« Nous sommes une école hors-contrat, non pas une école hors-la-loi »

Olivier Lefèvre est directeur de l’école des sarments à Carcassonne. Il a choisi de monter une école hors-contrat, c’est-à-dire totalement libre dans le choix des enseignants ainsi que dans la manière d’enseigner. Il a accepté de livrer son témoignage aux Nouvelles de France.

Vous avez monté une école hors contrat, pourquoi ?

Cette école est le fruit d’une expérience et d’une réflexion de plus de dix ans, période durant laquelle je me trouvais à Rome, pour préparer ma thèse tout en enseignant les lettres classiques au collège et au lycée. Le niveau catastrophique de mes élèves arrivant en classe de Seconde, incapables de comprendre la portée littéraire, morale et philosophique d’une pièce de Molière ou de Racine, l’incapacité notoire des élèves de latin de reconnaître un complément d’objet ou un complément du nom, m’ont tout à fait révolté : pourquoi cette génération est-elle incapable de faire des exercices ou de mener une réflexion que des générations précédentes, à leur âge, et sans prétention, étaient capables de faire ? Plutôt que d’accuser Dieu, à défaut la nature, de moins doter nos enfants, j’ai préféré sans peine remettre en cause les méthodes, le système et les idéologies qui les sous-tendent. C’est pour cela que j’ai choisi de construire non pas contre, mais à côté. Un seul avantage…mais qui fait toute la différence : une entière liberté dans les méthodes, dans le recrutement des enseignants et des familles, dans la transmission de ce qui nous semble vrai, beau et bien.

Est-ce par méfiance vis-à-vis de l’État ?

Il ne s’agit nullement d’une « méfiance » vis-à-vis de l’État. Nous sommes une école hors-contrat, non pas une école hors-la-loi. Nous avons rempli toutes les conditions nécessaires et suffisantes pour offrir un « service public ». Dieu sait combien les démarches sont exigeantes et pénibles : il eût été plus facile d’ouvrir une école dans un pays en voie de développement, non assujetti à une législation draconienne comme en France. Par ailleurs, et par principe, l’école a pour mission de former des consciences droites, honnêtes et capables de contribuer au bien de l’État, quel qu’en soit le régime, si celui-ci a pour finalité le bien de chaque individu. Je souhaite que ce projet puisse un jour bénéficier de l’aide de l’État et de sa reconnaissance à tous égards.

N’avez vous pas l’impression d’être un peu « décalé » par rapport aux autres écoles ?

Si l’on s’en tient à l’étymologie de ce mot, nous sommes peut-être en décalage non par rapport aux autres écoles, mais par rapport à un contexte temporel et axiologique : temporel, puisque nos manuels et nos méthodes pédagogiques ressemblent plus à ce qui fut utilisé et produit avant les années 1960 ; axiologique, puisque nous ne partageons aucunement la vision amorale (quand elle n’est pas immorale) de l’éducation et de l’instruction dont la finalité restent, pour nous, la construction de « l’honnête homme » dans sa dimension noétique, éthique et esthétique. Ce sont les autres écoles, qu’elles soient publiques ou privées sous contrat, qui se sont « décalées » des principes très républicains dont elles prétendent être héritières. Je pense qu’un Jules Ferry doit se retourner dans sa tombe devant l’état actuel de l’enseignement. Il suffit de relire sa lettre aux instituteurs du 17 novembre 1883 : « Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants,… écoutant vos leçons, observant votre conduite, s’inspirant de vos exemples, …sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, … de cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères ». Les programmes et la formation des instituteurs actuels répondent-ils à ces principes du législateur républicain ?

N’est-ce pas une école type Troisième république ou “Guerre des boutons” que vous souhaitez recréer ?

Cela dépend à quel niveau vous situez la question : D’un point de vue partisan, certainement pas. La Troisième république a cherché, de manière utopiste, à instaurer une démocratisation de l’instruction… quand on pousse cette idée à l’extrême, dans un mépris total de la réalité, cela aboutit au ridicule 80% de réussite au bac ! D’un point de vue pragmatique, assurément : nous ne serions pas les seuls, d’ailleurs, à nous inspirer de certains manuels ou de certaines méthodes transmises à des générations entières par ces fameux « hussards noirs de la République ». Ainsi de manière paradoxale, certaines écoles, souvent confessionnelle, à mille lieues de l’esprit républicain, enseignent à la façon de nos vieux instituteurs. C’est qu’elles ont reconnu la qualité de cet enseignement. Il n’y a pas de jugement de valeur à porter : ce qui est bon et efficace dans la construction de l’honnête homme ne peut être que recherché et reproduit.

Nous sommes une école hors-contrat, non confessionnelle, mais sans aucun esprit d’hostilité ni d’animosité à l’égard de qui que ce soit. Nous travaillons en bons termes avec les autorités publiques. L’enjeu de ce projet dépasse les clivages politiques ou religieux : il s’insère dans une dimension « politique », au sens platonicien du terme, c’est-à-dire dans la vie de la cité, et dans une dimension éthique, c’est-à-dire dans une construction de la conscience morale de l’enfant en complémentarité avec sa famille, première éducatrice.

Concrètement quelles sont les difficultés que l’on peut rencontrer lorsque l’on monte ce type de projet ?

Les difficultés ont d’abord été administratives et juridiques : en France, la législation est telle, fort heureusement d’ailleurs, qu’il faut répondre à de nombreuses exigences (sécurité, hygiène, mœurs, diplômes) avant de pouvoir ouvrir un service public, surtout quand il d’agit de mineurs. Une fois ces démarches accomplies, il a fallu recruter des familles : cela signifie, qu’il faut d’abord présenter l’état actuel de l’enseignement, en montrer les limites et faire comprendre les conséquences sur le long terme. Faire prendre conscience de cette réalité de l’enseignement, de ces méthodes, de ces programmes (comme la théorie du gender !), c’est réveiller des torpeurs, secouer des habitudes, casser des préjugés, encourager des réactions. Une fois les familles recrutées, vient une autre difficulté, propre à toute école : gérer les parents, ce qui est toujours plus difficiles que de gérer des enfants ! Enfin, la difficulté principale pour une école hors-contrat, est la question financière. Notre liberté coûte très cher et suppose de grands sacrifices, tant pour les parents, que pour les enseignants.

A quoi correspond une journée type dans votre établissement ?

La journée commence à 8h30 pour toutes les classes. En primaire, nous commençons par un quart d’heure de culture générale (soit une histoire morale, soit un récit biblique, soit un épisode de la mythologie grecque). Pendant les cinq matinées de la semaine, les enfants ne font que du français et des mathématiques. J’ai choisi, en mathématiques et en français de travailler sur les manuels de la Librairie des Écoles. L’an passé nous avons fait en CP la lecture des grands contes traditionnels, avec questions et réponses rédigées. Chaque semaine, tous les élèves ont une poésie à apprendre, puisée dans les œuvres classiques (La Fontaine, Prévert, Baudelaire, Rimbaud etc.). Dès le CE1, il y a une dictée quotidienne, de la grammaire, de l’orthographe et du calcul mental : tout est corrigé aussitôt. Le midi, la plupart des enfants restent à déjeuner en apportant leur panier-repas. Les cours reprennent à 13h30, avec une heure d’histoire chronologique de France (Librairie des Écoles), puis une heure de chant et de solfège quotidien, puis après la récréation, la journée se termine par une heure d’étude obligatoire : ainsi chaque enfant apprend l’autonomie et l’organisation dans le travail, et rentre chez lui en n’ayant que ses leçons à réviser. Tout cela a donné, à la fin de cette première année, d’excellents résultats et des enfants très épanouis. Il suffit du témoignage des parents !

Notre projet s’inscrit dans une double motivation : un enseignement d’excellence qui ne cherche pas à faire des élites intellectuelles, mais à tirer ce qu’il y a de meilleur en chacun et à le mettre en valeur ; une éducation d’excellence qui développe dans les cœurs la haine du vice et l’amour de la vertu. En ce sens d’ailleurs, je travaillerai cette année, avec mes CM, sur le livre de lecture « Le Tour de France par deux enfants ».

A combien s’élève un an de scolarité dans votre institution pour les parents d’élèves ?

Nous avons commencé à 150 euros par enfants, par mois. Nous avons dû augmenter pour la rentrée à 180 euros, ce qui ne nous permet pas encore de payer complètement deux salariés au SMIG.

Combien de classes, de niveaux et d’élèves avez-vous pour l’instant ?

Nous avons pour l’instant deux classes uniques avec tous les niveaux de la maternelle à la fin du primaire. Il y a actuellement 27 élèves d’inscrits pour la rentrée 2011-2012.

Comment choisissez-vous vos professeurs ?

Les professeurs sont recrutés avant tout sur leur motivation et leur adhésion au projet de l’école, et de vraies qualités pédagogiques. En ce sens, il m’importe peu qu’ils aient les diplômes « officiels » exigés dans l’Éducation nationale. Nous avons une maîtresse à la retraite, diplômée de l’Éducation nationale ; une autre maîtresse n’a pas de diplôme particulier d’enseignement. Je pars du principe et de l’expérience que ce ne sont pas les diplômes qui font la qualité d’un bon enseignant, en tout cas pour le primaire.

Pourquoi l’uniforme ?

Nous avons choisi l’uniforme pour des raisons à la fois pragmatiques, pratiques et sociales. L’école de la République ne prône-t-elle pas l’égalité ? Quoi de plus égal que le port de la blouse qui efface, dans un premier temps, les différences sociales ! Les mamans vous diront aussi les avantages non négligeables d’une blouse ! Enfin, je trouve que cela crée pour les enfants un esprit de cohésion, d’unité, peut-être inconscient mais réel. L’école crée les conditions d’une petite société où les différences de nature (intelligence, richesse) s’effacent devant les richesses d’une nation policée et cultivée dont chaque enfant doit se sentir héritier et fier de cet héritage.

 

Ecole des sarments

144 rue Trivalle – 11000 Carcassonne

04 68 10 98 03 / 06 24 54 72 97

Directeur : Olivier Lefèvre

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3 Comments

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  • 0 / 10
  • SAURAT jean-paul , 15 septembre 2011 @ 17 h 38 min

    BRAVO ET BONNE CHANCE

  • ROY , 19 septembre 2011 @ 2 h 07 min

    Félicitations ! Puissiez-vous faire des émules.

  • Martial , 20 septembre 2011 @ 12 h 32 min

    Super ! Vraiment un exemple à suivre. Je suis encore jeune et sans réel expérience dans le domaine, mais j’ai envie de partager cette information autour de moi, et pourquoi pas, peut-être un jour lancer un tel projet en Suisse, si cela n’existe pas encore.

    Et je suis à fond pour le port de l’uniforme pour les élèves. Dans une société qui ne serait pas malade comme elle l’est aujourd’hui, cela ne poserait pas de problème que les élèves s’habillent différemment, malheureusement ce n’est pas le cas, et comme vous le dites, les différences sociale sont exacerbées par les vêtements de marque et autres. Donc c’est une très bonne chose.

    Je vous souhaite que du bon et surtout bon courage et bonne chance dans votre projet.

    Martial

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