Erreur fatale sur la personne

Lundi dernier, à l’hôpital St Vincent de Paul à Lille, une jeune femme s’est vue administrer par erreur du Cytotec, un médicament qui provoque immanquablement une fausse couche, et qui peut être utilisé dans différentes circonstances (pas seulement des cas d’IMG). « L’erreur a été identifiée au bloc opératoire, la patiente étant endormie. L’intervention n’a pu être réalisée du fait de la dilatation du col de l’utérus et Madame X a été placée en salle de réveil. Peu de temps après, Madame X a perdu son fœtus ».

Les médias s’emparent de l’histoire sitôt qu’ils en ont connaissance, grâce au témoignage de Zara, la patiente, dans La Voix du Nord, et s’empressent de dénoncer le drame. Les questions fusent sur la formation des sage-femmes, le respect des procédures, les mesures qui pourront être prises par la suite, le potentiel dépôt de plainte… Le journaliste est prompt à émouvoir. Forcément, à tout drame il faut un coupable, ou au moins une cause, une raison. On ne peut accepter la simple « erreur humaine », la stagiaire de première année envoyée dans la mauvaise chambre, qui oublie de vérifier le nom, qui applique le reste sans se poser de questions et qui s’en voudra probablement toute sa vie. D’après le chef du service, Dr Houzé de l’Aulnoit, l’étudiante est effondrée : « Je l’ai vu lundi soir, elle ne va pas bien du tout évidemment ».

Hôpital « catholique » ?

« Je voulais mon enfant, moi, et pas qu’on me l’enlève ! », s’écrie Zara dans les colonnes de La Voix du Nord. Dans la chambre voisine, l’autre patiente à qui était destinée le médicament était sans doute là pour une interruption médicale de grossesse, rares dans cet hôpital d’appellation catholique, mais qui sont néanmoins parfois pratiquées : officiellement, elle devait subir un curetage pour « grossesse ne pouvant être menée à terme », c’est à dire devant être interrompue pour motif thérapeutique. Pratiquer des avortements, même à but « thérapeutique », et demander à une étudiante sage-femme de première année qui n’a probablement reçu aucun enseignement éthique de collaborer à ce que l’Église décrit comme un meurtre (§2270 à 2275 du Catéchisme), dans un hôpital catholique, attaché à une université catholique, est une incohérence grave. S’excuser et s’horrifier du drame est effectivement la première mesure à prendre dans ce type de situation, et contrairement à ce qui a pu se lire, l’hôpital n’a pas manqué à ce devoir : « la première chose qu’on veut dire (…) c’est notre compassion donnée à cette famille, et nous-mêmes nous sommes profondément atteint par ce qui s’est passé », souligne avec émotion Jacques-Yves Bellay, directeur général délégué aux hôpitaux de l’Institut catholique, en ouverture de conférence de presse. Mais qu’en est-il des IMG choisies ? Est-ce la mort de ce fœtus que l’on regrette – en elle-même et pour elle-même – ou le désarroi de la mère – pardon, de la patiente ?

Schizophrénie

Cette attitude apparaît clairement dans le traitement médiatique de l’affaire ; la tentation du lynchage n’est pas loin. Là où on ne reconnaît pas le statut d’être humain, on réagit pourtant comme s’il y avait eu mort d’homme. Zara parle de son enfant ; l’hôpital répond en terme de fœtus. Est-ce vraiment le regard qui fait l’homme ? Zara n’a pas perdu un fœtus, comme si c’était un organe interne que l’on pouvait amputer. Cette mère de confession musulmane, qui a d’abord nié l’événement au point de ne pas entendre les excuses du corps médical, demande à faire son deuil ; mais pourra-t-elle le faire dans une société où l’on n’acceptera pas sa perte dans ce qu’elle a de plus profond, la perte d’un enfant ? Et pourtant l’empressement des médias à chercher un coupable montre bien qu’il y a pire qu’une erreur médicale, qu’une grossesse retardée, repoussée comme si on pouvait appuyer sur la touche « pause ». Schizophrénie qui atteint un summum dans un hôpital catholique, où l’on assure certes et avec sincérité de la « compassion donnée à cette famille », mais où l’on se cantonne à l’appellation de fœtus. L’hôpital catholique a déjà abdiqué en acceptant de prendre en charge des IMG. La Faculté Libre de Médecine, à laquelle est attaché l’hôpital St Vincent de Paul, a abdiqué également en n’éduquant pas ses étudiants au respect de la vie, en ne leur offrant même pas ce cadre respectant leurs convictions catholiques. Parfois, on croit penser que l’Église même, en fermant les yeux, en manquant de fermeté… Dommage. C’était peut-être le seul endroit où cette mère avait une chance de s’entendre dire, au nom du respect de chaque vie humaine : “nous vous adressons nos plus sincères condoléances pour la perte de votre enfant”.

A Lille, pour Nouvelles de France, Isabelle Morguill

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