Témoignage des rescapés de la tuerie de Saint-Etienne du Rouvray

Le 26 juillet 2016, deux djihadistes interrompent la messe matinale célébrée quotidiennement en l’église Saint-Étienne, à Saint-Étienne du Rouvray, dans la banlieue de Rouen. Y participent trois religieuses et trois laïcs, dont un couple, Guy et Janine Coponet. Après une macabre mise en scène, ils égorgent le célébrant, l’abbé Jacques Hamel, puis tentent de tuer Guy Coponet. Ils sont abattus en sortant de l’église.(…)

Guy et Janine Coponet accueillent dans leur jardinet. Ce couple qui fête ses 63 ans de mariage n’a jamais voulu répondre aux questions des journalistes Guy n’est mentionné dans la presse que comme Monsieur C. Ils ont néanmoins accepté de recevoir Famille Chrétienne. Dans leur salon, devant le buffet normand, à côté de la pendule dont le tintinnabulement égrènera les deux heures de l’entretien, nous rejoint Danielle Delafosse, qui assistait elle aussi, avec deux de ses sœurs religieuses, à la messe ce mardi-là, en la Sainte-Anne. C’est elle qui donna l’alerte. Ensemble, Danielle, Janine et Guy partagent ce qu’ils n’ont jamais dit.

Guy Coponet, vous devriez être mort ?

Guy Coponet – Oui. Ils m’ont frappé de trois coups de couteau, au bras, au dos et à la gorge. L’urgentiste qui m’a soigné m’a dit : « Il y avait une main divine sur vous car aucun des coups n’a touché un organe vital. Or, ce n’était vraiment pas loin… C’est comme un miracle ! »

Ce « miracle », vous le voyez comme un signe ?

Guy – Le Seigneur a permis que je survive pour témoigner de sa miséricorde. Cela m’est pénible : je n’aime pas paraître. Je suis un ouvrier à la retraite, j’aime la vie cachée de Nazareth. Me retrouver sous les feux des projecteurs me fait horreur.

Quel fut le plus dur pour vous dans cette épreuve ?

Guy – Filmer. Les deux jeunes tueurs m’ont attrapé par le « colbach », m’ont mis une caméra dans les mains et m’ont dit : « Papy, tu filmes. » Ils venaient même vérifier la qualité des images et constater que je ne tremblais pas trop. J’ai dû filmer l’assassinat de mon ami le Père Jacques ! Je ne m’en remets pas. Car c’est du théâtre leur sale « truc », de la mise en scène. Ils voulaient faire une vidéo destinée à faire le tour du monde sur les réseaux sociaux, ce qui leur permettrait de mériter leur titre de gloire de « martyr » d’Allah. Ils ont même pris le temps de se ceinturer de scotch pour faire croire qu’ils allaient se faire exploser, alors qu’il n’y avait que du scotch. Mais nous ne l’avons appris qu’ensuite…

Après avoir filmé l’horreur, l’un des tueurs se saisit de vous. Vous avez croisé son regard ?

Guy – Oui. Et je lui ai demandé s’il avait des enfants. J’ai ajouté : « Pense à tes parents, tu es sur une fausse route, tu vas les tuer de chagrin. » Il m’a poignardé, puis m’a traîné en bas des marches de l’autel. C’était tout rouge, mais je ne me rendais pas compte que c’était mon sang qui coulait. Je n’ai pas souffert sur le moment. Je me suis serré la gorge parce que ça jaillissait.

Janine Coponet, vous fêtiez ce jour-là les 87 ans de Guy, et vous voyez votre époux se faire égorger sous vos yeux… Que se passe-t-il en vous ?

Janine – J’étais sous le choc, terrifiée. Je me souviens avoir confié mon Guy à sainte Thérèse et au Père Marie-Eugène. On voit passer toute sa vie en quelques secondes. J’ai pensé : « Guy ne va pas voir le dernier de nos arrière-petits-enfants – nous avons cinq enfants –, âgé d’1 mois ; on ne pourra pas non plus fêter notre anniversaire de mariage… »(…)

Vous étiez vous-même dans un grand désert ?

Guy – C’est le moins qu’on puisse dire (rires) ! Dans mon for intérieur, j’ai récité ma prière chérie : « Mon Père je m’abandonne à Toi, fais de moi ce qu’il Te plaira… Je remets mon âme entre tes mains. » J’y étais, entre ses mains. Surtout après une messe !

Juste avant d’être égorgé, le Père Jacques crie à deux reprises : « Va-t’en Satan. » Il voit le mal en action ?

Sr Danielle – Sans doute. Cela ne veut pas dire que Kermiche était possédé, mais que Satan était à l’œuvre, de façon puissante. Le Père Jacques a voulu exorciser ce mal. Ce sont ses dernières paroles. Satan n’aime pas l’eucharistie…

Dans l’église, que se passe-t-il pendant ce temps ?

Sr Danielle – Les tueurs semblent se calmer un peu, après avoir tapé sur les bancs avec leurs faux revolvers – ils n’avaient, en fait, comme armes que des couteaux. Là s’est engagé un dialogue incroyable entre Kermiche et Hélène, l’une de mes sœurs religieuses. Ils venaient de l’asseoir de force à côté de Janine : « Avez-vous peur de mourir ?, lance Kermiche à Hélène. – Non, répond-elle. Il s’étonne : – Pourquoi pas peur ? – Parce que je crois en Dieu et je sais que je serai heureuse. »

Vous pensez que ces mots ont pu le toucher ?

Sr Danielle – Comment le savoir ? Il murmure : « Moi aussi je crois en Dieu et je n’ai pas peur de la mort. » Puis il clame : « Jésus est un homme, pas Dieu ! »

Janine – Cette conversation pseudo « théologique » était surréaliste, devant deux corps étendus, baignant dans leur sang…

Guy – Moi, je continuais à faire le mort. Ils sont sortis, ça a pétaradé. Il y a eu un immense silence. J’ai essayé de crier : « Y’a quelqu’un ? », mais aucun son ne sortait de ma gorge. J’ai essayé encore : «  Y’ a vraiment pas quelqu’un ? » Rien. Je me suis senti abandonné. À ce moment-là, j’entends : « Ouvrez la porte ! » Comme si je pouvais ouvrir la porte dans l’état où j’étais… [En fait la BRI s’apprête à donner l’assaut, ne sachant pas s’il y a d’autres terroristes à l’intérieur, Ndlr]. Tout d’un coup, plein de gens ont déboulé. Un médecin s’est penché sur moi alors que je récitais la dernière phrase de mon Ave «  …et à l’heure de notre mort. Amen ». Il a dit : « On s’occupe de vous, ne vous souciez de rien. »

Guy, vous parvenez à prier, alors que vous vous videz de votre sang ?

Guy – J’étais convaincu que j’allais mourir, mais je priais Je contemplais ma vie, et j’étais tranquille. Je n’ai jamais été aussi serein. Complètement en paix. Je n’avais aucun remords, seulement l’amour en moi. En fait, c’était un moment de grand bonheur.

Vous allez faire des envieux ! Vous avez un « mode d ’emploi » pour bien mourir ?

Guy – L’abandon. L’abandon total… À l’exemple de Frère Charles et de la Vierge Marie. Je l’ai priée comme jamais. Je savais que j’étais en de bonnes mains. Avec elle, j’étais prêt à dire : « Amen ».

Janine – Pendant ce temps, les deux djihadistes continuaient à discuter. L’un des deux demande à Sœur Hélène : « Connaissez-vous le Coran ? – Oui j’ai lu le Coran, répond-elle. Ce qui me frappe, ce sont les sourates qui parlent de la paix. » Kermiche réagit : « La paix ? Quand vous serez à la télé, vous direz aux autorités : tant qu’il y aura des bombardements en Syrie, il y aura des attentats en France. Tous les jours. » Je pense surtout que c’était un prétexte… Ils n’avaient dans la tête que de la propagande reçue par Internet.

Sr Danielle – Ce sont des jeunes qui n’ont aucun bagage culturel ni religieux. Dans une tête vide, on peut faire rentrer n’importe quoi…(…)

Peut-on pardonner ?

Guy – Je ne pourrai le faire pleinement que face à Dieu, avec sa grâce.

Janine – Pour l’instant, on prie surtout pour leurs familles. J’ai une pensée spéciale pour leurs mamans qui doivent se lamenter : « Mon fils est devenu fou ! » Elles ne vont pas se relever de sitôt. On se dit, avec Guy, qu’on aimerait les rencontrer pour essayer de comprendre et les apaiser.

Janine, lorsqu’ils vous poussent hors de l’église, vous ne savez pas si votre mari est encore en vie ?

Janine – Non. Nous, les otages, on nous met à l’abri dans l’épicerie du coin, réquisitionnée comme centre de première aide. C’est là que j’apprends, une heure plus tard, que mon mari est vivant, bien soigné, et qu’il devrait s’en sortir grâce aux transfusions permises par des donneurs de sang. Je me dis : « Chic, on va quand même pouvoir fêter nos 65 ans de mariage. »

Vous êtes des « miraculés ». Mais pas le Père Jacques  : il y a laissé sa vie. Comment expliquez -vous cette « injustice » ?

Sr Danielle – Ce n’est pas une histoire de justice. Disons que ce n’est pas le même miracle. Jacques était prêtre depuis cinquante-huit ans. Il venait de célébrer le sacrifice du Christ quand il a été immolé comme l’Agneau qu’il avait servi et célébré toute sa vie. Il est mort sur le coup. C’est le premier prêtre tué de la main d’un djihadiste sur le sol européen, en ce XXIe siècle. C’est un nouveau martyr.

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