Ne tirez pas sur l’ambulance

Tribune libre de Théo Torrecillas

La corrida n’est pas morte, elle bande encore. L’expression, au féminin, peut surprendre. Mais quand on parle de taureaux l’argument est de poids.

Les partisans de la tauromachie auraient remporté une victoire ce vendredi quand les Sages ont reconnu la constitutionnalité de l’exception culturelle qui permet à la corrida d’être pratiquée dans les terres où elle constitue une « tradition locale ininterrompue ».

Les détracteurs de la pratique ont pourtant raison quand ils affirment que le simple fait que la question ait pu être discutée par le Conseil constitutionnel représente une avancée importante pour l’issue de leur combat. La bataille juridique a commencé, elle ne s’achèvera pas de sitôt. Le Crac, dont la dénomination pourrait évoquer un groupuscule terroriste post-maoïste, s’avère un rassemblement d’excités de l’angélisme qui ne cessera son combat que quand le sang ne coulera plus (s’entend littéralement : quand la mort aura disparu). On aurait préféré qu’ils fassent sauter des banques plutôt que de saisir les tribunaux pour les droits des animaux ; cela aurait eu plus de panache.

Le panache, voilà le problème, ce n’est pas un argument : il y a des choses pour lesquelles la beauté du geste semble déplacée. La mort en fait partie : « la mort n’est pas un spectacle », affirme Christopher Lings, le « tartuffe anti-corrida » assumé qui répond à Franz-Olivier Giesbert dans Nouvelles de France. Il la préfère confinée derrière les murs des abattoirs, parce que, là, elle est utile, indispensable, on ne saurait le contredire. On peut toutefois trouver que la mort que l’on cache n’est pas plus morale que celle que l’on tente d’exorciser par la construction subtile d’un spectacle rituel. C’est à cause de tels arguments, et d’une telle conception de la mort (et donc de la vie) que, lorsque mon voisin s’éteindra et qu’on emportera son corps pour le faire incinérer, nul cortège, nul voile aux fenêtres ne m’apprendra sa disparition. Je n’en serais informé que si je croise quelques membres de sa famille occupés à vider son appartement.

La corrida n’a aucune chance de survivre à notre époque, je n’en ai pas le moindre doute. On a lu partout que 48 % des français souhaitaient son interdiction : ils ne l’obtiendront peut-être pas mais ils verront à coup sûr sa disparition. La tauromachie ne correspond plus aux attentes de notre société et véhicule même des valeurs contre lesquelles elle n’a de cesse de se battre. Ce simple constat en entraîne un autre : les gens ne vont plus assister aux courses. Nous ne saurions le leur reprocher, loin de nous l’idée d’obliger qui que ce soit à assister à ce spectacle, encore moins à l’apprécier. Nous ne formulons qu’un vœu : laissez-nous nous éteindre dans la dignité. C’est à dire : ne nous euthanasiez pas !

Regardez ce qui vient de se passer à Collioure, lisez donc la conclusion du conseil municipal :

« Vu le contexte économique ; Vu l’investissement que constitue la rénovation obligatoire des arènes pour pouvoir y organiser des spectacles ; Vu que les spectacles taurins sont aujourd’hui déficitaires ; Vu que nous avons trouvé un acheteur pour la structure, ce qui compensera largement les frais de démontage ; (…) Vu que la reconnaissance de notre Ville comme « ville de tradition taurine » n’est pas remise en cause ; Je vous propose donc de voter pour le démontage des arènes, et la vente de la structure ».

Ce genre de constat va devenir monnaie courante. Nous sommes quelques-uns à trouver cela triste. D’autant que nous ne perdons pas le combat idéologique mais que c’est bien l’économie qui a raison de nous. Cette tradition de la lenteur, de la construction rituelle, de la communauté des arènes va mourir sous les coups d’épée du marché : il y a de quoi pleurer. Pour autant le statut de « ville de tradition taurine » subsiste, on l’exhibera aux prochaines Journées du Patrimoine, avant d’en oublier le sens.

La corrida n’a jamais fait l’unanimité mais, pour la première fois, il n’est plus question de la critiquer : on entend bel et bien la supprimer. Au côté de Brigitte Bardot et d’Alain Delon, parmi les anti-corridas, j’ai lu le nom de Jean-Paul Belmondo. Le souvenir de ses passes fulgurantes dans les rues de Tigreville où, son manteau en guise de muleta, il combattait les voitures de passage a brusquement resurgi. J’ai repensé à Blondin et à Haedens, et je me suis souvenu que, dans Grognard et Hussards, Bernard Frank avait déjà placé cet art du côté des écrivains réprouvés. Après avoir tenté une métaphore tauromachique, il écrivait : « N’étant ni Montherlant ni Leiris, je ne suis pas très sûr de mes termes ; du reste, les taureaux, les toreros et les livres qui en parlent m’ennuient ».

Si la corrida vous ennuie, faites donc comme lui : ne lisez pas les livres qui en parlent. Et, s’il vous plaît, éloignez-vous des arènes qui tiennent encore debout.

Toile : Claude Binétruy.

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10 Comments

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  • SUCCOJA Michèle , 24 septembre 2012 @ 1 h 11 min

    L’homme a toujours était un sanguinaire, lorsqu’ il est trop lâche pour combattre les hommes, il se tourne vers l’animal. C’est tellement plus facile..

  • MURGA , 24 septembre 2012 @ 9 h 52 min

    Oui, elle s’éteindra et le plus vite sera le mieux. (par manque de profit !)

  • CAMUS , 24 septembre 2012 @ 11 h 50 min

    On va continuer encore un bon moment à martyriser des taureaux ( et des chevaux, ne ‘oublions pas ) devant le bon peuple et ses enfants ( c’est sûr que la banalisation du  “gout ” du sang va dans le bon sens pour diminuer la “violence ” !…).
    Et l’on applaudira la prestation ( considéré par des c… comme un art !.. ) de l’emplumé de service exécutant finalement un animal doux et drogué  !..
    Et qu’on ne nous bassine pas avec l’argument éculé et “bateau” habituel des animaux que l’on tue dans les abattoirs …  là ça n’est pas de la torture érigée en spectacle …même si les conditions sont souvent lamentables … (mais il s’agit là d’un autre problème …).

  • Gérard , 24 septembre 2012 @ 13 h 31 min

    Je me suis toujours posé cette question : “Pourquoi des taureaux” ? Et pourquoi pas des Eléphants ? Ou des tigres ? Les taureaux seraient-ils trop cons ? Et les Toreros pas assez courageux ?

  • Hazel , 24 septembre 2012 @ 15 h 46 min

    Ce n’est pas que les taureaux soient cons mais ils aiment ça la corrida, voyez-vous…
    Comme votre post l’illustre bien, la corrida n’est qu’une mise en scène du courage, une parodie de combat pour la vie, l’animal ne présente pas un réel danger vu l’entrainement de ces messieurs et les conditions où il est laché dans l’arène. Dans la majorité des cas, dans un milieu naturel, tigres et taureaux fuiraient le combat, l’homme est le seul animal à vouloir faire croire qu’il est courageux.

    Laissez-nous mourir dignement, dîtes-vous. Paroles étranges de la part d’un afficionado de la tradition taurine, ce n’est pas agréable les piques dans le dos ?
    Dans l’arène, les gens crient de joie et bandent face à l’agonie lente du taureau. Quelque part, il y a un parallèle : certains crient de joie et bandent à l’annonce de la disparition de la corrida. Oui, vous avez raison, nos valeurs ont changé et la corrida est devenue le symbole de la barbarie et non plus du courage ou de l’honneur mais, réjouissez-vous, la joie de la mise à mort n’est pas encore totalement perdue !

  • Goupille , 24 septembre 2012 @ 18 h 32 min

    Je suppose que le Conseil Constitutionnel est lui aussi l’otage des lobbies fantasmatiques : la corrida n’est pas une tradition française (elle a été introduite par Napoléon III pour complaire à Eugénie de Montijo, son épouse) et ne s’est pas exercée sans interruption depuis lors.

    Mais nous finirons par avoir la peau de ces vieilles tronches primitives (pardon : “premières”…), sadiques et malsaines.
    Leur défenseur le plus récent n’est-il pas Cantonna, esprit fécond en propositions hasardeuses et plutôt grotesques : le retrait simultané de toutes les liquidités bancaires, c’était lui !… Ou : quand un foot-baller se prend pour un penseur !

    L’homme finira par devenir humain.

    Goupille, VEGETARIENNE !…

  • Corbeyran , 24 septembre 2012 @ 18 h 45 min

    Goupille qui prend la défense des animaux … mais alors, vous êtes humaine !?

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