CHAPITRE II – Les conditions du progrès économique et social

L’échec des régimes communistes et la réussite relative du modèle libéral ont dégagé la pensée socio-économique des blocages qui interdisaient jusqu’alors de prendre en compte les leçons et les acquis de l’histoire économique. Ces acquis, mis en relief par de grands économistes ou historiens comme Keynes, Friedmann, Allais, Toynbee, Braudel, Kennedy, pour ne citer que les plus marquants, manquaient d’un nouveau cadre philosophique. Jacques Monod, prix Nobel de Biologie, a proposé dans son ouvrage “Le hasard et la nécessité”, la base philosophique sur laquelle peut désormais s’appuyer une partie des réflexions sur la sélection des espèces et la rigueur du message scientifique.

La voie d’un progrès social cohérent se révèle en effet, beaucoup plus étroite que ne le pensaient jusqu’ici la plupart des idéologues, extrapolant de façon abusive l’élasticité des régimes modernes.

Il apparaît, en outre, à la lumière de la réflexion géopolitique, que si la classe politicienne peut souvent préférer la « moralité » à l’efficacité, elle ne devrait pas récuser les bases sur lesquelles la civilisation technique s’est créée. Malheureusement le courant alter mondialiste, forme moderne de l’animisme, imprègne les sociétés occidentales, avec un sentimentalisme superficiel qui exacerbe les comportements instinctifs, en minant les fondements rationnels d’une modernité durement acquise.

La force des Etats modernes :
La qualité des structures socio-économiques

Le concept d’Etat moderne trouve ses sources dans le développement simultané des techniques, du droit, des libertés individuelles et de la démocratie. Constituant la base d’un système d’organisation fonctionnel et l’armature des sociétés occidentales, les innervations socio-économiques se révèlent indissociables d’un progrès qui ne peut se développer sans elles.

Les structures des nations développées présentent ainsi plusieurs caractéristiques :
– Elles se sont construites historiquement dans un certain ordre, en fonction des besoins exprimés et des possibilités de l’époque : agriculture autosuffisante, artisanat, petites et moyennes industries, avec naissance parallèle des services (droit civil, droit commercial, services bancaires, professions libérales, marché physique). Cet ordre ne peut jamais être récusé, contrairement à ce que pensait le marxisme.
– Les structures se sont élaborées lentement, car le temps nécessaire au progrès se comprime peu (cela a demandé un dizaine de générations en Occident). Nées avec la Renaissance et son adhésion au rationnel, les bases de la modernité se sont développées entre le XVIème et le XVIIIème siècle en sécrétant au départ un peu de démocratie, un peu de marché et des entreprises embryonnaires. Quant aux structures industrielles, elles se sont constituées de façon irréversible à partir du premier Empire avec l’ouverture du marché mondial et l’apparition des grandes entreprises capitalistes.
– Les structures sont asphyxiées par une démographie trop forte. La Renaissance avait été précédée par la grande peste noire dont une des conséquences fut la recherche de l’innovation chez des survivants contraints à la productivité. Symétriquement, la surpopulation et une croissance démographique trop longtemps supérieure à 1 % rendent impossibles la sortie du sous-développement.
– Elles se révèlent indissociables des libertés individuelles. Mais, à l’inverse, une démocratie politique formelle établie dans une société ne bénéficiant pas de technostructures socio-économiques suffisamment évoluées reste un château de cartes qui s’écroule à la première difficulté.
– Elles ne peuvent fonctionner que si l’Etat et la Religion sont séparés. La modernité s’oppose donc aux régimes théocratiques et au statut ségrégatif de la femme.
– La qualité des structures est quantitativement mesurable, ce qui permet de comparer les niveaux de développement socio-économique des Etats.

Par opposition à des structures qui constituent l’armature des sociétés modernes, les superstructures désignent l’organisation administrative des nations. Dans les régimes libéraux, les superstructures se limitent à des domaines réservés comme l’Education, la Défense, la Justice. Au nom de l’intérêt général, les superstructures devraient garantir en principe l’objectivité de l’Etat représenté par ses fonctionnaires et ses élus.

Dans les idéologies néo-marxistes et tiers-mondistes qui abolissent le profit et le marché, les superstructures s’étendent à une gestion globale de la société, impliquant une contrainte politico et administrative aux effets réducteurs, causes de sous-développement.

Suprématie des organisations économiques concurrentielles sur les systèmes bureaucratiques

En suivant le rythme de la révolution industrielle, la modernité s’est construite progressivement grâce à la synthèse de trois composantes susceptibles (pour la première fois dans l’histoire de l’humanité), de promouvoir simultanément progrès économique et progrès social. Ces composantes sont les suivantes :
– L’organisation de l’Etat de droit, appliqué au domaine civil et au domaine commercial, avec élargissement de la démocratie et des libertés individuelles;
– L’organisation de l’économie de marché et de la concurrence.
– L’organisation de l’entreprise autonome, capable d’optimiser son fonctionnement sous l’impulsion de la concurrence et du contre-pouvoir syndical.

Le développement de la modernité s’identifie peu à la personnalisation du management. Sloan, qui présida aux destinées de la General Motors durant les années d’avant-guerre pour en faire la première société mondiale d’automobiles de son époque, tira de son expérience une doctrine d’organisation socio-économique qui constitue toujours une référence de réflexion stratégique. Pour Sloan, les grandes entreprises modernes doivent fonctionner indépendamment des personnes : les dirigeants ne reçoivent qu’une mission de régulation et d’arbitrage.

Qui pourrait d’ailleurs citer les noms des Présidents d’IBM ou de Nestlé des années 80 ? La personnalisation peut servir de symbole à la technostructure, elle ne saurait s’y substituer.

La puissance d’une entreprise se juge d’abord à l’efficacité de son management, qui doit constamment s’adapter aux impératifs du progrès technique, de la production, du marketing, du commercial et de la concurrence. La technostructure récuse le formalisme et développe de façon empirique sa puissance et ses projets : elle ne conserve son efficacité qu’en optimisant en permanence, fonctions, missions, organigrammes.

Les organisations socio-économiques modernes comprennent deux familles étroitement imbriquées : d’un côté les structures productives (agricoles et industrielles), de l’autre les structures de services (information et services commerciaux marchands).

Les organisations bureaucratiques (services non-marchands), ne possèdent pas ou ne devraient pas posséder de responsabilités directes dans le système de production puisqu’elles recouvrent les administrations d’Etat, les partis politiques, les syndicats, les idéologies et les religions. Bien entendu, il existe peu ou prou de passerelles selon les traditions des Nations : une éducation et une santé étatisées au minimum chez certaines, au maximum chez d’autres. Mais il doit toujours subsister un débat sur la relation coût efficacité des structures étatiques et même sur celui de certaines organisations productives n’ayant pas à faire face à la concurrence.

Les structures autonomes ont été abolies par les régimes communistes qui y voyaient la source de profits injustifiés, mais en récusant du même coup l’économie de marché et en imposant une gestion bureaucratique, ces régimes ont bloqué les moteurs de progrès que sont l’innovation, la productivité et la démocratie.

Redoutant aussi l’émergence de sous-ensembles autonomes menaçant leur autorité, les régimes communistes ont tenté d’y substituer des bureaucraties dictatoriales : une nomenklatura n’a pas tardé alors à en prendre le contrôle puis à se transformer en caste abusant de ses prérogatives au nom du service public.

Pour faciliter leur hégémonie, les dictatures ont supprimé progressivement les notions de marché, de concurrence, de prix de revient et de liberté. Dans les pays démocratiques, au contraire, les structures de l’Etat, par le biais d’élections libres, sont maintenues en état de non-intervention direct sur le système de production, sauf en cas de crise grave. En France, L’INSEE traite et centralise l’information, et, encore récemment, le Commissariat au Plan traçait des perspectives et proposait des scénarios plus ou moins volontaristes.

On peut affirmer que plus un pays est économiquement développé, (à l’instar du Japon, des Etats-Unis ou de l’Europe occidentale), plus ses organisations autonomes sont puissantes : les bureaucraties sont maintenues dans leur seule mission de régulation politique.

À l’inverse, les systèmes totalitaires freinent, paralysent ou pire, détruisent les structures qui cherchent à prospérer en réclamant leur autonomie.

Dans les cas limites, les dictatures préfèrent même l’anéantissement des populations qu’elles sont censées représenter, plutôt que de voir remettre leur pouvoir en question. Lénine et ses successeurs constituent des exemples de cette perversion poussée à l’extrême : après la suppression de la NEP, la collectivisation forcée de l’agriculture entraînera la mort de sept millions de personnes, et les grandes purges qui ont suivi, l’exécution de neuf millions de victimes supplémentaires. En cinquante ans, plusieurs millions de Russes furent anéantis sous des prétextes idéologiques.

Cet anéantissement s’est effectué au nom des intérêts supérieurs du peuple, mais le Parti se heurte alors à un écueil insurmontable car ne pouvant créer des organisations efficaces, alors que leur émergence est indispensable au développement de l’économie, le régime s’asphyxie de lui-même progressivement.

Si la complexité du système de production constitue le pilier essentiel de nos civilisations occidentales, cette modernité présente une autre caractéristique mal appréhendée. Sa construction demande du temps (plusieurs générations), puisqu’elle doit se constituer à la fois verticalement par branches d’activité et horizontalement par un réseau multiforme d’artisans, de professions libérales ou de sociétés de services. L’ensemble fonctionnant sous la pression du marché, de la concurrence et de l’innovation, une pression sélective permanente s’exerce sur la société.

L’accès à la modernité dans les pays en voie de développement doit, lui aussi, s’effectuer par étapes et selon un mode défini d’élaboration : d’abord l’agriculture, l’artisanat, l’industrie légère, puis les industries de transformation, enfin l’industrie lourde. Simultanément apparaissent les services marchands et un début de démocratie. Imagine-t-on l’importance en Occident du droit civil, du droit commercial, du droit fiscal et les conséquences de leur état embryonnaire en Russie ou en Chine ?

Ces concepts permettent de mieux comprendre l’étendue de la faillite soviétique, après 70 ans de centralisme bureaucratique ayant interdit à la fois l’émergence des technostructures horizontales et verticales : l’URSS avait créer un dinosaure socio-économique incapable d’adaptation. Mais comment faire face à une faillite et reconstruire la société, alors que le peuple découragé se révèle sceptique et que la bureaucratie doit abandonner un pouvoir dont elle se nourrissait ?

En observant l’exemple de la Chine, reconnaissons qu’elle a entrepris des réformes progressives en libéralisant d’abord l’agriculture et la petite industrie. Réussites indéniables qui ont favorisé l’émergence d’une rapide modernité. La deuxième étape qui permette développer des industries de transformation et des zones franches, implique l’introduction du droit commercial, avec pour conséquence la nécessité de l’information, et un début de liberté individuelle.

La politique officielle chinoise est claire : acceptation des autonomies partielles et de l’ouverture économique mais refus d’une généralisation du libéralisme qui marginaliserait le Parti. Les événements de la place Tien An Men ont souligné les difficultés de la transition vers la démocratie. La réforme de l’agriculture a demandé dix ans et l’étape actuelle d’ouverture politique nécessitera, au moins, la même durée.

Le constat sur les points de passage obligés du progrès économique et sur l’incompressibilité du temps permet de porter un jugement sur les chances des pays en voie de développement. Dans de nombreux cas, nous trouvons des systèmes de production artificiels face à des bureaucraties démesurées, alors que ces pays auraient dû au contraire suivre le chemin historique du progrès, en créant des technostructures agricoles et industrielles de base telles qu’elles existaient dans l’Europe du XIXème siècle.

La leçon de l’Histoire implique de suivre de façon impérative l’ordre des priorités du progrès économique, en acceptant ses contraintes et en maintenant une croissance démographique compatible avec la modernité désirée.

Les réflexions sur les systèmes sociaux modernes ne visent pas à porter un jugement moral sur tel ou tel système politique car les mécanismes de sélection qui privilégient un type de civilisation par rapport à un autre ne se révèlent qu’à l’expérience.

La mesure du développement socio-économique :
La recherche d’un indice de modernité

Paul Kennedy, dans son ouvrage, “Naissance et déclin des grandes puissances” conclut à une corrélation étroite entre les quantités d’énergie consommée et la production de richesse. Il s’avère en effet que plus un pays est développé, moins il consomme d’énergie pour produire la même quantité de PIB. À partir de ce constat, on peut calculer le rapport consommation d’énergie /PIB et comparer ce chiffre à une valeur étalon. Ce chiffre détermine ainsi pour chaque pays un indice de développement qui évalue l’avancement vers le progrès des Etats et leur degré d’assimilation de la civilisation technique. Comme une démographie excessive tend à affaiblir les technostructures naissantes, l’indice est pondéré par le taux de croissance démographique.

Cet indice de modernité ne présenterait certes qu’une valeur indicative, mais il obligerait à prendre en compte les réalités nationales :
– Les pays de l’Est ont encore une modernité insuffisante, mais ils progressent et maîtrisent leur démographie.
– Le développement économique paraît impossible lorsque le taux de croissance démographique dépasse 1 % par an. Investissements, éducation, infrastructures ne peuvent pas progresser dans un contexte de démographie galopante.

PIB et modernité sont de nature différente : une richesse pétrolière permet d’acquérir un PIB important, mais si l’argent perçu sert à enrichir les superstructures bureaucratiques ou des potentats locaux, au détriment des systèmes de production, le pays ne bénéficie pas d’un progrès durable. Ainsi, lorsque la manne pétrolière éphémère a disparu, le PIB retombe au-dessous de son niveau initial. L’exemple du Nigeria est significatif : l’arrivée des pétrodollars a entraîné une gabegie insensée qui a ruiné les secteurs agricole et industriel en progression et fait exploser la natalité :
3,1 % en 1970 et 3,3 % en 1980 (cf. Dynasteur, décembre 1989).

La prise en charge de la RDA, pays de 16 millions d’habitants ayant représenté pour la RFA un investissement de 500 milliards de $, le redressement de la Russie exige des capitaux proportionnellement supérieurs parce que les structures de l’ex-URSS se révèlent encore plus délabrées.

Si l’on admet que l’aide extérieure ne résout rien de façon durable, puisque l’adhésion au progrès ne peut s’importer de l’étranger, que doit-on penser de l’avenir des pays à la natalité explosive avec leurs organisations sociales éclatées ? Le progrès économique se révélant proportionnel aux capacités d’assimilation des contraintes de la modernité, il existe une tentation permanente d’accélérer le rythme du changement par des mesures autoritaires dans l’espoir de gagner du temps, promouvoir la production ou réduire le chômage. Ces dérives aboutissent à des échecs chaque fois que l’on veut bureaucratiser des fonctions qui doivent rester évolutives.

Curieusement, les régimes communistes, pourtant d’essence scientifique, ne supportaient pas les contraintes d’une civilisation évoluée, mais espéraient construire un monde artificiel sur un socle idéologique rigide.

Les succès spartiates des Japonais, ordonnés des Allemands, rigoureux des Suisses, ne constituent pas des modèles universels : ils démontrent du moins que l’enflure verbale, la tentation du laxisme et de la démagogie conduisent immanquablement à l’échec.

Le déterminisme historique n’est pas absolu, mais le XXIème siècle devra admettre les lignes de force et les contraintes d’un modèle de développement éprouvé depuis trois siècles.

Comment reconstruire des organisations socio-économiques détruites et comment créer celles qui n’existent pas ?

Si l’on veut être à même de porter un diagnostic sur les chances des pays en voie de développement d’accéder à la modernité et sur les capacités des pays de l’Est de reconstruire leur économie, il faut essayer d’analyser l’ordre dans lequel doivent être créés leurs structures et les délais nécessaires à chaque étape.

La première priorité est d’ordre alimentaire. Est-il besoin de rappeler que sans autosuffisance dans ce domaine, l’Occident n’aurait pu faire décoller sa production industrielle. Simultanément le marché au sens physique puis au sens économique doit permettre la création d’un droit commercial, d’un droit des personnes et d’un droit administratif. Certes, il ne faut pas nier l’accélération de l’histoire et conclure qu’à notre époque, l’accès à la modernité exige 200 ans de préparation, 200 ans de digestion, un siècle de mise en place et 40 ans de productivité accélérée.

En revanche, vouloir ignorer l’importance des premières étapes, c’est déjà faire l’impasse sur la mémoire culturelle de la paysannerie.

Le pari est possible pour les pays de l’Est, dont la démographie est stable, à deux conditions :
– Que les bureaucraties parasitaires possèdent suffisamment d’abnégation pour participer à la révolution indispensable et préparer leur propre affaiblissement.
– Que l’Occident apporte une aide financière à la chaîne des technostructures dans l’ordre où elles doivent se reconstruire.

Pour l’ex-RDA, culturellement proche des pays occidentaux, les investissements consentis par Bonn sont en passe de faire réussir le pari de la fusion. De leur côté, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Pologne recueillent les premiers fruits de leurs efforts.

Le rattrapage sera plus long en Russie où une période de quarante ans paraît incompressible pour atteindre le niveau de vie occidental des années 1970. Les autorités doivent en effet s’appuyer sur les anciennes bureaucraties pour reconstruire une économie moderne. Or bien rares sont les cas où les organisations étatiques acceptent de s’effacer sans réticence : le pouvoir politique doit composer et accepter la notion de délai. Cette période de quarante ans pour redresser le pays ne représente donc pas une période excessive.

L’Occident doit comprendre cette évidence et la Russie l’admettre. Il faut définir avec elle le programme de reconstruction avec l’ouverture progressive à l’économie de marché et à l’Etat de droit, puis fournir les crédits nécessaires à chaque étape.

Imposer sans précaution les normes occidentales, dans un pays qui ne possède que des systèmes bureaucratiques, reviendrait à plonger le régime dans le chaos.

Chaque fois une longue transition est nécessaire pour voir émerger la modernité, et le compromis avec les structures anciennes reste incontournable. Pour le présent, des réformes butent sut les excès d’une libéralisation sauvage et sur l’inertie d’une administration réticente: alors qu’elle reste provisoirement indispensable à la consolidation des libertés individuelles et à l’émergence d’une économie de marché.

Sans défendre le système communiste, l’analyse objective doit s’inquiéter de voir nombre de responsables occidentaux se féliciter des avancées démocratiques alors que la réforme de l’entreprise patine. Il serait moins dangereux de voir la démocratie piétiner quelque peu, comme en Chine, si la réforme économique était vigoureusement entreprise, plutôt que l’inverse, compte tenu des décennies nécessaires à l’émergence de la modernité.

Transposer sans ménagement les normes de la démocratie occidentale entraîne des explosions sociales aux dimensions imprévisibles, puisqu’il est très difficile, sinon impossible, de faire admettre à des populations qui manquent de tout, que ce sont leurs enfants ou leurs petits-enfants qui récolteront le fruit de leurs efforts.

La fin de l’affrontement Est-Ouest oblige à étudier des problèmes jusqu’alors masqués par les conflits idéologiques, et la réflexion sur les contraintes de la modernité oblige à constater combien les chances de rétablissement sont faibles lorsqu’il faut corriger une évolution historique manquée. La note à payer peut s’évaluer, mais les responsables laissent trop souvent croire à un raccourci possible, alors que, dans la plupart des cas, la démocratie accompagne le progrès mais ne peut que rarement le précéder.

Les élections en Irak et en Afghanistan ont-elles une réelle signification et sont-elles un gage de démocratie ? On peut en douter en s’en tenant au seul critère du niveau d’illettrisme qui atteint les 50 %.

On peut craindre que ces élections aient été conçues pour un usage politique et médiatique occidental. En réalité ces guerres ne peuvent être gagnées et renforcent les tendances islamiques radicales.

5- Limites et dérives du développement économique

Comme dans un bilan de santé l’indice de développement détecte certes une température anormale mais, il doit être complété par des analyses complémentaires :
1. La situation de la balance des paiements. Dans les pays développés, seuls l’Allemagne, le Japon, et la Suisse ont un niveau de vie en rapport avec leurs capacités industrielles et financières. La France et les Etats-Unis, qui ont des déficits importants, vivent au-dessus de leurs moyens.
2. La part de la production industrielle dans le PIB. L’industrie reste le moteur essentiel de l’économie : ce ne sont aujourd’hui ni les services ni même l’agriculture qui constituent l’essentiel de la richesse nationale. Quand un PIB ne repose que sur des exportations de matières premières, il n’a de valeur qu’autant que durent des réserves forcément limitées. Dans une autre perspective, une montée trop rapide du secteur tertiaire révèle un certain déclin économique et l’apparition de services parasites.
3. Le niveau des prélèvements obligatoires, destinés à améliorer les services rendus à la collectivité et son niveau de vie. Leur taux ne doit pas constituer une ponction intolérable pour l’économie comme c’est le cas en France.

Lorsque ces trois paramètres se situent dans une fourchette raisonnable, ils impliquent une inflation maîtrisée, un budget sain, un chômage faible et une monnaie forte.

À ces réserves et à ces correctifs près, les indices de modernité permettent une lecture fiable du niveau de développement.
Un exemple de dérive :
La spirale prélèvement chômage de l’économie française

Un retour durable de la croissance semble difficilement compatible avec un taux de prélèvements qui dépasse 50 % du PIB.
“Il faut passer d’une économie axée sur le secteur public et social à une économie fondée sur le secteur productif ».
1- Le PIB non-marchand progresse plus rapidement que le PIB marchand et cette croissance du secteur non-marchand est financée par l’emprunt : une croissance qui, a terme, n’enrichit pas, mais au contraire appauvri le pays.
2- La croissance américaine est basée en priorité sur l’augmentation des investissements productifs. Ce n’est pas le cas en France et une telle politique est lourde de conséquences pour l’emploi de demain :
3 – Les émissions du trésor public captent une proportion trop importante de l’épargne disponible et le niveau de la dette (63 % du PIB), incompatible avec les normes de Maastricht, pèse très négativement sur le développement de l’économie productive.
4 – Les hausses salariales devant rester inférieures à la croissance de la productivité du travail, il existe une marge possible pour certaines entreprises privées, mais aucune pour les entreprises publiques déficitaires. Or les salaires publics se retrouvent déjà au-dessus des salaires du privé.
5 -Nos coûts salariaux, depuis les 35 heures étant supérieurs aux coûts américains, italiens et britanniques, les entreprises sont astreintes soit à une productivité accrue, soit à la délocalisation.

Nos prélèvements sont de six points supérieurs à ceux de la moyenne européenne. L’économie avec l’emploi qui lui est associé, étant devenue l’otage d’une démagogie à court terme, cette dérive doit être stoppée avant qu’elle ne soit devenue incontrôlable. Le tocsin sonne vraiment dans la maison France, mais qui veut l’entendre ?

Il faut d’abord prendre la mesure de l’immigration admise depuis 1975.
Les huit à dix millions d’étrangers installés depuis cette époque gonflent les statistiques du chômage d’environ 30 à 50 %. Le coût annuel pour la collectivité peut être évalué à environ 50 milliards d’Euro (200 ou 300 milliards de francs). Partisans et adversaires de l’immigration devraient au moins s’entendre sur l’ampleur du sacrifice financier que peuvent ou veulent consentir les Français. Les partis politiques s’inquiètent des résultats du fait que 33 % des Français approuvent les positions du Front national sur l’immigration, mais qu’en serait-il, si l’opinion connaissait les vrais chiffres de cette immigration ?

Il faut ensuite faire comprendre aux pouvoirs publics et aux syndicats qu’il existe depuis 20 ans une corrélation étroite entre l’augmentation des prélèvements et celle du chômage. Chaque point de prélèvement, après une période d’anesthésie passagère, a entraîné la suppression de 400 000 emplois : 200 000 font alors l’objet de mesures sociales diverses et 200 000 grossissent le chômage officiel.

En 1975 les prélèvements ne représentaient que 37 % du PIB et nous n’avions que 1 000 000 de sans emploi alors qu’en 2003 les prélèvements frisent les 50 % du PIB (compte tenu de 5 % de déficit), et nous comptons 2 000 000 de chômeurs et 3 000 000 d’emplois précaires. En quelques années, les emplois non-marchands sont ainsi passés de 4 800 000 à 6 100 000, soit une augmentation de 1 400 000 représentants des emplois souvent artificiels qui s’installent au détriment des emplois productifs.

La cote d’alerte est largement dépassée et les exemples américains et anglais, qui ont réduit à la fois prélèvements et chômage, démontrent la nécessité de programmer une baisse des prélèvements si l’on veut durablement réduire le chômage : voilà le véritable objectif de convergence européenne et la seule stratégie capable d’amorcer un retour durable à la croissance. Nous résumons ci-après les taux de prélèvements indiqués par l’INSEE :

Taux de prélèvement
Taux de chômage
USA
29,4 % du PIB
7 % de la population active
Japon
29,4
3,1 %
Allemagne
39,7
10,2 %
Royaume-Uni
37
7 à 8 % de la population active
France
44
9 % (14 % avec les RMI)

A contrario, aucun pays n’a restauré l’emploi en augmentant de façon continue la fiscalité. Bien entendu une telle prise de conscience implique deux objectifs :
– Lancer la modernisation du secteur public toujours annoncée, mais jamais réalisée devant l’obstruction de lobbies solidement installés dans leur statut.
– Arrêter les dépenses injustifiées que tolère encore l’Etat et de la sécurité Sociale. Faut-il encore une fois citer les 30 000 lits d’hôpitaux vides, les centaines de milliards dépensés dans des programmes d’armement fictifs, les déficits d’une SNCF qui refuse toute remise en cause de son système de retraites, les emplois artificiels créés par les collectivités locales, etc …

Cette reconversion des esprits serait facilitée si les citoyens électeurs prenaient conscience que cette obésité de la fiscalité bloque à la fois la croissance et l’emploi.

Les chiffres de l’INSEE sont malheureusement incontestables et les chômeurs doivent savoir que chaque emploi public ou parapublic, créé depuis 20 ans, s’est finalement traduit par la disparition de deux emplois dans les secteurs marchands. L’opinion est donc en droit d’exiger des réformes d’ampleur avant que nous ne soyons considérés comme « l’homme malade » de l’Europe : en 15 ans les services non-marchands ont vu leurs effectifs progresser de 1 500 000 emplois alors que l’industrie en perdait 1 000 000, l’agriculture 800 000, le bâtiment 400 000.

En attendant cette nouvelle nuit du 4 août, qui annoncerait la volonté française de s’attaquer aux racines du chômage, pourquoi le gouvernement ne donnerait-il pas rapidement un signal fort par quelques décisions peu coûteuses mais porteuses d’efficacité ? Alors que cadres et managers acceptent encore, mais pour combien de temps, de nourrir un molosse insatiable, pourrait-on suggérer, à ceux qui nous gouvernent quelques mesures simples dans l’esprit de celles qui ont fait merveille aux USA ?

Motiver les responsables serait d’abord un pas dans la direction déjà prise par nos partenaires et puis qui sait, l’opinion peut aussi se rendre compte que sanctionner par trop l’initiative est préjudiciable à l’emploi ? Une certitude hélas, la France n’est plus un exemple et en perpétuant les errements actuels elle risque de prendre la voie d’un déclin irréversible car élites et capitaux trouveront ailleurs un meilleur climat de travail.

Puisque les citoyens ne croient plus dans les promesses politiques, il faut leur expliquer la réalité économique et rétablir l’espoir dans une croissance porteuse d’emplois, en proposant un plan sur cinq ans. Il viserait à ramener le taux de prélèvements à 40 % du PIB avec un objectif à moyen terme de 37 %, (taux de 1974).
Les réformes sont-elles possibles ? Oui, mais à condition de faire connaître aux Français la réalité sociale et la réalité économique : sans constat préalable, pas de réforme. Les gouvernants s’enferment soit dans la communication, soit dans démagogie en oubliant cette remarque de Chateaubriand :
« Louis XVI n’était pas faux, il était faible, mais cette faiblesse en tient lieu et elle en remplit les fonctions ».

Plus près de nous, le fondateur de la Vème République, Charles de Gaulle, avait lui aussi définit la raison d’être d’un gouvernement :
« C’est qu’il gouverne, c’est qu’il prend ses responsabilités. C’est qu’il fait des choix clairs. C’est qu’il est cohérent. C’est qu’il obéit à l’intérêt national, et non à la dernière pression qu’il a subi…C’est qu’il n’est pas du sable entre les doigts ».

Nicolas Baverez tirait de la paralysie gouvernementale du gouvernement Raffarin une conclusion fort sombre annonçant des lendemains difficiles :
« Si Jacques Chirac ne promet que ce qu’il sait ne pas pouvoir tenir, c’est moins par atavisme que parce qu’il est l’otage de sa propre faiblesse et de son indécision. Au risque que, l’accumulation des mensonges, des lâchetés, des réformes cent fois annoncées et toujours repoussées n’emportent la Vème République comme l’ancien régime ».
Nicolas Sarkozy voudrait réformer. Le pourra-t-il ?

CHAPITRE I – Les contraintes permanentes de la civilisation industrielle <

> CHAPITRE III – La fiabilité incertaine des données économiques

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *