Liberté pour le mariage religieux !

par Grégor Puppinck*

L’adoption du mariage homosexuel a provoqué une saine mobilisation des catholiques pour la défense du mariage civil dans sa conception traditionnelle. L’échec de cette défense, et la dénaturation du mariage civil justifie à présent la rupture du lien entre mariage civil et mariage religieux. Plusieurs motifs plaident en faveur de cette rupture.

Des motifs historiques d’abord : faut-il rappeler que le mariage civil a été institué par une loi du 20 septembre 1792 contre le mariage catholique, et avait pour ambition explicite de le remplacer ? Il est donc piquant de voir les catholiques défendre une institution mise en place pour mettre à bas leur influence.
Des motifs canonique ensuite : dans les pays christianisés, le seul mariage valide pour les catholiques est le mariage canonique, et la conclusion d’un mariage civil n’a, à leurs yeux, pas plus d’effets que ne l’a la conclusion d’un mariage religieux aux yeux de l’État, c’est-à-dire aucun. On pourrait objecter que, traditionnellement, l’Église demande à ses fidèles de contracter une union civile. Mais elle le fait, d’une part parce que le mariage civil a longtemps été le seul moyen d’acquérir, pour les époux et les enfants du couple, des droits familiaux et patrimoniaux dont les concubins étaient largement dépourvus, d’autre part et surtout, parce que, encore aujourd’hui, le ministre du culte qui procède à un mariage religieux sans que ne luit ait été justifié l’acte de mariage civil encourt une peine d’emprisonnement de six mois ainsi qu’une forte amende !

Enfin un motif pastoral : on ne peut demander aux catholiques de défendre et d’entrer dans le mariage civil et, dans le même temps, déplorer que ces derniers prennent au sérieux tous les aspects de ce mariage, en particulier la possibilité de le dissoudre. Ici réside sans doute une des causes essentielles de la « mentalité divorcialiste » que déplore si souvent le Pape, et en vertu de laquelle de nombreux catholiques, dès lors qu’un juge civil a prononcé leur divorce, sont persuadés que le lien conjugal qui les unit à leur conjoint est dissous et qu’ils peuvent conclure un nouveau mariage. La raison traditionnelle pour laquelle l’Église demandait à ses fidèles de se marier civilement – le bénéfice des droits familiaux et patrimoniaux qu’entraîne la célébration d’un mariage civil – est devenue largement caduque avec l’adoption du PaCS.

Lorsque le mariage civil est à ce point dénaturé et dégénéré (c’est-à-dire sans rapport au « genre ») que l’on n’y perçoit plus le reflet de la raison divine, faut-il encore lui rester lié ? Ne faudrait-il pas, au contraire, refuser les fourches caudines du mariage civil et s’abstenir de passer devant le maire ?
Cette obligation civile implique une identité ou similitude entre ces deux types de mariage. Or, cette identité est en train de disparaître. Certains chrétiens hésitent encore à réclamer la libération du mariage religieux, non pas par un goût civique de soumission à la République, mais par la volonté de ne pas affaiblir davantage encore le bien commun qui requiert que des personnes non catholiques puissent aussi se marier. Les catholiques défendent le mariage civil pour le bien de la société, par pour eux-mêmes, car ils ont leur mariage. Cette défense est purement altruiste, elle fait partie du devoir des chrétiens envers leurs prochains et la société en général. Les catholiques en arrivent ainsi dans la situation paradoxale à être les derniers à défendre un mariage qui n’est pas même le leur !

Du point de vue catholique et traditionnel, le mariage civil est vraiment utile au bien commun lorsqu’il a les caractères les plus à même de garantir le bien de la famille et de la société. Ces caractères résultent de notre compréhension de la nature de l’homme et de la femme, de la famille et de la société. Ils sont la monogamie, l’hétérosexualité et l’indissolubilité, et constituent ce que l’on appelle le mariage naturel. Ce mariage est un droit naturel qui préexiste au droit civil. Il est reconnu et protégé comme droit de l’homme notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui reconnaît à l’homme et la femme « le droit de se marier et de fonder une famille » et déclare que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État » (article 16).

Le mariage religieux quant à lui est un mariage « surnaturel ». Le mariage catholique est un mariage naturel surélevé par la grâce sacramentelle au niveau surnaturel. Tant que le mariage civil avait globalement les caractères du mariage naturel – monogamie, hétérosexualité et indissolubilité – il y a avait une certaine harmonie entre les ordres naturels, civils et surnaturels. Mais l’abandon de l’indissolubilité, puis à présent celle de l’hétérosexualité, brise cette harmonie et révèle l’incohérence et l’abus de la soumission formelle du mariage religieux au mariage civil.

Le mariage civil continuera, à force « d’ouvertures », à se dissoudre. L’abandon de la monogamie, troisième caractère du mariage naturel, avec « l’ouverture » du mariage à la polygamie réclamée par certains libertaires et musulmans, achèvera le processus de dissolution du mariage civil.

Si le mariage civil et le mariage religieux n’ont plus rien de commun, pourquoi continuer à conditionner l’un à l’autre ? À l’ouverture du mariage aux homosexuels doit s’ajouter l’abrogation de l’obligation du « passage à la mairie » qui résulte de la condamnation à six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende de tout « ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil (article 433-21).

Aucun argument contre son abrogation ou contre le refus individuel de conditionner le mariage religieux au mariage civil n’apparaît décisif. En particulier, la disposition du code pénal qui interdit au ministre du culte de procéder à un mariage religieux sans que le mariage civil n’ait été préalablement contracté, n’est pas seulement contraire à la liberté de l’Église (en quoi faudrait-il que cette dernière, pour délivrer un sacrement, ait besoin d’une autorisation de l’État ?), mais elle serait sans doute sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme si elle venait à y être déférée. Imaginerait-t-on conditionner la célébration d’un baptême religieux à celle d’un baptême républicain ? Cette obligation est une atteinte à la liberté de conscience et de religion des croyants ; elle a été conçue comme l’expression d’une séparation à sens unique entre l’État et l’Église, l’Église étant séparée de l’État, mais non l’inverse.

Lors des débats sur la loi Taubira, le gouvernement et la majorité parlementaire ont refusé de supprimer ce lien de contrainte entre mariage civil et religieux. Ce refus est purement politique, mais n’a pas de base juridique convaincante. Un prêtre qui serait condamné aurait toutes les chances d’obtenir la censure de cette disposition pénale par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne de Strasbourg.

L’Autriche puis l’Allemagne, pour ce motif, ont abrogé une pareille disposition. La France est isolée et son exception est difficilement justifiable, la majorité des pays occidentaux reconnait à l’inverse des effets civils au mariage religieux, ce qui dispense les couples mariés religieusement de la cérémonie civile.

*Directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ), Docteur en droit, Expert auprès du Conseil de l’Europe.

Lire aussi :
> Bientôt, les démariés de l’an II ? par Ludovic Coudert
Séparer le mariage traditionnel de l’État, par Damien Theillier

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69 Comments

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  • 0 / 10
  • Bernard , 19 mai 2013 @ 9 h 46 min

    et PENDANT CE TEMPS
    HOLLANDE l’avait promis, le Mariage pour tous : c’est fait !

    ** suite logique, la polygamie… maintenant que la brèche est ouverte, pourquoi s’en priver

    > Le CFCM (conseil français du culte musulman) fait savoir que si la loi sur le mariage gay ( auquel il est théoriquement opposé ) est votée, il demanderait une loi sur le mariage multiple
    ( polygamie ) car il n’y a pas de raison que le mariage pour tous ne concerne pas les musulmans.
    > On peut aimer plusieurs femmes en même temps, donc les épouser.
    > Il propose même d’aller jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme.
    > C’est la fin de la famille traditionnelle … et le début de la décadence.

  • A. , 19 mai 2013 @ 15 h 31 min

    Avez-vous plus d’informations sur ce point?

  • Daniel PIGNARD , 19 mai 2013 @ 16 h 36 min

    Mais comment donc Adam et Eve furent mariés religieusement ? Le mariage n’est donc pas une cérémonie religieuse mais un acte public qui montre que l’homme se lie à une femme. L’inscription à la mairie pouvait convenir comme acte public, mais maintenant qu’il est pollué par les homos, un autre mariage public redevient nécessaire.

  • Denis Merlin , 19 mai 2013 @ 17 h 30 min

    J’en ai traité sur mon blog :

    http://denismerlin.blogspot.fr/2012/11/petite-essai-historique-sur-lagencement.html#links

    http://denismerlin.blogspot.fr/2012/11/a-propos-du-pouvoir-des-cures-selon.html#links

    http://denismerlin.blogspot.fr/2012/11/etude-dimpact-mensongere-sur-la-mariage.html#links

    http://huguenotsweb.free.fr/histoire/edit1787.htm

    Vous noterez que l’étude d’impact est erronée, voire mensongère, mais j’ai l’habitude des diffamations de l’Ancien régime.

    Le dernier lien ne renvoie pas à mon blog, mais renvoie à l’édit de Versailles du 7 novembre 1787.

    L’exposé des motifs de cet édit explique très bien pourquoi il faut un mariage civil (accessoirement, il démontre que Louis XVI était très intelligent).

    L’évolution des lois sur le mariage commence avec le Concile de Trente qui a institué l’obligation de se marier devant le curé de la paroisse de la jeune fille ad validitatem. Cela ne concernait évidemment et principalement que les catholiques. Les autres se trouvaient dans la situation antérieure au Concile de Trente… d’où de très graves problèmes… Louis XVI a donc institué le mariage civil pour sortir ces catégories des situations souvent embarrassantes dans lesquelles elles pouvaient se trouver. L’État devait les en sortir.

    Le seul problème réel posé par le mariage civil est que la mariage civil a été imposé aux catholiques en 1792, alors que l’on aurait dû continuer à faire confiance à l’Église. C’est tout le problème du laïcisme. Mais c’est une autre question. Au XIXe siècle, curieusement, le mariage civil a fait disparaître le divorce pour les juifs et pour les protestants… Il leur a rendu un grand service. Ce n’est qu’en 1865 que l’ordre public français a été détruit au “profit” (en réalité au détriment) des musulmans d’Algérie. J’en ai aussi parlé sur mon blog.

    C’est pourquoi le mariage civil est un progrès et qu’il doit être maintenu et même, du fait de la “loi” Hollande-Taubira, rétabli.

    Il reste aussi la question de l’ordre public français dont l’ordre public du mariage est une question annexe. Mais cela est une autre histoire…

  • Gerfault , 19 mai 2013 @ 17 h 38 min

    C’est vous qui semblez ne pas comprendre ce que j’écrit. Je ne dis pas que l’article nie la valeur d’un mariage entre baptisés. Par contre, il nie implicitement ce que l’Eglise dit du mariage entre deux non-baptisés (il faudrait faire attention à ce que les autres écrivent) Je dis que sa position qu’en niant la valeur du mariage civil va beaucoup trop loin dans le sens d’une négation de l’autonomie relative du politique pour gouverner l’ordre naturel et que sa position est contraire à l’ensemble de la tradition théologique (St Robert Bellarmin en tête) qui fonde le droit canonique?
    Quand vous écrivez “Les dispositions légales sur l’obligation du mariage civil au préalable du sacrement religieux ne sont pas le droit commun universel”, une fois encore vous ne comprenez rien à ce que j’écris. J’ai fait mention du fait que théologiquement et canoniquement l’Eglise pouvait accepter l’obligation préalable du mariage civil en raison même de cette autonomie relative du politique.
    Que personne que moi parmi les si peu nombreux commentateurs de cet article n’est qu’un témoignage de la pauvreté de la culture théologique et canonique des catholiques français.
    Cette proposition de G. Puppink sent l’hérésie et on ne peut tout lui pardonner parce qu’on partage son combat.

  • Gerfault , 19 mai 2013 @ 17 h 58 min

    Message rédigé trop rapidement mille excuses pour les fautes.

  • Denis Merlin , 19 mai 2013 @ 18 h 00 min

    Je ne suis pas certain (litote) que le mariage civil n’ait pas valeur surnaturelle et de sacrement entre acatholiques se mariant en mairie.

    J’ai posté aussi sur ce point après avoir lu “Arcanum divinæ” de Léon XIII.

    Je sais que je vais à l’encontre de l’opinion dominante chez les catholiques, mais je me réclame de l’enseignement d’un pape dans une encyclique…

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