeurs pourront désormais dire aux élèves de six ans : « Vous serez filles ou garçons en fonction de votre désir » ? On nage dans une déstructuration complète de l’humanité.
    Béatrice Bourges, le 14 avril 2013
    Bd Voltaire

  • Anarchriste , 19 avril 2013 @ 10 h 43 min

    Ceux qui ont tout compris :

    Chers amis,

    Voici simplement un petit témoignage de ce qui se passe ici à Paris, en ces jours étranges. Le combat où nous sommes n’est pas anodin. Beaucoup de médias caricaturent et ridiculisent. Voici en toute vérité ce que j’ai vécu hier soir.

    Hier après-midi, j’ai rejoint comme la veille la Manif pour tous, qui défile de Sèvres-Babylone à l’Assemblée nationale tous les soirs cette semaine entre 19h et 22h, à grand renfort de chants, de sifflets et de casseroles. L’ambiance était joyeuse comme toujours ; beaucoup de jeunes, peut-être les deux tiers du cortège.

    Lors de la dispersion aux Invalides, nous avons rejoint avec deux amis une pelouse, un peu plus loin, sur laquelle se tenaient assis des groupes de jeunes, calmes, avec des bougies. J’avais entendu parlé la veille de cette initiative, dite « Les Veilleurs » : 100 ou 200 jeunes étaient restés calmement sur les Invalides, rejoints par Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson et un autre député. Vers 1h du matin, les CRS les ont sommés de partir. Ceux qui sont restés ont été enlevés de force, poussés dans la bouche de métro ; des bombes lacrymogènes ont été lancées dans la bouche du métro ; 40 jeunes (au hasard, ceux qui étaient les plus proches du bus selon le témoignage d’une amie !) ont été embarqués et emmenés au poste, puis, pour ne pas reproduire une garde à vue contestée, relâchés à 3h du matin à l’autre bout de Paris.

    Je ne savais que penser de cette initiative. Ce rassemblement était parfaitement légal et, tant qu’il ne provoquait aucun trouble à l’ordre public, les forces de l’ordre n’ont, selon la loi, aucun droit de le disperser. En même temps, est-ce vraiment utile d’en rajouter, de provoquer des incidents avec les forces de l’ordre ? Après en avoir discuté avec plusieurs amis, j’ai décidé de suivre ceux qui avaient vécu l’expérience la veille.

    22h : Nous sommes un peu plus de 800 jeunes, assis par terre dans le calme, sur l’esplanade des Invalides, avec des bougies. Axel, le chef de file du mouvement, explique au porte-voix l’esprit de cette initiative. Il s’agit de résister à ce gouvernement et à ses lois iniques, non par la violence, mais par notre force spirituelle – au sens large, celle qui habite tout homme, ce n’est pas réservé aux croyants. C’est notre vie intérieure, notre paix, notre amour qui constitue la plus grande force de résistance ; à cela le gouvernement ne peut rien opposer. Je connais Axel de vue, il vient à EVEN le lundi soir. Il est d’un calme olympien, il parle d’une voix douce, ni coléreux ni revendicatif ; il sait où il va et tient le cap. Il mène cela avec une jeune fille nommée Alix. Peut-être 25 ans, pas plus.

    22h30 : Axel nous parle de la paix intérieure, et nous écoutons des textes (Madeleine Daniélou, Victor Hugo…) sur la France, l’intelligence, l’amour, la liberté… Les CRS sont encore partout sur l’esplanade, où des groupes de manifestants, restés après la dispersion, font du bruit et refusent de partir. Très tôt, les CRS prennent position autour de nous. Axel explique calmement qu’à la deuxième sommation, ceux qui voudront partir partiront ; qu’accomplir demain notre devoir d’état est plus important que de rester ; que ceux qui peuvent rester et résister devront, s’ils aterrissent au poste, demander un avocat commis d’office et un médecin : il sera évidemment compliqué de trouver plusieurs centaines d’avocats et de médecins en même temps ! Nous continuons de rester paisibles ; au bout d’un moment, les CRS nous contournent et partent s’occuper d’autres groupes bruyants et violents.

    23h : Ce soir, nous ne resterons que jusqu’à 1h du matin, a encore dit Axel. Ensuite, nous irons tranquillement nous coucher. Arrive un commissaire de police, qui parlemente avec Axel quelques instants. Celui-ci nous informe ensuite au micro : « Ce policier nous demande de nous disperser à minuit et demie, pour que nous puissions prendre les derniers métros. Si nous partons à minuit et demie, nous pouvons rester, nous ne serons inquiétés par aucun policier. Je suis très heureux de ce qu’il se passe, notre paix commence à faire son effet. Nous resterons jusqu’à minuit et demie. » Le policier part.

    23h30 : Nous écoutons toujours des paroles et des textes, alternés avec des temps de silence. Ailleurs encore, des pétards, des sirènes… Il est difficile de rester tranquilles, ancrés dans sa « paix intérieure » comme le rappelle Axel, quand les camions de CRS passent et repassent dans tous les sens sur l’esplanade. Des jeunes partent, d’autres se dissipent…Certains, au téléphone, tentent de faire venir leurs amis restés avec des groupes plus violents. Axel garde son calme. Mgr Aillet, évêque de Bayonne, nous rejoint un moment, nous bénit et bénit notre « résistance spirituelle » et notre courage. Xavier Bongibault et un organisateur de la Manif pour tous nous rejoignent aussi. Un garçon récite par cœur un texte de Gramschi sur l’indifférence :
    « Je hais les indifférents. (…) Ce qui se passe, le mal qui s’abat sur tous, le bien possible qu’un acte héroïque peut provoquer, tout ça revient moins à l’initiative de quelques personnes qui agissent qu’à l’indifférence, à l’absentéisme de la majorité.
    Ce qui arrive, arrive non pas parce que certains veulent qu’il arrive, mais parce que la majorité abdique sa volonté, laisse faire, laisse se grouper les nœuds qu’ensuite seule l’épée pourra couper, laisse promulguer les lois qu’ensuite seule la révolte fera abroger, laisse aller au pouvoir les hommes qu’ensuite seul une révolution pourra renverser.
    La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. Des faits mûrissent à l’ombre, juste quelques mains, à l’abri de tout contrôle, tissent la toile de la vie collective, et la masse ignore, car elle ne s’en soucie point. Les destins d’une époque sont manipulés selon des vues étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse ignore, car elle ne s’en soucie point. »
    Axel nous invite encore à examiner pourquoi nous sommes là, ce que nous voulons défendre. Nous voulons montrer notre détermination, de manière pacifique, en s’appuyant sur notre vie intérieure. Nous préférons ce que nous croyons à notre vie, à notre confort. Toujours dans un grand calme, sans exaltation, sans triomphalisme, humblement.

    Minuit : Nous voyons brusquement arriver et se ranger juste devant nous dix cars de CRS, ainsi que le bus bien connu qui sert aux arrestations. Le même policier revient parlementer ; son porte-voix ne fonctionne pas, Axel lui prête le sien. « C’est bien, tout s’est bien passé, maintenant vous allez vous disperser et rentrer calmement, si vous ne voulez pas que cela se passe mal. » Axel rappelle, toujours très calmement, qu’on lui avait assuré que nous pouvions rester jusqu’à minuit et demie, et qu’il n’y aurait pas de policiers autour de nous. Il discute un peu avec le commissaire, puis reprend le micro. « Visiblement les ordres ont changé ; nos amis les policiers nous demandent de partir une demie-heure plus tôt. Là il faut que vous m’aidiez, j’ai une décision à prendre. Peut-être vaut-il mieux rester, parce qu’on nous dit minuit et demie, puis minuit, puis 22h, et demain on n’existe plus ; peut-être vaut-il mieux partir, quelques minutes plus tôt, et éviter des incidents avec les forces de l’ordre. » Sur ce, il demande au policier deux minutes de réflexion et, écartant tous ceux qui veulent le conseiller, prend seulement Alix à part. On les voit discuter quelques minutes, rejoints ensuite par deux ou trois autres.

    >
    Minuit quinze : Axel et Alix reviennent : « Chacun est libre, mais nous, nous allons rester. Ce quart d’heure qui reste ne changera rien, nous allons seulement montrer que nous sommes libres et déterminés, nous resterons jusqu’à l’heure qu’on nous a dite, dans le silence absolu. Puis, à minuit et demie, nous nous disperserons calmement et nous irons nous coucher. » Approbation muette de la « foule », par les mains.

    Minuit vingt : Les CRS sortent des bus, casqués et bouclier en main, et commencent à nous encercler. Nous avons resserré les rangs, rangés en ligne, alternés garçon et fille, nous tenant par les bras, et essayons de rester dans le calme. Axel et Alix restent devant nous, nous exhortent encore à rester ancrés dans notre paix intérieure.

    Minuit vingt-cinq : Nous sommes encerclés, ils sont tous proches de nous. Vont-ils nous attaquer pour quelques minutes qui restent encore ? Ils n’avancent plus. Minutes héroïques : des CRS armés face à quelques centaines de jeunes désarmés, assis par terre en silence, qui ne résistent que par la force de leur détermination. Nous sentons que la force est de notre côté, elle est intérieure, elle est dans notre confiance et dans la communauté que nous formons. Certains CRS semblent un peu interloqués ; si on leur avait donné l’ordre de nous attaquer à ce moment-là, je ne sais pas ce qu’ils auraient fait. Il paraît que la veille, l’un d’eux s’est mis à pleurer, en disant : « C’est trop beau ce que vous faites, on nous fait faire du sale boulot ! » Les minutes s’égrènent, une à une ; le moindre cri ou mouvement de panique, et tout peut exploser.
    Il reste deux minutes. Quelqu’un entonne « l’espérance », et peu à peu le chant se propage, repris par toutes les voix. Il s’enfle, et devient un chant de victoire. Serrés les uns contre les autres, sans bouger, nous chantons.

    Minuit trente : Axel donne le signal du départ. Tous ensemble, chantant toujours, nous nous levons et marchons calmement vers la bouche du métro. Extraordinaire moment : notre paix est victorieuse. Les CRS nous encadrent, ils ne savent pas trop quoi faire de leur force. Des ordres imbéciles fusent, certains empêchent ceux qui veulent partir à vélo ou à pied de passer, d’autres rattrapent avec violence deux filles qui partaient à pied. Certains CRS nous laissent passer, l’un d’eux crie : « Laissez tomber vos boucliers, les gars, il ne va rien se passer. » Ils sont tellement habitués aux rapports de force et à la violence, que notre manière d’agir les dépasse complètement. Ils se croient obligés de pousser ceux qui descendent dans le métro, de repousser ceux qui sont à l’extérieur… S’ils avaient eu confiance en nous, en dix minutes nous nous serions dispersés nous-mêmes dans le calme. Heureusement, pas d’incident grave, et à 1h l’esplanade est déserte.

    Expérience faite, je crois que cette initiative est belle, et j’encourage ceux qui le peuvent à la rejoindre. Beaucoup de jeunes, et des moins jeunes, légitimement énervés par le déni et l’injustice dont nous sommes l’objet de la part du pouvoir et des médias, basculent dans la violence. Je crois que la vraie résistance est là, dans la force spirituelle de cette jeunesse de Paris, qui est prête à défendre la vérité, qui ne cède ni à l’indifférence ni à des pulsions de violence, qui fonde sa force sur celle de l’intelligence, celle du cœur, celle de la foi. Ce soir encore, et les jours suivants, de plus en plus nombreux sans doute, « les Veilleurs » seront là, sentinelles de l’aurore.
    Bien à vous !
    Marie

  • Anarchriste , 19 avril 2013 @ 10 h 59 min

    Tu veux prier dans la rue ? Prie.
    Tu veux chanter ? Chante.
    Tu veux veiller ? Veille.
    Tu veux crier ? Crie.
    Tu veux manifester ? Manifeste.
    Tu veux forcer un barrage policier ? Force.

    Aime et fais ce que tu veux !

  • Anarchriste , 19 avril 2013 @ 11 h 04 min

    Guillebon est un ancien casseur anticapitaliste au sein des Black Blocs, il exorcise ses démons de révolution violente.

    Mais c’est un authentique anarchiste chrétien qui tend à la non-violence.

  • Anarchriste , 19 avril 2013 @ 11 h 56 min

    Ni la Manif pour tous, ni le Printemps français, ni les Veilleurs, le Camping pour tous, etc., ne sont violents.
    La violence c’est molester directement, physiquement et intentionnellement des personnes.
    Seule la police le fait, en l’occurence.
    L’activisme non-violent peut très bien casser des objets, briser des symboles, et se défendre contre les forces de police.

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