N’isolons pas les centres-villes !

par Hubert Montmirail

Comme toute idée contestable, la volonté de préserver à tout prix certains éléments du patrimoine urbain revêt les apparences du bien. Une idée généreuse débouche pourtant sur des phénomènes inquiétants, voire nocifs, si l’on se place sur un plan politique.

Depuis plus de dix ans, dans bon nombre de villes européennes, les centres-villes ont été si bien soignés par différentes mesures (piétonisation, installation de lignes de tramway…) qu’ils ont fini par perdre de leur âme. Sous prétexte d’embellissement, ils ont, en réalité, été aseptisés.

Le résultat ne s’est pas fait pas attendre : les centres-villes deviennent l’apanage d’une certaine population. Les couches populaires, voire les classes moyennes, ont quitté les centres-villes. Il n’y plus de mixité sociologique, mais bien une polarisation au profit d’un groupe social. Certes, il y a les « pratiquants occasionnels », comme ceux qui travaillent en centre-ville ou tous ceux qui rôdent pour différentes raisons (fêtards, etc.). Mais en aucun cas, cela ne traduit un véritable équilibre social. Une cité – au sens classique du terme – doit forcément être équilibrée, car elle permet à des êtres humains de s’épanouir. Elle ne saurait devenir un agrégat fugitif, ce qui ne ferait que traduire les pires dérives de la modernité. À la limite, les seuls à vraiment trouver leur compte sont les touristes. Il est vrai qu’ils retrouvent des scènes qui correspondent à ce qu’ils voient dans les cartes postales…

La patrimonialisation a eu ainsi des effets pervers. En voulant conjurer les centres-villes de l’automobile, en voulant les soustraire de la pression du reste de la ville et de la banlieue, on a créé les conditions idéales d’une hausse de l’immobilier. Vertu publique, vice privé… Devenant inaccessibles, les centres-villes s’isolent à leur manière du reste de la cité. Leur supposé esthétisme préservé cache un monde d’âmes mortes.

Politiquement, la traduction de ces politiques est désastreuse : on se retrouve avec une upper-class qui vote au centre, à gauche ou écolo, dont le culte de la fraternité universelle (immigration, etc.) ne saurait masquer son penchant ségrégationniste. C’est ainsi cet électorat typé qui prône le mariage homosexuel ou l’euthanasie, qui donne à la gauche (entendue au sens large) ses meilleurs scores… La France en sait quelque chose. Les résultats de ces dernières années démontrent que les votes en faveur des candidats et des formations les plus hostiles aux idées traditionnelles se recrutent dans les villes. Si l’on regarde bien, la défense des unions contre-nature est aussi la traduction d’un phénomène urbain de déliaison. Dans ces lieux où les humains sont noyés, privés de certains repères, les idées les plus folles surgissent, d’autant plus encouragées par un cadre qui conduit à un certain narcissisme. On peut tout ré-imaginer car on est forcément à l’abri du besoin. Nos sociétés modernes ont ainsi accouché d’une nouvelle bourgeoisie qui s’épanouit dans ces lieux aseptisés.

On peut s’interroger sur les conceptions cachées – elles n’osent pas leur nom… – qui président à cette perspective.

Il y a d’abord cette idée qu’il faut préserver les habitants de toutes les nuisances jusqu’à les isoler. Si l’objectif n’est pas choquant, il ne faut pas oublier que le centre-ville appartient à la ville. Le centre-ville n’est pas un quartier. S’il est lié à la ville, il doit aussi la refléter. Il serait paradoxal qu’il finisse par devenir résidentiel ! En gros, on recrée au centre les marges, alors que, généralement, c’est plutôt le schéma inverse qui s’impose.

Il y a aussi cette curieuse conception de la tradition qui sied parfaitement à des sociétés qui s’en éloignent. On imagine que les générations précédentes se complaisaient dans cette patrimonialisation. Assez curieusement, on fait de la tradition de l’ancien. Pourtant, la tradition c’est de l’ancien transmis. Le patrimoine des centres-villes avant tout été conçu pour des êtres humains. Les bâtiments et configurations ont d’ailleurs été sans cesse été modifiés. Il ne serait certainement pas venu à l’esprit de leur concepteur qu’ils fussent inertes ! À titre d’exemple, les avenues et rues à angle droit d’un centre-ville ont avant tout été conçues pour faciliter la circulation ou aider les autorités publiques à mieux contrôler la cité. Elles n’ont pas été imaginées selon une finalité purement artistique ou récréative, bien que le beau ait eu toute sa place ; faire de l’utile ne dispense pas, en soi, du respect de l’agréable et du plaisant.

La mission de l’urbanisme n’est pas d’isoler les gens les uns des autres. Un urbanisme réellement politique regarde les citoyens dans leur ensemble. Il ne les fragmente pas, car il est conscient que la cité les unit.

Photo : le centre-ville de Strasbourg vu du ciel.

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9 Comments

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  • Nicolas , 29 décembre 2012 @ 18 h 48 min

    Sujet intéressant mais on reste un peu sur sa faim. On comprend que les bobo sont visés mais je ne vois pas de proposition d’action concrète se dégager. Par ailleurs beaucoup de centres ville de ville moyennes, malgré certain investissements, perdent toute leurs bourgeoisie (même bobo) :Grenoble, Bezier, Orange,etc au profit de banlieues pavillonnaires destructrices de paysage.

  • Hubert MONTMIRAIL , 29 décembre 2012 @ 21 h 30 min

    Evidemment, il y a toujours des nuances à apporter, mais le phénomène se constate quand même dans les grandes villes françaises ou européennes. Quelle proposition concrète apporter ? Et bien, déjà, éviter toute mesures punitive quant à la circulation: ne pas piétoniser les centres-villes, même partiellement (cas de la rue Montorgueil, à Paris). De telles mesures ont été à l’origine d’une explosion du prix de l’immobiliser consécutivement à la patrimonialisation du quartier qui a découlé de cette piétonisation. Les promoteurs de ces mesures s’en sont mordus les doigts. Au point, justement, de faire la fortune des vrais promoteurs… Cela permettrait d’assurer la continuité d’une connexion avec le reste de la ville.

  • Decomplexé , 29 décembre 2012 @ 22 h 36 min

    Je n’ai jamais lu un article aussi bidon dans NOUVELLES de FRANCE.
    On voit que vous n’avez jamais mis les pieds dans le centre ville de Montpellier, Beziers, Narbonne.
    peuplées par des magrebins, des gitans, des junkis, des chomeurs. C’est une horreur.
    Je me demande tous les jours quand vais je devoir quitter ce bouge. D’un autre côté, m’installer dans les cités dortoirs ne m’enballent pas non plus car on y retrouve une classe uniformisée qui se calfeutre.
    la campagne me parait la solution la plus appropriée

  • Goupille , 29 décembre 2012 @ 23 h 21 min

    “La mission de l’urbanisme n’est pas d’isoler les gens les uns des autres. Un urbanisme réellement politique regarde les citoyens dans leur ensemble. Il ne les fragmente pas, car il est conscient que la cité les unit.”

    Patience… Si j’en crois les commentaires qui accompagnent le sondage sur “la fuite devant l’enfer fiscal” (rien que cela…), les pauvres Français encore à l’aise qui aiment tant la France qu’ils ne veulent pas la voir mourir (LOL, comme disent les jeunes…), vont vendre leurs appartements hors de prix, boucler leurs valises rebondies et les centre-villes vont redevenir terre de peuplement homogène pour les téci-toyens, ou les banlieusards autochtones étranglés par le prix des carburants.

    Plus sérieusement, Paris s’est vidé de ses classes laborieuses et de ses activités économiques non-tertiaires au milieu des années 70, pour complaire aux “promoteurs-canailles” de Souchon et aux utopies de société de consommation, des loisirs, des services, pour finir.
    La ville ne se décrète pas. C’est le reflet organique des activités qui la génèrent. Plus d’activités diversifiées, plus d’ateliers d’artisans, plus de petit commerce, plus de peuplements diversifiés. Et plus de volonté de cohabitation non plus…

    Ce ne sont pas des voitures, des embouteillages et des asphyxies aux gaz d’échappement qui recréeront du lien entre des particules humaines qui ne veulent plus faire société.

  • GV , 31 décembre 2012 @ 7 h 19 min

    En réalité, voyez ce qui s’est passé aux USA
    Il y a un jeu de balancier qui se fait
    1 les riches au centre ville les pauvres rejetés en périphérie
    2 les riches, lassés de la ville (ou des pauvres viennent, en devenant moins pauvres, s’installer ) partent progressivement en banlieue dite résidentielle.
    3 les pauvres, à leur tour lassés du centre aspirent à vivre en banlieue tandis que les riches (une génération après bien sur) lassés des trajets etvoyant des pauvres s’installer a leur tour tendent au contraire à repartir vers le centre
    etc… etc…

    Marseille en est a la troisième étape, (Rue de la République)

    Clairement les riches (on fait court là) n’ont pas envie de vivre avec les pauvres et s’en vont dès lors que la cohabitation s’impose
    Je ne suis pas certain que les pauvres (toujours pour faire court) aient envie de vivre AVEC les riches, mais de vivre COMME eux.

    Transposez ce raisonnement en remplaçant riches par blancs et pauvres par noirs et vous avez la situation sociologique US du dernier siècle

    Remplacez riches par “petits cadres moyens blancs” et pauvres par “immigrès” et vous avez la situation des banlieues de HLM dans la seconde moitié du 20 eme siécle en France.

  • mariedefrance , 31 décembre 2012 @ 8 h 43 min

    Depuis que nous avons le tram dans ma ville, elle a pris des allures de ville de l’EST.

    C’est déprimant et le centre se meurt.

    Il y a eu les ronds-points, les rocades, voila les trams…..

    c’est quoi le prochain formatage ?

  • TIARD Martine , 31 décembre 2012 @ 15 h 54 min

    Merci ! Je me demandais si j’étais la seule à m’apercevoir que “la mixité sociale” avait fait son chemin partout et même dans les centres villes. Bien entendu, certaines grandes villes conservent leur coeur intact, mais pour les autres, merci ! Et ce mélange n’est pas heureux, ni vivable, ni tolérable. Mais évidemment, les “élites”, les gouvernants, les politiques, ne se mêlent pas à ce genre de mixité (voir la réaction de Mme Valls à la vue des SDF devant son magasin préféré !)…. Alors vous pouvez pérorer sur les centres villes, mais au moins ils restent des espaces de beauté, de tranquillité que beaucoup envient !

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