Syrie : Sait-on à qui et pour qui la France livrerait ses armes ?

Tribune libre de François de Veyzac

Vendredi 15 mars, la France, par la voix de son Président de la République, souhaitait que les 27 États membres prennent dans les prochaines semaines une décision sur la levée de l’embargo. Le Royaume-Uni a soutenu la position de la France. Il est prévu que l’Union Européenne réexamine la nécessité de cet embargo fin mars. Deux grandes questions sont donc posées à chaque citoyen français : en préambule, faut-il continuer à soutenir l’opposition syrienne ? Si oui, faut-il lui livrer des armes ? Ne sommes-nous pas, ici, de la part de notre gouvernement, face à une irresponsabilité de plus ?

Même après deux ans de guerre civile et une répression sanglante, la réponse à la première question peut encore n’avoir rien d’évident. Il est déjà difficile, surtout lorsqu’on est un citoyen français ne connaissant pas grand-chose à l’Orient compliqué, de trouver le bon positionnement à adopter vis-à-vis de la Syrie. Faut-il vouloir à tout prix la chute de Bachar El Assad ? Ce régime, avec tout ce qu’il a de détestable et d’inhumain, est-il pire que ce qui risque d’advenir ? Dix ans après l’intervention américaine en Irak, alors que la reconstruction irakienne s’avère laborieuse et que les minorités, dont les chrétiens, subissent une véritable persécution, comment espérer un destin meilleur pour la Syrie menacée elle aussi de partition ? Comme en Irak, les chrétiens vivaient relativement bien en Syrie où le pouvoir alaouite protégeait, malgré tout, les minorités pour s’appuyer sur elles. Cela suffit-il pour refuser aux chrétiens d’Irak comme à leurs concitoyens musulmans la possibilité même très délicate, d’une transition démocratique à l’image de celle de leurs citoyens tunisiens, égyptiens, libyens ?

On doit se rappeler quelques faits. Les manifestations qui ont eu lieu dès le printemps 2011 n’étaient pas initiées par les Frères musulmans, comme ce fut le cas de celle de Hama, en 1982, réprimé par Assad père, mais par une part importante du peuple syrien dans diverses composantes. Ce sont tant des chrétiens que des musulmans qui manifestent le 18 mars 2011, dit le «vendredi de la dignité » à Alep, Damas, Homs, Alep, Damas, Homs, Banias, Deraa. Ces manifestations auraient eu un caractère tribal et confessionnel limité, selon l’ancien diplomate Ignace Leverrier. C’est d’ailleurs uniquement à partir du mois d’avril que la dissidence, totalement inorganisée, constitue un «comité de coordination pour le changement démocratique en Syrie ».

Il existe donc en Syrie à cette époque, un ras le bol populaire dont les raisons semblent bien évidentes. Malgré, le 26 février 2012, la modification, par amendement, de l’article 8 de la Constitution, ouvrant la voie à un système multipartite, dans les faits, le système du parti unique demeure. L’interdiction de la liberté d’association et de manifestation se manifeste quotidiennement dans toute son atrocité. Les prisons syriennes sont tristement célèbres pour détenir le plus grand nombre de prisonniers politiques dans le monde et ce nombre a récemment explosé. Bachar el-Assad et son clan semblent, par ailleurs, avoir confisqué une grande part des ressources économiques du pays qui voit grandir la pauvreté des masses populaires.

On comprend ainsi que ce ras-le-bol puissent être partagé, notamment par de nombreux jeunes chrétiens ainsi que par le très libre Père Paolo, fondateur de la communauté Mar Moussa, lieu de dialogue privilégié entre musulmans et chrétiens, expulsé en juin 2012 pour avoir soutenu la rebellion. Le ras-le-bol est d’autant plus partagé que ce régime a depuis réprimé dans le sang, depuis deux ans, des manifestations à l’origine pacifique sans aucune proposition de négociation, malgré toutes les possibilités de médiations. On peut comprendre, alors, que l’Union européenne, les États-Unis et la France elle-même veuillent désormais tout mettre en œuvre depuis l’été 2012 pour isoler et affaiblir un tel régime, par un embargo sur les exportations de pétrole notamment.

Pour autant, il faut reconnaître également les risques : détruire le régime de Bachar el Assad, ce n’est pas uniquement risquer de plonger durablement un pays dans la guerre civile, c’est en faire le jouet d’une guerre entre puissances étrangères. Le régime – alaouite, donc proche des musulmans chiites, est naturellement soutenu par l’Iran, la Chine et la Russie pour les raisons que l’on connaît. L’armée syrienne libre (ASL), quant à elle, a été peu à peu soutenue et armée par la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar. Quelle peut-être la visée stratégique de ces deux derniers pays aux moyens financiers colossaux ? Feront-ils tout pour garantir à l’avenir une Syrie unifiée, multiconfessionnelle, protectrice des minorités ? Il est permis d’en douter. Ce qui est encore plus préoccupant, c’est le fait que l’ASL soit renforcée (ou noyautée) par des jihadistes proches de la mouvance Al-Qaïda. Il faut lire à ce sujet, les analyses et les alertes du chercheur Frédéric Pichon.

D’autre part, ce qui arrive et risque d’arriver pour les populations civiles tant chrétiennes que musulmanes est dramatique. On parle déjà de 80 000 morts, 850 000 élèves sans écoles, quatre millions de réfugiés et des destructions économiques estimées à 260 milliards de dollars sans oublier la fuite des capitaux, la fermeture des usines et la dévaluation de la monnaie locale. Les militaires et les fonctionnaires sont les derniers qui continuent à toucher un salaire à la fin du mois. De nombreux dignitaires religieux alertent depuis plusieurs mois sur l’exode des chrétiens de Syrie qui, si la situation ne s’améliore pas, pourrait aller jusqu’à marquer la fin de la présence chrétienne dans le pays depuis la conversion de Saint Paul. Depuis deux ans, Alep, première ville chrétienne aurait perdu jusqu’à 65% de ses fidèles.

Certes, on peut discuter longtemps pour déterminer si ces chrétiens quittent actuellement le pays à cause de l’insécurité ambiante, des destructions de maisons et d’églises, de la peur des représailles du fait du soutien de certains au régime, ou simplement parce qu’ils seraient pris pour cibles en raison de leur foi. On peut discuter longtemps pour se demander si ce qui se raconte est toujours réel ou gonflé par la propagande d’un régime qui cherche à attiser la peur pour empêcher des chrétiens de verser dans la rebellion, pour s’attirer quelques soutiens dans la communauté internationale.

Il reste que ces chrétiens, tout comme leurs frères musulmans, souffrent et que la France, qui a le devoir de les protéger, ne peut pas les oublier.

Dans ce contexte, que devrait faire la France ? Pour ma part, je pense qu’elle devrait doute trouver un moyen de continuer à soutenir l’opposition syrienne. On ne voit pas comment à moyen terme accepter en Syrie le maintien d’un tel régime. Mais, un simple soutien à l’opposition est irresponsable. La France doit conditionner son soutien à la lutte et à la mise à l’écart de ces groupes jihadistes sous peine d’être en contradiction flagrante avec son action au Mali, sous peine de voir, un jour, des armes françaises se retourner contre elle. Elle devrait réagir très fortement chaque fois, notamment, que ces groupes se livrent à des exactions face à des chrétiens, y compris en n’hésitant pas à les médiatiser. Elle devrait contrôler étroitement le jeu du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Elle devrait n’accepter un gouvernement de transition que s’il comporte toutes les minorités dont les chrétiens en son sein.

Pour autant, elle ne peut absolument pas dire qu’elle va armer l’opposition syrienne, faute d’être en mesure de disposer des garanties nécessaires. Ce serait faire plonger toute la population durablement dans un bain de sang, alimenter une course de livraison d’armes avec la Russie que nous n’avons pas connu depuis la guerre froide. Je partage tout à fait, à ce sujet, la position de Franck Margain, le vice-Président du Parti Chrétien-démocrate, dans sa tribune du 30 juillet dernier 2012 où il lançait déjà l’alerte, puis dans son communiqué du 15 mars dernier.

Une intervention militaire sur place, avec tous les risques qu’elle comporte, avec les souvenirs détestables qu’elle peut nourrir d’autres interventions très injustifiées, semble, par ailleurs, préférable à une telle situation. Et si elle a toujours été exclue jusqu’à présent, pourquoi l’écarter maintenant alors qu’elle avait été envisagée en juin dernier ? Malgré l’impossibilité d’une unanimité au Conseil de sécurité, la France ne pourrait-elle prendre cette liberté et, malgré l’opposition de l’Allemagne, convaincre ses partenaires britanniques, turcs et même américains de l’envisager dans le cadre de l’OTAN ? Il serait encore préférable de faire basculer par nos forces armées le régime en courrant le risque, certes périlleux, d’un affrontement direct avec la Russie plutôt que de lâchement laisser nos armes alimenter pendant des années, le massacre. Car rien ne nous laisse entendre que le régime tombera maintenant. Et si nous intervenons maintenant par des moyens aériens, alors, nous pourrions contrôler davantage le chemin rempli d’épines que seront la transition démocratique et la reconstruction d’un pays garantissant les libertés et protégeant toutes les minorités.

Lire aussi :
> La guerre de Syrie due à un projet de gazoduc entre Doha et l’Europe ?
> Syrie : la triple guerre, par Éric Zemmour
> Syrie : comment le Qatar achète ceux qui trahissent Bachar al-Assad, par Bernard Dick

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20 Comments

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  • 0 / 10
  • xanpur , 27 mars 2013 @ 8 h 21 min

    Il faut profiter de l’occasion.
    Deguisons nous en rebelle, pardon révolutionnaires, syriens pour récupérer les armes que pingouin 1er s’apprête a leur donner ( au passage payées avec nos impôts).
    Elle serviront au printemps français.

  • Marie Genko , 27 mars 2013 @ 8 h 26 min

    Cet article est un monument d’ingérence totalement puéril!

    Lorsque notre pays, la France, est en crise, nous devons comencer par nous occuper de nos propre affaires.

  • Marie Genko , 27 mars 2013 @ 8 h 28 min

    Nous devons “commencer”

    Désolée de taper trop vite

  • Jean Louis , 27 mars 2013 @ 9 h 46 min

    Article aux ordres, même si d’une façon plus nuancée qu’à l’habitude… Si le but de NdF est de donner la parole à des zigotos servant de courroie de transmission de pensée entre les bureaux de l’OTAN et les irréductibles gaulois qui font que ce site fonctionne – je schématise, je passe les autres larbins intermédiaires : Flanby, Barroso, fabius etc …- en adaptant le message à la population cible, vous n’allez plus durer très longtemps, chers amis … Nous sommes moins abrutis que les lecteurs du Huffington Post, je vous le rappelle…

  • JSG , 27 mars 2013 @ 9 h 51 min

    Hélas, non, elles tomberont dans les mains de ceux que ‘nous’ irons combattre comme par exemple au Mali, après la Libye.
    Là ce sera ? ça n’est pas encore déterminé par nos instances qui hésitent encore.
    Comme ça, en exposera nos soldats avec en plus, les restrictions de budget imposés par les ronds de cuir de Bercy bien planqués derrière leurs bureaux.

    DÉGAGE !

  • FRANCOIS , 27 mars 2013 @ 12 h 17 min

    Article reflétant une pensée automatique, sans recul aucun, dans la droite ligne de ce que les grands pouvoirs voudraient bien inculquer a des citoyens qui souvent et de plus en plus on fait bien plus d’études supérieures que les énarques lambda qui nous gouvernent. Au panier.Fort déçu de lire aussi cela sur ce site… Quant a la proposition de faire la guerre au risque de se confronter directement a la Russie, elle se passe de commentaire. Merci de donner vos tribunes a des gens plus matures et plus réfléchis.

  • La Gazelle , 27 mars 2013 @ 18 h 18 min

    Récente abonnée à Nouvelles de France (depuis le 17 janvier), et effarée de la bêtise à pleurer de cet article, me voilà rassurée par les réactions saines qu’il a suscitées parmi les lecteurs !
    Attristant qu’il soit paru sur ce site !

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