Alors, 2018 année des conservateurs ?

Et pourquoi pas ? Après la déculottée de la présidentielle et la Bérézina des législatives, le second semestre s’est avéré riche en promesses. Avec le succès des autonomistes-indépendantistes en Corse et la marée humaine qui a suivi le cercueil de Johnny Hallyday, on peut être rassuré : le peuple n’a pas déserté la scène publique. J’ajouterai même que la faiblesse de la mobilisation contre les ordonnances Travail et l’échec des tentatives d’agitation dans les facs et les lycées – malgré les grognements d’un Jean-Luc Mélenchon, grand perdant de ce début de quinquennat – témoignent, à leur façon, de la sagesse de notre peuple. Il rejette les appels à la lutte des classes, constatant, chaque jour dans les petites entreprises de nos provinces, que, malgré tout, il partage bien des intérêts avec ces patrons que les démagogues de tous bords voudraient les voir détester. De la même manière, il sait bien que les réformes initiées par le ministre de l’Éducation nationale vont dans le bon sens…

Et, malgré tout, Emmanuel Macron est au zénith dans les sondages…

Mais parce qu’il n’y a personne, à l’heure qu’il est, pour incarner une véritable alternative. À droite, Laurent Wauquiez a bien du mal à rassembler une famille politique déjà séparée mais qui hésite encore devant un divorce en bonne et due forme. Marine Le Pen se relève difficilement d’une lourde défaite électorale, malgré une prise de conscience – trop tardive – de l’impasse à laquelle la conduisait un discours inaudible tant sur l’Europe que sur les questions économiques et sociales. Quant à la droite hors les murs, chère à Patrick Buisson, elle a bien du mal à être autre chose qu’un cartel de petites formations sans poids réel et, surtout, sans vraie stratégie.

D’où le conservatisme !

Il est le seul, me semble-t-il, à même de combattre de front les fractures sociales, identitaires et écologiques. De faire entendre les craintes de déclassement social, de casse économique, de perte des repères familiers, de dilution culturelle, de désastre environnemental de plus en plus de nos concitoyens. Non pour se lamenter sur l’épaule d’une histoire dont nous avons raté un nouveau rendez-vous mais pour la prendre enfin à bras-le-corps. Le conservateur n’est pas un timoré qui ferait de la résignation une règle de conduite, quand ce n’est pas une vertu. Ou une excuse à sa lâcheté. Prudent mais volontariste. Ancré dans une histoire mais à l’écoute du pouls du monde, il est le contraire du réactionnaire. Il ne veut pas du monde tel qu’il est, injuste, dur, tellement inégalitaire.

Des mots, toujours des mots…

Bien sûr que non ! C’est un état d’esprit, une méthode. Faits de bon sens, de pragmatisme, loin des envolées lyriques et des leçons de morale. Prenons, par exemple, la question de l’immigration. Et si nous nous contentions – sans même faire référence à ses conséquences sur l’identité – de rappeler que nous n’avons pas les moyens d’ouvrir nos portes à de tels flux migratoires, que nous sommes bien incapables de les intégrer ? En un mot, si nous ne demandions rien de plus que l’application de la loi, comme le souhaitent les deux tiers des Français ? Rien de plus.

Mais cela ne fait pas une politique…

Comme le dit Élisabeth Lévy, « il faut arrêter d’écouter les “assosses” ivres de leur bonne conscience ». Commençons par là. Et si, nous le savons bien, il n’y a pas et il n’y aura pas de solution miracle en la matière, plaidons pour une réduction au minimum des entrées sur notre territoire, une application stricte des retours à la frontière, une baisse draconienne de l’aide médicale d’État – elle vient encore d’augmenter dans le premier budget de l’ère Macron – et, bien sûr, le maintien d’un accueil généreux des réfugiés tels que définis par l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides. Du concret, du pragmatisme. Rien de jusqu’au-boutiste, juste du bon sens. Si Emmanuel Macron devait, dans ce domaine, faire preuve du même réalisme que Jean-Michel Blanquer dans nos écoles, je ne pourrais que m’en réjouir, tant « la politique du pire est la pire des politiques ». Ne soyons pas de ceux qui, même si c’est au détriment des intérêts de leur pays, se félicitent des erreurs et des malheurs de leurs adversaires…

C’est cela, la méthode conservatrice ?

Dans son dernier livre, Le Rayon bleu, Slobodan Despot, dit d’un de ses personnages : « La politique requiert une capacité de simplification et d’approximation, en plus d’un optimisme de façade qu’il n’avait pas la force de feindre. » Peut-être en sommes-nous là. Avec, en prime, le refus obstiné de cet esprit de meute qui est une des caractéristiques de notre époque. Lassé d’attendre le sauveur, l’homme providentiel – pour bon nombre de nos amis, il suffit de porter un uniforme et de refuser de se plier devant le pouvoir civil pour se voir décerner ce titre -, je voudrais que nous réinvestissions des domaines entiers que nous avons laissés aux tenants de l’ordre établi ou aux apprentis sorciers des lendemains qui chantent.

À quoi pensez-vous ?

En matière de politique étrangère, par exemple, il me semble un peu court de remplacer un atlantisme – honni à juste raison – par un culte de Vladimir Poutine qui, s’il incarne une politique conservatrice, n’en est pas moins des plus répressifs. Difficile de dénoncer les interventions policières lors des Manifs pour tous et se taire quand le maître du Kremlin envoie en prison quiconque lui déplaît… Autre exemple : il me semble que nous ne pouvons pas rester insensibles au saccage de la nature sous prétexte que l’écologie a fait l’objet d’un hold-up de la plus sectaire, de la plus idéologique des gauches. Défendre une agriculture respectueuse des sols – et donc de son propre avenir – a été historiquement le combat d’une droite que nos bien-pensants qualifieraient de maurrassienne. Il faut nous réapproprier ces problématiques en les « désidéologisant ». De même, se soucier du bien-être animal, combattre toutes les souffrances inutiles, s’interroger sur le prix écologique d’une nourriture par trop carnée ne saurait être l’apanage du boboland mediatico-germanopratin. Pas plus que le soutien aux moteurs de recherche – comme Qwant – ou aux logiciels libres comme ceux développés par Framasoft, des acteurs qui sont une alternative, certes balbutiante, au règne sans partage des Microsoft ou autres Google.

Un peu loin des préoccupations de ce « petit peuple » étranger aux cénacles, fussent-ils ceux de la droite identitaire…

Vous avez raison. Réduire le conservatisme à une esthétique, c’est prendre le risque de le disqualifier aux yeux des couches sociales les plus vulnérables. C’est en faire une nouvelle mode pour petits-bourgeois émus de leur propre sort, dernières victimes d’un capitalisme qui dévore aujourd’hui ceux qui l’encensaient il y a encore peu. Si nous voulons changer réellement le monde – et ne pas nous contenter de discours d’autant plus radicaux qu’on est éloigné du pouvoir -, il nous faudra tisser des alliances, proposer des alternatives crédibles, aborder toutes les questions qui sont le quotidien de chacun, parler la langue de tous les jours. Ne nous abritons pas derrière un nouveau « isme » mais appliquons-nous à tenter de trouver des réponses aux maux qui rongent nos sociétés. Patiemment, concrètement, modestement. Quelle école pour nos enfants sans revenir à l’instituteur en blouse grise, cravate et moustache ? Quelle famille pour nos enfants sans rêver de duffle-coats pour tous et couches-culottes lavables ? Le champ des questions est vaste…

 

Boulevard Voltaire