« La droite, au cours des dernières décennies, s’est déshonorée en raison de son refus d’affronter le réel »

Christophe Billan, ancien président du mouvement Sens commun – vous avez démissionné de ce poste en 2017 -, vous venez de publier un livre en forme de « tribune libre » aux Éditions Plon intitulé L’Honneur perdu de la droite. Vous étiez présent, samedi, à la Convention de la droite.

Pensez-vous que cette Convention est une façon de laver cet honneur ?

Je pense que la droite, au cours des dernières décennies, s’est déshonorée en raison de son refus d’affronter le réel, de se hisser à la hauteur des événements. L’amnésie et la pusillanimité ne sont pas des options au regard des défis immenses qu’il nous faut relever. Or, la droite a renié ses principes qui la rendaient capables de concilier la marche du monde et les permanences d’une civilisation. Elle ne veut plus articuler la liberté d’un citoyen responsable et les obligations d’une nation solide. Elle a cessé de promouvoir un libéralisme humain capable de contenir les effets dévastateurs de deux matérialismes atroces : l’ultralibéralisme et le collectivisme. Au regard de cet affaissement, toutes les initiatives soucieuses de renouer avec les fondamentaux de la droite me paraissent intéressantes. Toutefois, laver l’honneur de la droite nécessite un équilibre compliqué entre le courage de restaurer un socle salutaire et la tentation de se replier sur des superlatifs jubilatoires mais impuissants.

Il me semblait important de m’y rendre pour deux raisons : refuser les procès en sorcellerie qui caricaturent le réel et empêchent tout débat véritable. Comprendre l’état d’esprit des organisateurs et des deux mille personnes présentes. J’ai été frappé par leur jeunesse et leur volonté de s’engager. J’ai vu quelques maladresses, mais aussi de très bonnes choses.

Au cours de cette convention, Raphaël Enthoven a évoqué la « caducité du paradigme droite-gauche ». Souscrivez-vous à cette analyse ?

Je pense que le rapport de force « droite-gauche » tel que nous le connaissons a, en effet, vécu. Mais ne nous leurrons pas, la frontière idéologique demeure : le matérialisme défendu par la gauche s’oppose toujours aux valeurs de la civilisation autrefois assumées par la droite. Nous avons toujours un camp convaincu de pouvoir apporter la paix et le bonheur par le truchement d’un matérialisme omnipotent techniquement et irresponsable politiquement. Son objectif est de permettre coûte que coûte l’expansion indéfinie du principe marchand. Face à lui, nous avons un autre camp, déterminé à préserver les fondamentaux d’une civilisation et l’esprit de la démocratie pour protéger l’humanité de l’homme. La droite, avant son déshonneur, a toujours penché naturellement vers ce courant, refusant de se diluer dans le matérialisme. Elle a toujours pris soin de préserver les permanences d’une société, de protéger les plus vulnérables et d’agir dans le monde au nom de principes plus vastes que l’intérêt marchand. Plus que jamais, cette distinction me semble essentielle.

C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle je pense que Raphaël Enthoven se trompe sur l’échec de la restauration de la droite. Comme précisé dans mon essai, nous avons besoin de la droite non pas pour faire obstacle au mouvement mais pour s’assurer que le changement ait un sens. Si tout, dans la nature, se réduit à un mouvement dénué d’intentions, la noblesse de l’homme tient à sa volonté de lui donner une cause et un but. Le progressisme proposé par ce philosophe est connu depuis l’Antiquité : il est une vaine agitation, un cycle archaïque et mécanique. Il reste donc idéologiquement de gauche car sa vision matérialiste refuse l’intentionnalité. Et donc la liberté à laquelle la droite véritable est attachée. En conséquence, nous ne parlons pas du même homme. Le sien n’a d’autres ambitions que la satiété et la sécurité apportée par une grande termitière. L’homme de droite est différent. Il affectionne Saint-Exupéry, l’action mesurée et les équilibres complexes. Il est amusant de constater que jamais Raphaël Enthoven n’a mentionné les enjeux ou les défis auxquels nous sommes confrontés. Pour lui, seule compte la nécessité de se mettre en marche. Peu lui importe d’agir, et notamment pour « que le monde ne se défasse pas. » Son admiration pour Camus est sélective comme sa philosophie est mondaine.

À cette convention, on a pu voir quelques cadres ou militants LR, mais parmi eux, fort peu de ténors. Et pourtant, certains d’entre eux (Valérie Boyer, Nadine Morano, Julien Aubert, François-Xavier Bellamy et, de façon générale, les membres de Sens commun…) ont des points de convergence indéniables avec Marion Maréchal et ceux que l’on a pu voir à la tribune. Comment expliquez-vous cela ?

Je pense que ces figures attendent de comprendre l’objectif véritable de la convention. Mais au-delà des barons, il faut surtout songer aux élus de terrain courageux qui savent que LR est devenue une machine à perdre. Des élus et des cadres qui cherchent une perspective, un cap et un chef. La convergence est possible mais elle suppose d’éviter des épithètes ou des intonations qui n’ont d’autre effet que de créer des polémiques stériles. Marion a listé de véritables enjeux. Je crois que la droite peut les relever avec détermination mais de façon réfléchie. Tout l’enjeu est de rassembler des acteurs qui se retrouveront autour de la lucidité et du courage sans tomber dans la caricature. L’outrance n’aura d’autre effet que de galvauder des thématiques de fond et des principes forts. Jouer aux « anars de droite » peut être utile pour draguer en soirée, mais pas pour gouverner. J’ai été très sensible aux propos de Robert Ménard : il faut agir sur le champ politique, aider les gens dans leur quotidien. Il ne s’agit pas de se faire plaisir au travers de formules chocs qui diviseront les Français sans régler aucun problème. Il faut construire une alternative crédible capable de convaincre. La droite, que la droite, toute la droite. Cela suffit. Alors, la convergence sera possible.

Bolevard Voltaire

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