L’honneur d’un commandant!

Il n’est pas choquant, il est salubre de voir enfin rendus les honneurs à celui qui n’avait jamais perdu le sien. Que se passe-t-il à Montluçon ? J’avoue que je n’en sais trop rien. Quelles sont les dernières nouvelles de Saint-Brieuc ? R.A.S. A-t-on reçu des images d’Épinal ? Pas depuis un moment… On n’en saurait dire autant de Béziers. Depuis que Robert Ménard a été triomphalement élu à la mairie de la vieille cité languedocienne, en renvoyant dos à dos les candidats investis par les deux partis du Système, il ne se passe guère de temps sans que quelque initiative hardie de notre confrère et ami défraie la chronique et lui vaille simultanément le soutien du plus grand nombre de ses administrés et la réprobation de la plupart des médias comme il faut.

Le maire « d’extrême droite » (ceci expliquerait-il cela ?) n’a-t-il pas pris un arrêté pénalisant la pratique répandue, aussi élégante qu’hygiénique, aussi traditionnelle que démocratique, du crachat dans les jardins publics et sur les trottoirs de sa ville ? N’osait-il pas, il y a quelques jours  ouvrir toutes grandes les portes de son hôtel de ville, bien chauffé, à un dangereux repris de justice, bien connu dans tous les milieux sous le nom de « Petit Jésus » et flanqué, outre sa famille, d’un bœuf et d’un âne ? Et voici que j’apprends, pas plus tard qu’hier, grâce au site de Libération, qui s’en alarme et s’en indigne évidemment, que Ménard a résolu de donner à une rue, au risque de déclencher une guerre civile sur les bords de l’Orb, le nom d’un des participants du putsch des généraux. De quoi s’agit-il exactement ?

Une municipalité précédente avait cru bon, comme d’innombrables communes de France, de donner à l’une des artères de la ville le nom de « rue du 19-Mars-1962 », en souvenir des accords d’Évian, qui mirent officiellement fin à huit années d’insurrection puis de guerre en Algérie. Or, il est absurde que des milliers de plaques bleues commémorent ce jour dans notre pays, et ceci pour deux raisons déterminantes. Autant il est légitime qu’un Algérien, et fier de l’être, célèbre la fin de la colonisation et la victoire diplomatique qui a débouché sur l’indépendance de son pays, autant, quoi que l’on pense des événements d’alors, de leur conclusion et de ses suites, il est anormal qu’un Français se réjouisse de la défaite politique qui a mis fin à cent trente ans de souveraineté et de présence françaises de l’autre côté de la Méditerranée. Mais, surtout, on ne devrait pas oublier que ces accords qui prétendaient mettre fin aux hostilités ont marqué le début d’une période de massacres et de l’exode de plus d’un million d’hommes et de femmes, français par l’origine ou par le choix du cœur et du sang. Le souvenir du 19 mars 1962 n’est ni apaisant ni fédérateur ni réconciliateur pour un pied-noir, pour un harki ou pour un patriote français.

Mais au fait, quel nom devrait désormais porter l’ancienne rue du 19-Mars-1962 ? Ceux, effectivement polémiques, du général Salan, du lieutenant Degueldre ou de Jean-Marie Bastien-Thiry ? La personnalité que Robert Ménard a choisi d’honorer n’est autre que le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, disparu il y a juste un an.

Qui est Hélie Denoix de Saint Marc ? Résistant, et rescapé de Buchenwald, ce militaire de carrière avait combattu en Indochine. Il y avait été le témoin meurtri et de notre défaite et du lamentable abandon par la France de nos auxiliaires vietnamiens. Il s’était juré de ne plus jamais revivre une semblable honte. Il avait juré, comme nombre d’officiers de sa génération, de toujours garder l’Algérie à la France. Commandant par intérim du 1er REP au moment du putsch, il avait rejoint les généraux « factieux » pour tenir son serment, sans autre motif que le patriotisme, sans autre but que celui de défendre le drapeau et de soutenir l’honneur français. Un certain Charles de Gaulle n’avait-il pas fait de même en juin 1940 ? Déchiré entre ce que lui dictait sa conscience et son devoir de discipline envers le pouvoir civil, Saint Marc s’était rendu et avait convaincu le général Challe d’en faire autant au bout de quarante-huit heures. Cette éphémère rébellion, il devait la payer d’une condamnation à dix ans de réclusion. Libéré en 1968, légalement réhabilité en 1978, Hélie Denoix de Saint Marc l’avait été moralement lorsque, l’État reconnaissant à l’extrême soir de sa vie la noblesse de ses mobiles et de sa personne, il avait été fait, fin 2011, grand-croix de la Légion d’honneur. Il n’est pas choquant, il est salubre de voir enfin rendus les honneurs à celui qui n’avait jamais perdu le sien.

Lu sur Boulevard Voltaire

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