«Vers un enseignement supérieur à l’américaine»…

Professeur de droit à l’université du Havre et conseiller enseignement supérieur de Marine Le Pen, Gilles Lebreton revient sur les maux qui touchent l’enseignement supérieur français.

 

— Pourquoi l’enseignement supérieur est-il si mal en point dans notre pays ?

— Ces dernières années, Nicolas Sarkozy aussi bien que François Hollande ont promulgué des textes qui ont mis en danger l’enseignement supérieur. Cela a commencé avec la loi Pécresse du 10 août 2007, que l’on a célébrée comme étant celle qui allait enfin rendre les universités autonomes. Elle marque en réalité le début des grosses difficultés économiques des universités. Le texte stipule que les fonctionnaires travaillant au sein des universités doivent désormais être payés par l’université et non plus par l’Etat. Cela aurait pu fonctionner si l’Etat avait transféré les fonds nécessaires à la prise en charge de cette masse salariale. Ce qui n’a malheureusement pas été le cas, puisqu’il en a profité pour faire des économies. De fait, aujourd’hui, une université sur deux connaît de grosses difficultés financières. Les plus riches ont puisé dans leurs réserves. Les autres, pour s’en sortir, ont trouvé deux solutions.

La première est le non-remplacement des fonctionnaires partant en retraite ou mutés. Il ne s’agit officiellement pas de suppressions de postes : on parle plutôt de « gel », mais le résultat est le même. A l’université du Havre, pour prendre l’exemple que je connais le mieux, sont employés 660 fonctionnaires. Chaque année, une dizaine de postes vacants ne sont pas remplacés. Cela dure depuis quatre ans maintenant. La deuxième solution est la diminution du volume horaire de cours. Au Havre, en 2013, l’université a décidé de diminuer le volume horaire de 10 %. Dans certaines universités, cela a été jusqu’à 20 %. Le niveau et la qualité de l’enseignement ne peuvent que pâtir de telles mesures mais nous n’avons pas le choix.

— Quelles sont les universités les plus mal en point ?

— Versailles-Saint-Quentin est dans une situation très difficile : en 2013 il leur manquait 5 millions d’euros pour finir l’année. L’Etat leur a avancé l’argent, mais la situation reste très difficile puisque l’université se trouve désormais endettée. Le sort de Montpellier 3 n’est pas plus enviable : la situation est telle, là-bas, que la direction menace de fermer le site universitaire de Béziers. Ce n’est pour l’instant qu’une menace, destinée à ouvrir les yeux du gouvernement, mais s’il ne se passe rien, la mesure pourrait prendre effet dès la rentrée 2014.

— Vous dites craindre une régionalisation des universités : de quoi s’agit-il ?

— C’est un état de fait qui découlerait de l’application de la Loi Fioraso. Celle-ci organise la création de communautés des universités, sorte de regroupement obligatoire. L’idée est de passer de 80 universités à 20 communautés, en gros une par région. Ces communautés seront pilotées par de grosses universités. Le but ultime est que l’Etat n’ait plus à négocier les financements qu’avec ces communautés. Financement qui serait ensuite redistribué entre les membres. La loi prévoit aussi que les régions soient autorisées à intervenir dans ces négociations. On peut donc craindre que les régions en attendent des contreparties.

— Ce n’est pas la seule initiative de Mme Fioraso que vous craignez ?

— Malheureusement non. Elle a pris un arrêté le 22 janvier dernier, publié au Journal Officiel le 1er février, concernant la réforme de la licence. Elle se déroulera toujours en trois ans mais la spécialisation sera progressive. Les deux premières années demeureront très généralistes, la spécialisation n’intervenant qu’en troisième année. C’est aberrant ! Le niveau va chuter pour la bonne et simple raison que l’on veut dispenser sur les deux premières années de fac ce que le lycée n’a pas été capable d’apporter.

— Oui, mais le but est d’empêcher un taux très élevé d’échec en première année. Vous ne niez pas que ce taux d’échec en première année est un vrai problème.

— C’est un problème, oui, et il est vrai que les chiffres sont effrayants lorsque l’on regarde le taux de défection en première année. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’enseignement n’est pas adapté. C’est juste que le public n’est pas intéressé ! Il faut être clair, il y a quand même énormément de jeunes qui s’inscrivent par défaut, pour avoir les bourses ou parce qu’ils ne savent pas quoi faire. Il faut des contrôles plus tatillons, pour décourager en amont ceux qui ne sont pas vraiment intéressés par ces études. Changer la licence n’arrangera rien. Au contraire, nous allons perdre tous les bons étudiants motivés.

— Pour pallier ce manque d’argent, les universités pourraient donc augmenter leurs frais d’inscriptions ?

— C’est ce que nous craignons tous : arriver à un système à l’américaine où la sélection se fait sur l’argent. Ce qui se cache derrière toutes ces réformes c’est la libéralisation – certains collègues parlent même de la marchandisation – de l’enseignement supérieur. Un beau jour, l’Etat préconisera la hausse nette de ces droits d’inscription que de moins en moins de personnes pourront se payer.

Propos recueillis par Anne Isabeth

 

Lu dans Présent

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