Le suicide, une mort sociale

Tribune libre de Christian Vanneste*

Deux collégiens ont mis fin à leurs jours parce qu’il étaient harcelés de brimades et de moqueries par leurs camarades. Deux chômeurs ont voulu s’immoler par le feu. L’un d’eux est décédé. Ces tragédies de la vie quotidienne qui frappent douloureusement l’entourage des victimes attirent l’attention des médias pendant un moment mais ne provoquent pas une réflexion suffisamment générale et approfondie. Le 10 septembre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale du suicide, un appel était lancé pour que « la prévention du suicide devienne une priorité de santé publique ». En raison de l’émotion créée par la vague de suicides dans une grande entreprise française et des informations faisant état d’une augmentation des tentatives liées à la crise en provenance de pays qui ont un suivi plus attentif du phénomène, comme le Royaume-Uni, la priorité est accordée aux mesures de prévention et d’accompagnement du comportement suicidaire. Le suicide n’est pourtant pas une maladie. Certes, chaque milieu, scolaire, professionnel, carcéral, etc. peut et doit être informé des moyens propres à réduire les risques, mais cette approche du problème laisse passer l’essentiel. Celui-ci a deux visages : d’une part, il s’agit à chaque fois d’un acte personnel, dont les causes peuvent être multiples. Le policier qui se tue avec son arme de service dans un commissariat aura parfaitement pu réagir à une situation familiale insupportable à ses yeux. D’autre part, depuis Émile Durkheim, on considère à juste titre que le taux propre à une société et son évolution ne sont pas dus au hasard des situations individuelles, mais revêtent une signification sociale, disent quelque chose sur la société et son devenir.

Des constantes se dégagent sur les longues périodes. La France est un pays où le taux de suicide demeure élevé. Le risque augmente avec la solitude et avec l’âge. Le mariage, la famille, les enfants surtout, protègent. Les hommes se suicident plus que les femmes qui tentent davantage de le faire. Des évolutions sont aussi observées. Contrairement à une opinion répandue, les jeunes ne se tuent pas davantage. Bien sûr, pour eux, cette cause de mortalité arrive en première ou deuxième place avec les accidents de la route. Mais le suicide des « ados » a diminué de 50% depuis 25 ans, tandis qu’il baissait de 20% pour l’ensemble de la population, avec, toutefois, une diminution pour les plus agés et une augmentation chez les jeunes adultes. À la fin du XIXe siècle, les villes et les classes favorisées semblaient plus touchées. C’est aujourd’hui l’inverse. L’isolement dans la France profonde et la pauvreté, qui « protégeait », selon Durkheim, sont devenus des facteurs aggravants. Ces évolutions ont une explication. Christian Baudelot et Roger Estabet ont souligné le lien entre suicide et pouvoir d’achat. Au XIXe siècle, les deux courbes croissaient ensemble. Au XXe, elles s’opposent. Lorsque la croissance économique se développe, le suicide stagne. Lorsqu’elle connaît une panne, alors il augmente. Il est facile de comprendre que l’époque de l’industrialisation, de la migration des campagnes vers les villes, de la rupture du mode de vie traditionnel voyait croître les difficultés d’adaptation, réduites par l’amélioration du niveau de vie, notamment pendant les Trente Glorieuses, mais relancées au lendemain du choc pétrolier par la montée du chômage et de la précarité. Une espérance de vie accrue, des retraites plus confortables ont diminué le suicide des « vieux » , notamment ceux qui aprés une vie de travail continue, une accession à la propriété facilitée jouissent à 70 ans d’un troisième âge heureux, en moyenne. Les générations suivantes ont une expérience différente, puisque le fractionnement des deux piliers de la vie sociale que sont le travail et la famille, se développe avec la perte d’emploi et le divorce.

“Le suicide, dans sa dimension sociale, est un indicateur de l’intégration.”

On touche là à l’essentiel : le suicide, dans sa dimension sociale, est un indicateur de l’intégration. La famille joue ici le rôle primordial. « Bien qu’assujettis à des charges supplémentaires, les chargés de famille se suicident moins que les autres » nous disent Baudelot et Estabet.  L’augmentation des divorces, la fragilisation du modèle familial, sa précarité, affichée au plus haut niveau, sont des catastrophes qui conduisent à une société éclatée, avec des femmes, à la tête de familles « monoparentales », soumises à des difficultés quotidiennes, mais plus résistantes face au risque de suicide,  et avec des hommes privés parfois de leur double dignité de père et de soutien de famille. La protestation des « papas », majoritairement séparés de leurs enfants par les tribunaux ne doit pas laisser indifférent. Mais surtout, cette tendance au morcellement individualiste du tissu social renforce les inégalités. Pourquoi se suicide-t-on moins aujourd’hui qu’à l’époque de Durkheim dans les milieux favorisés des grandes villes ? Tout simplement, parce qu’on y a les moyens de s’adapter à la situation, la capacité valorisante de faire preuve d’« individualisme créatif ». Lisons une fois encore Baudelot et Estabet : « Les individus les mieux lotis des sociétés les plus riches peuvent désormais exister et se construire à l’échelle du village planétaire, en graduant leurs engagements et en bénéficiant des avantages multiples de la société anonyme ». « Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux », mais les bobos les gravissent quatre à quatre en chantant.

« Il n’y a qu’un problème philosophique sérieux, c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale… » écrivait Albert Camus. Le sens de l’existence ne peut, même avec beaucoup de moyens, se trouver dans le repli nombriliste de l’individu sur lui-même. D’où le danger de chercher trop tôt à définir chez un enfant ou un adolescent une identité qui se construira en franchissant différents stades. Le sens de la vie d’une personne ne peut s’affirmer que dans sa participation à la vie des autres. Son identité ne doit s’affirmer que par son appartenance à de vraies communautés charnelles, comme le sont la famille et la nation, à des communautés spirituelles aussi, mais à condition qu’elles soient en accord avec les premières. C’est dans cette dimension altruiste tellement contraire à la pente de notre temps que réside la réponse au suicide, révélateur de la désintégration sociale.

*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.

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34 Comments

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  • Charles Martel , 20 février 2013 @ 15 h 54 min

    La disparition progressive et inexorable de la morale chrétienne comme référentiel des valeurs fondamentales de la vie des individus, en cette période d’apostasie généralisée, peut aussi expliquer le maintien ou l’augmentation du nombre de suicides dans le monde et en particulier en France malgré l’élévation du niveau de vie. Un nombre de suicides à rapprocher du volume de consommation de tranquillisants, car il doit certainement avoir un rapport.
    Je me souviens que, lors de la campagne électorale des présidentielles de 1981, le PS voulait dans son programme “mettre à bas l’ordre moral”. Il y a bien réussi pendant les 2 septennats de Mitterrand, en obtenant notamment la disparition progressive de la censure morale, destinée à protéger les jeunes, dans les médias (télévision, radio, cinéma, journaux), mais aussi la référence au nécessaire mérite du salut éternel (voire au salut éternel lui-même) chez certains croyants, qui n’acceptent plus de “porter leur croix”. On voit aujourd’hui, avec l’arrivée au pouvoir de la clique Hollande, que cet objectif n’a pas changé et qu’il s’est même gravement amplifié, ce qui ne va sûrement pas aider nos (jeunes) concitoyens à tenter de faire face courageusement aux difficultés de la vie, à plus forte raison dans un contexte de crise économique.
    L’arrivée des nouvelles méthodes pédagogiques n’arrange pas non plus les choses : l’apprentissage par le jeu (sans compter l’addiction aux jeux vidéo, ce nouveau fléau) risque de faire croire aux jeunes que la vie n’est qu’un jeu au lieu de les préparer à “combattre en milieu hostile”. Les désillusions du jeune adulte sont alors d’autant plus cuisantes et insupportables qu’il ne possède pas de références morales solides sur lesquelles s’appuyer.
    Enfin, on peut y voir aussi l’influence d’un “catholicisme de gauche”, qui a professé pendant des années que “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil”, histoire d’endormir les défenses naturelles et les réflexes de survie.

  • Yaki , 20 février 2013 @ 18 h 16 min

    Si la famille est un recours pour limiter le suicide, pourquoi refuser que de nouvelles familles homoparentales se créent ? Cela limiterait le facteur de suicide.

  • Yaki , 20 février 2013 @ 18 h 24 min

    Abattre l’ordre moral n’est pas abattre la morale. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas des valeurs chrétiennes qu’on n’a pas de valeurs morales.
    Le déclin du christianisme n’a rien à voir avec l’augmentation du suicide, même si le christianisme interdit le suicide, beaucoup plus en effrayant par la menace de l’Enfer, qu’en mettant en avant un côté positif…

  • Robert , 20 février 2013 @ 18 h 32 min

    Vous pratiquez la pensée magique?
    Les homosexuels sont une des populations la plus concernée par le suicide, la dépression, les addictions.
    Vous croyez sérieusement qu’en jouant aux hétéros, avec PMA et GPA sans lesquels ces droits n’on aucun sens et qui sont déjà autorisés dans les pays ou le “mariage” homosexuel existe, les homosexuels vont perdre ces qualités qui sont inhérentes aux comportements et à la psychologie des personnalités homosexuelles?
    Vous avez sûrement du temps à perdre pour venir ici, mais vous pourriez quand même essayer de faire un effort pour les arguments.

  • Yaki , 21 février 2013 @ 7 h 38 min

    Si les homosexuels sont le plus sujet au suicide, c’est essentiellement à cause de l’image que leur renvoie la société, et pas à cause d’un état morbide inhérent au fait d’être homosexuel.

    Les anti mariage pour tous qui disent que l’homosexuel est un ersatz de parent. Que ce sont des êtres superficiels, des générés sexuels, des êtres inutiles à la société et j’en passe ; vous pensez que cela arrange les choses ?

    Les ado qui sont se découvrent homo, à une période de la vie qui est difficile, vous pensez vraiment que les “débats” actuels vont les aider à s’accepter, tels qu’ils sont ?
    Le taux de suicides chez les jeunes homos est déjà beaucoup plus important chez les jeunes homos que chez les autres jeunes. La fragilité sociale est une cause de suicide ?

    Ceux qui par leur comportement enfoncent les homos dans leur fragilité sociale devraient alors réfléchir à leur façon de penser.

  • Jean de Sancroize , 21 février 2013 @ 13 h 50 min

    En 1950, il y a eu en France 6.188 suicides, aujourd’hui le chiffre est doublé, soit près de 12.000 suicides. Sachant que la population a augmenté en 60 ans.

    Ce n’est pas la fragilité sociale qui favorise le suicide et les T.S. (tentatives de suicides) mais certainement la fragilité émotionnelle – psychologique -; des personnes ayant travail, famille, amis, maison, voiture, etc … se suicident. Il faudrait plutôt de résilience face aux problèmes rencontrés au cours de sa vie.

    Le suicide va augmenter dans les prochaines années, comme tout ce qui est mauvais sur cette planète, c’est comme ça on n’y peut rien, c’est l’évolution inéxorable de nos sociétés décadentes et amorales.

  • C.B. , 21 février 2013 @ 13 h 51 min

    Bonjour Yaki,

    Vous avez dû avoir connaissance du christianisme par un vieux catéchisme du 19ème siècle (si pas en remontant au jansénisme), pour penser que le christianisme interdit le suicide en effrayant par la menace de l’Enfer.
    À moins que vous n’ayez une solide formation protestante?
    D’ailleurs qu’est-ce que l’Enfer, sinon le lieu de la séparation éternelle d’avec l’Amour?

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