“Si je devais pleurer, ce serait surtout sur ce que cette catastrophe fait remonter de nature humaine à la surface: des odeurs pestilentielles…”

Je signais quelques livres à l’issue d’une conférence au théâtre des Mathurins à Paris quand on m’a appris l’incendie de Notre-Dame. J’ai d’abord cru ne pas comprendre l’information et pensé qu’on me parlait d’un incendie métaphorique ou allégorique. On m’a bien vite montré des images du brasier en direct, ce qui m’a stupéfait. J’ai continué à signer mes livres. Un taxi m’attendait pour une autre conférence à la Maison d’Amérique latine où je me suis rendu. Dîner dans la foulée avec mon éditeur.

C’est en rentrant à mon hôtel que j’ai pris connaissance de mes messages: un journaliste chilien me demandait une réaction, puis Le Figaro, puis Le Point, puis Valeurs actuelles… J’ai pianoté sur mon iPhone ce petit message après une heure du matin: “L’athée que je suis est d’abord malheureux qu’un chef d’œuvre du patrimoine occidental judéo-chrétien ait à souffrir ces dommages. J’ose espérer que c’est un accident et non un acte volontaire, ce qui ne serait pas impossible à envisager ces temps-ci alors que nous vivons une recrudescence d’actes de vandalisme contre les édifices chrétiens. J’espère qu’une enquête digne de ce nom établira bientôt les responsabilités. Ensuite, l’athée que je suis espère que votre question ne m’est pas posée parce que je suis athée et qu’on pourrait supposer que, de ce fait, je puisse un seule seconde me réjouir de ce malheur… Le vandalisme, d’où qu’il vienne, est indéfendable. De même, la disparition d’un édifice destiné à l’ordre spirituel n’est jamais une bonne nouvelle. Y compris quand il s’agit d’une école… Enfin je conçois mon athéisme comme un débat intellectuel respectueux et non comme un combat anticlérical et, au sens premier du terme, iconoclaste. Bien à vous.” J’ai immédiatement envoyé cet article aux autres journaux qui m’avaient sollicité.

Le lendemain matin, un message d’une amie haïtienne vivant à Port-au-Prince me renvoyait un lien où il était dit que “je pleurais Notre-Dame”! Les journalistes ont un talent fou pour violer la vérité en lui faisant de pitoyables enfants: pleurer n’est pas le genre de la maison, déplorer suffisait.

Car,

D’abord, le bal des faux-culs. Alors que la cathédrale était en feu et qu’aucune enquête n’avait pu être diligentée, et pour cause, le bâtiment flambait encore, un communiqué émanant de la “justice” et goulûment relayé par les “médias” fit savoir que la piste accidentelle était privilégiée, autrement dit: n’allez pas croire qu’un geste christianophobe aurait pu en être à l’origine car, bien entendu, comme avec l’insécurité, la christianophobie est un sentiment que ne recouvrirait aucune réalité! Cette annonce politique précipitée en dépit de toute enquête avait pour fonction de prendre de court quiconque ne se serait pas contenté de la moraline. La moraline, on en connaît les effets: pleurer l’incendie, dire “je suis Notre-Dame”, déposer des peluches et des poèmes, allumer des bougies, veiller en larmes, diffuser le message “Pray for Notre-Dame”, in English bien sûr, sur son compte Facebook avec un photo de soi en fond d’écran… Or, loin de ces jérémiades postmodernes, on peut préférer penser en terme de généalogie: d’où vient ce feu qui a consumé une forêt de poutres presque millénaires?

D’autant que, si le patron du chantier pose la légitime question généalogique, on dira qu’il a intérêt à disculper préventivement son entreprise, ses ouvriers, ainsi qu’à préserver sa réputation d’homme et de patron. Les journalistes ont plaisir à raconter qu’il a déjà connu un départ de feu sur un autre chantier de restauration car pareille information jette le doute sur une victime émissaire idéale: Monsieur Julien Le Bras, directeur d’une entreprise familiale. On refuse de poser la question de la généalogie de ce feu, mais on veut bien l’envisager s’il s’agit de suspecter cette personne.

Je rappelle qu’on peut légitimement poser et se poser la question de l’origine de ce feu dans la cathédrale si l’on veut bien se souvenir que la liste des actes christianophobes ne cesse de s’allonger, et ce dans une relative indifférence médiatique, hormis bien sûr la presse catholique ou sympathisante. 250 actes de janvier à octobre 2018 dont 19 pour ce seul dernier mois. Plus de 1000 pour cette seule année… Il est bien évident que les adeptes de la moraline disposent d’une cartouche fabriquée en série pour viser toute tête qui pense en généalogiste, elle a pour nom: complotisme…

Portons à la connaissance du plus grand nombre l’information donnée par Julien Le Bras, le patron de l’entreprise engagée sur le chantier de la cathédrale: il n’y avait ni travail de soudure, ni poste de chaleur ce jour-là dans le lieu dont on a dit qu’il semblait être celui du départ de feu, à la base de la flèche. Ajoutons à cela le témoignage de Benjamin Mouton, ancien architecte en chef de Notre-Dame de Paris pendant treize ans, qui a dit ceci: “Du vieux chêne, il faut beaucoup de petit bois pour le faire brûler.” (LCI, mercredi 17 avril). Il a ajouté que les systèmes de détection et de protection ainsi que le dispositifs de sécurité sont extrêmement au point, de sorte qu’il ne pouvait que se dire stupéfait qu’une pareille catastrophe ait pu advenir.

Propos de complotistes, probablement, pour ceux qui estiment qu’on a le droit de poser la question généalogique du feu s’il s’agit de l’entreprise Le Bras, mais en aucun cas s’il doit s’agir de gens dont l’idéologie s’avère intrinsèquement hostile au christianisme –or il n’en manque pas.

Traiter de complotiste quiconque pose la question de l’origine de ce feu procède d’une variation sur le thème de la christianophobie car pareils désastres dans la Grande Mosquée de Paris ou dans la Grande Synagogue de Paris n’auraient pas généré un tel refus d’en chercher les causes, et avec raison.

Ensuite, le bal des cyniques. Il commence avec l’annonce faite par François Pinault d’un don de 100 millions d’euros pour reconstruire la cathédrale. Plus cynique que lui, Bernard Arnault surenchérit et annonce un chiffre, il le multiplie par deux et lâche quant à lui 200 millions. Mais pourquoi pas 300, ou 400, ou 500, et pourquoi pas, même, prendre en charge la totalité du coût? Sa fortune le permettrait. Ces 200 millions sont picaillons pour sa bourse mais ahurissements pour un gilet-jaune.

Rien n’interdit la charité, mais l’annonce publique du don l’abolit: faire le bien, c’est bien, mais dire qu’on fait le bien est un mal. On ne saurait pratiquer la charité de façon ostensible sans qu’elle devienne immédiatement ostentatoire. Le vrai don est inconnu, discret et silencieux, invisible.

Pareil cynisme s’affichait sans compter sur la sagacité des Français, qui ont bien compris que ces “dons” seraient défiscalisés et que cette façon de donner était une fois encore chez ces gens-là une façon cynique de gagner encore et toujours plus, non sans, au passage, passer pour de grandes et belles âmes.

Pris la main dans ce sac, les protagonistes ont dès lors fait avoir qu’ils renonçaient aux avantages de la défiscalisation. Que ne l’avaient-il fait au préalable en informant seulement qui de droit et en organisant le secret –ce qu’ils savent si bien faire quand il s’agit de dissimuler les agissements planétaires de leurs entreprises.

Sur le terrain moral, dire ce don était péché d’orgueil, mais surenchérir sur ce don, arrogance et suffisance, insolence et impertinence. Au dynamomètre du cynisme, Bernard Arnault remporte la partie… Mais revenir en annonçant un renoncement aux avantages auxquels on avait consenti puisqu’on n’avait pas pris soin d’y renoncer en amont, c’était bêtise massive. Bernard Arnault avait bien la plus grosse, fortune, mais aussi la plus petite cervelle. Il dira ensuite qu’il trouve consternant de se faire attaquer sur ce sujet, ce qui prouve qu’il est encore plus bête qu’on ne pouvait l’imaginer.

Vint alors le bal des iconoclastes. J’ai reçu des messages de ceux qui ont cru que l’athée que je suis serait probablement heureux de cet incendie! C’est mal me connaître. C’est surtout ne pas me lire. Je renvoie à La Stricte Observance (Gallimard) qui montre combien mon athéisme préfère interroger le mécanisme de la grâce plutôt qu’inviter à brûler ce qui s’avère sacré pour tel ou tel. Je ne crois pas utile d’inviter à ravager le Suaire de Turin avec un fer à repasser mais plutôt à déconstruire les paralogismes de ceux quoi croient à son caractère saint –on pourrait agir de même avec la couronne d’épines qui se trouvait à Notre-Dame et dont je suis heureux, pour ceux qui croient à sa sainteté, qu’elle ait été épargnée, même si je pense qu’avec toutes les couronnes d’épines et les épines répertoriées dans les lieux saints de la planète, il y aurait de quoi reconstituer un genre de maquis corse sur plusieurs hectares. Je ne crois pas non plus à la vérité des dix prépuces de Jésus, ou à ses dents de laits, sauf à souscrire au mystère de leur multiplication.

Le débat, l’échange, la critique, la confrontation, la discussion, la dispute, la controverse, oui, avec un peu d’humour ou d’ironie voltairienne même, pourquoi pas; l’incendie, non, la destruction des lieux de culte, non, la guillotine de 1793 pour les curés et les moniales, non, la construction d’une piscine sur les lieux d’une basilique rasée, comme ce fut le cas avec les bolcheviques de 1917, non, les viols de religieuses pendant la guerre d’Espagne en 1936, non.

La déconstruction intellectuelle d’une religion n’a rien à voir avec sa persécution. J’ai en effet publié le Traité d’athéologie en 2005, et je n’en retire aucune thèse, puisque je les ai toutes reprises et développées dans Décadence en 2017. Mais je n’ai pas jeté à la poubelle le crucifix devant lequel priait mon oncle chaque soir et l’ai offert à un ami croyant et pieux après en avoir hérité. Ce qui était morceau de bois pour moi, mais qui avait été sacré pour le frère de mon père, il suffisait qu’il fut sacré aux yeux de mon parent pour que je n’en fasse pas du petit bois -avec lequel on obtient des départs de feu dans les charpentes…

J’ai également reçu les réjouissances de véganes pour lesquels le brasier de Notre-Dame était expiatoire de toutes les victimes du christianisme -esclaves et femmes, sorcières et juifs, ouvriers et homosexuels, et … animaux bien sûr! Mais se réjouir d’un incendie d’église parce que c’est une église, c’est confirmer l’Eglise dans son pouvoir ancien, dans sa puissance passée, dans son influence perdue. Or, cette institution a cessé d’être intolérante depuis qu’elle n’en a plus les moyens: le jésuite François fait de nécessité vertu avec son prêchi-prêcha télévisé planétaire. Au temps de l’Inquisition, il aurait prêchi-prêché l’épée et le bûcher, ce qui aurait alors pu justifier l’incendie.

J’ai également reçu les messages des curés de l’anticléricalisme, des dévots de l’athéisme, des bigots de la libre-pensée sans qu’il leur soit venu à l’esprit que ce qui me gêne, c’est le jugement prêtre, la tournure d’esprit dévote, la cervelle bigote, peu importent les causes servies, l’athéisme pouvant en faire partie. Je préfère un croyant tolérant à un athée intolérant, un curé accessible à la raison à un militant borné de la Libre-Pensée, un moine de dialogue à un mécréant qui insulte et méprise. Mais le croyant intolérant, le curé militant borné de sa cause, le moine qui insulte et méprise ne sont pas mes amis, quelles que soient leurs religions.

Dans cet ordre d’idées, les dévots de l’islamo-gauchisme n’ont évidemment pas été en reste. L’étudiante Hafsa Askar, vice-présidente de l’UNEF Lille, membre du bureau national, a tweeté ceci: “Je m’en fiche de Notre-Dame de Paris car je m’en fiche de l’histoire de France.” Dans la foulée, elle ajoute: “Wallah vous aimez trop l’identité française alors qu’on s’en balek (sic) objectivement, c’est votre délire de petits blancs.” Dans la maison UNEF, elle n’a pas été la seule à s’en battre les couilles, pour utiliser son langage, puisque dans la demi-heure ayant suivi, ce fut au tour d’Edouard Le Bert, membre du bureau national de l’UNEF, d’y aller de son bidon d’essence: “Ça y est, drame national, une charpente de cathédrale brûle.” Rappelons que l’UNEF n’a pas empêché la promotion de la dame aux couilles bien qu’elle eut tweeté entre 2014 et 2015 : “On devrait gazer tous les blancs, cette sous-race.” On ne sache pas qu’elle ait été conduite au tribunal et condamnée pour pareils propos.

Autre iconoclaste, l’un des dirigeants du mouvement fondamentaliste juif Baruch Marzel qui, en Israël, s’est réjoui de la catastrophe. Il a expliqué que “c’était une punition divine car le Talmud a été brûlé devant cette cathédrale en 1200”. On souffre d’une pareille indigence intellectuelle, mentale et spirituelle! Mais ce genre de pensée magique fait également la loi chez les tenants des deux autres religions du Livre.

Voici donc venu le tour du bal des illuminés pour lesquels l’incendie est un signe. On ne fait pas plus pensée magique en estimant que le Dieu de l’Ancien Testament ou du Coran pourrait se venger d’offenses accumulées depuis des siècles – probablement depuis le Golgotha pour le talmudiste et depuis l’Hégire pour le musulman.

Dans un article de Causeur intitulé “Ces citoyens français qui ne sont pas Notre-Dame”, Kevin Bossuet cite un certain nombre de tweets de musulmans du genre: “Cet incendie, on s’en fiche, Monsieur. La cathédrale, c’est un truc de chrétiens, moi je suis musulman, je m’en fiche. La France pleure, eh bien moi, je pleure pas, même si j’ai les papiers, ce n’est pas mon pays, la France.” Il existe en effet une partie de la communauté musulmane française que cet incendie ne concerne pas, voire qui peut même s’en réjouir. Elle doit plus ou moins coïncider avec les 29% de musulmans français qui, selon un rapport de l’Institut Montaigne, estiment que “la Charia est plus importante que les lois de la République” …

Mais il existe des illuminés dans les trois monothéismes. Sur BFMTV, j’ai par exemple entendu l’archevêque de Paris poser la question du pourquoi de cette épreuve et répondre qu’il aurait probablement la réponse quand il arriverait au ciel! Preuve qu’on a tort de me reprocher de m’opposer à un christianisme qui n’existerait plus: Michel Aupetit a fait des études de médecine, il a exercé comme généraliste pendant une dizaine d’années, il est également docteur en théologie et diplômé de différents instituts catholiques, il a été ordonné prêtre à 44 ans, protégé par Monseigneur Lustiger, il est aujourd’hui archevêque. Nonobstant ces longues études post-bac,  il pense qu’après sa mort, Dieu le prendra à part, un jour, dans un coin du ciel, pour lui expliquer pourquoi il a fait faire ou laissé faire l’incendie de Notre-Dame de Paris!

Un degré théologique en dessous, mais avec la même sagacité intellectuelle augmentée d’une inestimable profondeur de champ philosophique, l’ineffable Fabrice Luchini use lui aussi des trompinettes de la pensée magique en confiant au Figaro: “On pourrait presque penser à un signe.” (14 avril). Cette pensée magique est développée par Radio-Courtoisie, la radio qui ne déteste ni Vichy ni Pétain, ni Maurras ni Jean-Marie Le Pen, qui a la nostalgie de l’Algérie française et croit que le Suaire de Turin discrédite toute datation au carbone 14. Sur ces ondes, on estime que la flèche ayant été allégée de ses saints pour la restauration, l’événement fait encore plus sens: une flèche qui n’est plus protégée par ses saints et qui, de ce fait, s’effondre dans l’incendie de la cathédrale, c’est bien la preuve que Dieu a des choses à nous dire!  Dans notre époque bénie par le diable, l’usage de la raison raisonnable et raisonnante semble très déficitaire -pour le plus grand bonheur de Dieu et des religions. A Radio-Courtoisie, on invite à la prière -une oraison garantie sans déduction fiscale.

L’entrée en lice d’Emmanuel Macron marque l’heure du bal des Narcisse. Bien sûr, pour ce genre d’individu dont l’épaisseur est faite tout de vent médiatique, on interroge la cellule communication avant de mettre en place un plan d’attaque média. “Qu’est-ce qui est bon pour mon image?”, a dû demander l’homme au doigt d’honneur antillais à la femme qui a annoncé “la meuf est morte” le jour de la mort de Simone Veil. Réponse: “reporter la prise de parole jupitérienne prévue le soir même de la catastrophe: il faut que les Français comprennent qu’il y a dans la vie des choses plus importantes que le Grand Débat, les revendications des gilets-jaunes, l’annonce d’un nouveau cap politique à mi-mandat car, voyez-vous, une injection de moraline produit toujours d’inestimables effets de remontée dans les sondages.”

Le voilà donc en majesté à son bureau de l’Elysée, précédé par ses trois volumes de Pléiade toujours pas ouverts ni lus, posés bien en évidence au premier plan, avec drapeaux européens puis français derrière lui. Le voilà qui s’essaie à singer le général de Gaulle tout en lâchant des perles intellectuelles du genre: “L’incendie de Notre-Dame nous rappelle que l’Histoire ne s’arrête jamais”! On ne sait quelle plume a généré pareille platitude digne d’une mauvaise copie de philo un jour de bac blanc, mais voilà bien la hauteur à laquelle cette pensée complexe parvient à se hisser. On est loin des cimes de feu la flèche! S’il faut en appeler aux trois volumes exhibés, laissons Gide de côté, çà n’est pas encore le moment, Macron est plus performant en jeune Julien Sorel qui drague la femme mariée de son employeur qu’en général de Gaulle.

Dans cette allocution, Macron fait une double annonce. L’une et l’autre s’avèrent sidérantes: la première, il décide de son propre chef que la reconstruction aura lieu d’ici cinq ans. Si l’on calcule bien, l’homme qui veut faire croire qu’il a le sens de l’Histoire montre qu’il n’a que le sens de la pub: la date escomptée est celle des Jeux olympiques qui se dérouleront à Paris. Voudrait-il que la nef de Notre-Dame relookée accueille un concours de natation synchronisée?

Voici la seconde bêtise: “Nous reconstruirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore!” Quelle infinie prétention de s’installer d’autorité dans le lignage de tous ceux qui, en presque mille ans, ont fait de cette cathédrale le joyau architectural qu’elle est devenue?  Plus belle par rapport à quoi? Mieux que quoi? Améliorée où et comment? Par qui?

C’est ici que le bal de Narcisse passe la main au bal des esthètes. La flèche qui date de Viollet-le-Duc s’est effondrée. C’est en effet cette chute qui a permis toutes les métaphores de la punition divine, de la vengeance céleste, du châtiment des péchés des hommes coupables d’avoir tourné le dos à la religion chrétienne.

Pour avoir eu affaire au service architectural des Bâtiments historiques, j’ai souvenir que restaurer modestement une maison dans un périmètre historique -une église et la tour d’un donjon du XII° siècle- s’avère un véritable chemin de croix! Après les combats de la fermeture de la poche de Falaise en 1944, mon village natal a été défiguré par la désertification rurale qui transforme en ruines les anciens commerces. Pendant ce temps, ceux qui sont restés ont fait une orgie de plastique cuit par les intempéries, d’aluminium anodisé, de fausses pierres, de façades refaites avec d’affreux crépis et repeintes dans d’horribles couleurs. Mais moi qui veux respecter les règles de l’art en évitant le plastique et l’aluminium, le crépi rose ou orange, on me contraint jusqu’à une couleur d’huisserie dont je ne sais ce qui la motive: j’imagine qu’au XII° siècle, il n’y avait pas une référence de couleurs d’huisserie justifiant que je doive utiliser aujourd’hui le beige ocré clair type 215 ou 013 de Weber & Broutin. Pendant ce temps, le poilu du monument aux morts a été repeint sur ordre de la mairesse dans un bleu dont j’imagine qu’il n’est pas très raccord avec les oukases des Bâtiments historiques.

Mais le fait du prince étant ce qu’il est, la flèche de Viollet-le-Duc semble passée définitivement ad patres. Le patrimoine à restaurer est ici purement et simplement mis aux ordures et remplacé par une autre oeuvre d’art, contemporaine celle-ci… Je croyais qu’une restauration s’effectuait à l’identique, mais je découvre que restaurer à l’identique c’est, pour notre président Narcisse, restaurer à l’inverse. Ce sont les charmes de la dialectique du en même temps.

Où l’on comprend dès lors que, plus beau, ce sera plus contemporain, plus progressiste, plus moderne, donc plus provocateur soutenu et décoré par le pouvoir. Si l’on en juge par le petit panel d’artistes subventionnés par l’Etat et encensé par la presse dans le vent maastrichtien, on remplacera la flèche par une œuvre à même de fédérer les progressistes que sont les dévots du politiquement correct: pourquoi pas des versions plus belles du plug anal de Paul McCarthy? Des versions plus belles du vagin de la reine d’Anish Kapoor?  Des versions plus belles du doigt d’honneur de Maurizio Cattelan? Des versions plus belles du christ sur une chaise électrique de Paul Fryer? Des versions plus belles d’un bouquet de tulipes de Jeff Koons? Des versions plus belles d’un immense lustre composé de Tampax de Johanna Vasconcelos? A moins qu’on sorte de leur naphtaline Buren qui produirait pour l’occasion un tube à rayures, pardon, à bandes, comme jadis on signalait les échoppes de barbiers, Boltanski qui accumulerait des vêtements sur une hauteur supérieure à la flèche, Christo qui emballerait une pointe en plexiglas…

On sent bien qu’avec cette affaire juteuse Pinault & Arnault, qui se sont déjà fait remarquer dans la surenchère charitable, multiplieraient leur mise puisque l’artiste ne manquerait pas de faire partie de leurs collections, un choix qui aurait pour effet de générer un envol de la cote des œuvres qui leurs appartiennent!  Les affaires sont les affaires comme disait jadis Octave Mirbeau!

Reste enfin le bal des nazes… Je songe à tous ceux qui se sont précipités le lendemain matin du drame pour dévaliser les librairies et acheter le roman éponyme de Victor Hugo!  J’étais chez mon ami Denis Mollat à Bordeaux. Il pilote les destinées de cette maison qui est devenue la librairie française de référence. TF1 a dépêché sur place une équipe afin de trousser un sujet sur cet engouement soudain des gens pour ce chef d’œuvre de la littérature. On ne sache pas que la souffrance des gilets-jaunes ait généré un pareil mouvement dans les librairies afin d’acheter Les Misérables! Qu’ont-ils dans la tête ceux-là qui, dans l’urgence, acquièrent ce gros livre de Victor Hugo qu’ils ne liront probablement jamais? J’ai du mal à comprendre cette furie moutonnière… Ou plutôt si, je ne la comprends que trop bien. Notre civilisation accouche de ce que Nietzsche nommait “le dernier homme”, l’homme à tête et à cervelle de mouton. Hier ils bêlaient pour la Coupe du monde de football, aujourd’hui ils bêlent pour Notre-Dame de Paris sous forme de roman et de tee-shirts, de porte-clés et de cartes postales, de numéros spéciaux de journaux et de revues. En octobre ils bêleront pour les soixante ans d’Astérix.

Contorsions des faux-culs, manigances des cyniques, méchanceté des iconoclastes, divagations des illuminés, suffisance de Narcisse Ier, lucre des esthètes, panurgisme des nazes, cet incendie fut un festival de ce que la nature humaine a de moins beau à nous montrer… Je ne crois pas que Dieu soit pour beaucoup dans cette catastrophe. En revanche, ce que les hommes en ont fait montre que le fameux Etre Suprême  ne sert pas à grand-chose quand il s’agit de les rendre moins vils.

Michel Onfray

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