La fraude documentaire, occultée malgré son énorme coût potentiel (14 milliards €)

Depuis plusieurs années le juge Charles Prats, un des spécialistes français de la criminalité financière, est apparu comme un lanceur d’alerte particulièrement documenté et tenace concernant les fraudes et plus particulièrement la fraude sociale. Il a dénoncé la fraude documentaire comme constituant la source d’une grande partie de la fraude sociale. Il a mis en exergue son ampleur qu’il a évaluée à environ 14 Md€.
Il a été relayé au Parlement par la sénatrice centriste Nathalie Goulet qui a fait le siège des ministres des affaires sociales successifs sans succès, l’attitude de la classe politique à l’égard de cette question allant de l’indifférence à une forme de complicité.
Depuis un an, le débat a été porté sur la place publique par les médias et s’est avéré d’autant plus polémique qu’il était concomitant avec la crise des « gilets jaunes ».
Une enquête menée par la commission des affaires sociales du Sénat a conduit son rapporteur à contester sèchement les chiffres communiqués par le magistrat.
C’est l’objet du premier texte présenté ci-dessous aux lecteurs de Polémia qui montre la gravité et l’importance du sujet.
Les conclusions de la commission sont elles-mêmes contestées par le juge Prats et par N.Goulet, à qui le premier ministre a confié récemment une mission d’enquête sur la fraude sociale et ses conséquences sur nos finances publiques, dont le rapport doit être remis en septembre prochain. Ce sera le thème du deuxième article qui sera présenté sur le site de Polémia à ce moment-là.

Un enjeu financier d’environ 14 Md€ ?

Le juge Prats dans de nombreuses interviews et au cours d’un passage récent sur TV Libertés ainsi que la sénatrice centriste Nathalie Goulet, insistent depuis longtemps sur cette question particulièrement grave de l’immatriculation sociale frauduleuse qui figurerait parmi les premières causes de la fraude sociale.

En 2011, un inventaire a permis de faire apparaître qu’il y avait en France 17,6 millions de personnes possédant un Numéro d’Identification du Répertoire (NIR) nées à l’étranger. (20,8 millions en 2018).

Deux observations :

sur ces 20,8M il n’y a pas que des étrangers. Beaucoup de Français sont nés hors de France ;
entre 2011 et 2018 la progression de ces effectifs est de 3,1 millions soit 440 000/an ce qui pourrait être rapproché des estimations de Polémia visant les entrées d’étrangers sur notre sol.
A la suite d’une étude sur un échantillon représentatif, policiers et statisticiens ont abouti en 2011 à un taux de fraude de 10,4 % soit 1,8 millions de personnes qui posséderaient aujourd’hui un NIR qui leur a été attribué sur la base de faux documents.

Quel pourrait être le coût ? Sur la base de dépenses de sécurité sociale à hauteur de 483 Md€ et d’un nombre de cartes Vitale de 53 millions, l’enjeu considérable du coût potentiel de la fraude pourrait être de plus de 14 Md€ comme annoncé par C. Prats, si tous les titulaires de ces faux documents étaient actifs ou fraudaient, ce qui n’est pas certain.

Il serait inexact d’affirmer que rien n’a été fait contre la fraude sociale

L’administration et les opposants aux points de vue et aux questions exprimés par C. Prats et Nathalie Goulet, contestent ceux-ci, entre autres, de la manière suivante :

ce que l’on appelle la fraude sociale recouvre différentes situations. Il y aurait beaucoup d’erreurs involontaires et des abus véniels ;
un NIR ne donne pas automatiquement droit à des prestations
un plan national de lutte contre la fraude aux finances publiques a été lancé en 2014 ;
un guide d’identification a été mis en place ;
des efforts réels sont faits en matière de contrôles et de récupération de sommes détournées. L’usage, ahurissant, de photocopies pour établir les NIR a pris fin. Les données fiscales et sociales sont enfin recoupées. Le nombre de contrôles est considérable ce qui a entraîné des redressements significatifs.
Selon la DNLF, les fraudes aux prestations détectées et non pas évaluées atteignent 700,83 M€ en 2017 (et 589 M€ pour les cotisations).

Ces chiffres qui se comptent en millions d’euros sont sans commune mesure avec ceux qu’annonce le juge Prats qui se compte en Md€.

Les réticences à répondre aux interrogations des lanceurs d’alerte

Tout d’abord il y a une part d’idéologie :

la fraude sociale serait la fraude des pauvres, ce qui est inexact ;
ce serait une injustice de pourchasser la fraude sociale alors que la fraude fiscale que dénonce C.Prats tout autant, serait beaucoup plus importante ; en réalité l’un n’exclut pas l’autre ;
surtout, les immigrationnistes, c’est-à-dire la quasi-totalité de la classe politique, savent bien que l’invasion migratoire se nourrit largement de ce type de fraude et s’efforcent de poser un couvercle sur le phénomène.
Il n’en demeure pas moins que l’incohérence béante qui existe entre les chiffres des deux parties en présence suscite des interrogations dont l’enjeu financier est considérable.

Or ces réponses ne sont pas à ce jour satisfaisantes et il apparaît clairement que le juge Prats et la sénatrice Nathalie Goulet se heurtent depuis des années à de fortes réticences perceptibles aux questions orales du Sénat :

mise au rancart laxiste d’une Loi Fillon qui avait pour objectif de suspendre les aides sociales à ceux qui obtiennent une attribution frauduleuse d’un numéro de SS ;
N.Goulet s’est heurtée à une fin de non-recevoir des gouvernements et majorités successives depuis plusieurs années. Elle a proposé un amendement pour que l’exécutif remette un rapport d’information sur l’étendue de la fraude aux numéros de SS au Parlement, accepté par le Sénat et refusé par l’Assemblée nationale ;
ses demandes aux questions orales d’une estimation par l’administration du nombre de titres actifs a fait l’objet de réponses dilatoires ;
fin 2016, l’exécutif a reconnu que seuls 500 dossiers avaient été traités depuis 2012 sur 1,8 millions. C.Prats a critiqué le fait que les travaux de l’administration ne visent que les flux avec récemment des résultats positifs mais pas le stock.
-là-dessus le Figaro a annoncé à la fin de 2018 que 500 000 faux comptes avaient été identifiés et neutralisés. Le Figaro attend des pièces justificatives mais surtout il est étonnant depuis le temps qu’on en parle que l’on ne l’ait pas su plus tôt.

Ce sont les raisons pour lesquelles le juge Prats a parlé d’une omerta et au moins d’une gêne visible de l’administration et a affirmé que cette affaire pouvait être considérée comme un scandale d’Etat.

La polémique actuelle

La commission des affaires sociale du Sénat a confié récemment à son rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe (MoDem) le soin d’approfondir l’estimation du magistrat, mission à laquelle n’a pas été associée N.Goulet. Dans son rapport remis le mercredi 4 juin, il arrive à une estimation du risque comprise entre 200 à 800 millions de prestations frauduleuses, c’est à dire très en dessous de l’estimation du juge Prats. Le sénateur annonce qu’il sera en mesure de donner un chiffre affiné à la fin du mois de juillet.

Il convient de noter que Jean-Marie Vanlerenberghe apparaît sur des vidéos où on peut le voir en train d’échanger avec des responsables administratifs de l’immatriculation. On y peut constater le climat d’empathie et de compréhension mutuelle qui a régné au cours de ces entretiens.

En réalité, la controverse fait toujours rage.

Nathalie Goulet et C.Prats considèrent que le rapport du Sénat ne fait « que minimiser momentanément » l’ampleur de la fraude aux prestations sociales des personnes nées à l’étranger. En effet, à leurs yeux, ce rapport fait apparaître, par différence entre le stock d’immatriculations actives et les chiffres INSEE de personnes vivant en France et nées à l’étranger ou retraitées vivant à l’étranger, 2,35 millions de NIR actifs excédentaires en trop dans le système, au lieu de 1,8 millions, sans explication du rapporteur.

Si ce chiffre était confirmé l’enjeu de la fraude aux prestations sociales pourrait être plus élevé qu’avant le rapport sénatorial.

C’est ce que doit déterminer la mission d’enquête sur la fraude sociale et son impact sur les finances publiques confiée à Nathalie Goulet par le premier Ministre qui devrait remettre ses conclusions en septembre prochain..

En conclusion

En définitive, on peut retenir de ce dossier en cours quelques conclusions importantes.

L’enjeu financier de la fraude sociale et plus particulièrement de la fraude documentaire peut être très élevé.

L’indifférence de la classe politique et de l’administration à l’égard de cet enjeu chiffré a été abyssale jusqu’à une date récente. On a tout fait pour tenir les Français dans l’ignorance.

Le rapport du Sénat confirme les faiblesses historiques de gestion et de sécurisation de ce dossier des NIR dénoncées par les lanceurs d’alerte, malgré les efforts fournis.

Le sénateur Vanlerenberghe arbore devant ses pairs de la commission la morgue habituelle de sa caste à l’égard du juge Prats et des chiffres que celui-ci avance. Qu’il n’oublie pas que c’est grâce à l’insistance de Prats et à la ténacité de la sénatrice Goulet que le problème crucial de la fraude sociale a enfin été exposé sur la place publique et dans les médias et que des enquêtes parlementaires ont été déclenchées.

André Posokhow – Polémia

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