Poussière, tout ne retournera pas en poussière… (Gen 3, 19)

 Par Charles Chaleyat

Nous ne cessons depuis la plus lointaine préhistoire de nous développer, c’est-à-dire de fabriquer et modifier ce qu’on appelle la Nature : nous-mêmes et nos milieux. D’abord, en prélevant et collectant de quoi subsister (y compris les charognes), tout en érigeant des abris à défaut de grottes hospitalières (c’est-à-dire sans Ursus spelaeus ou autre Machairodus giganteus). Pour ce faire, nous nous sommes peu à peu munis d’outils à l’instar des chimpanzés actuels qui cassent avec de lourds cailloux les fruits durs dans la forêt de Côte d’Ivoire. Nous avons utilisé branches, cailloux tranchants puis, bouleversement capital, nous avons fabriqué des outils en taillant les pierres dures et, préférentiellement, le silex à cassure tranchante comme le verre. Comment avons nous fait et comment avons nous développé ensuite au long des millénaires une remarquable panoplie d’outils? Il s’agit d’un problème majeur.

poussière3_0002En effet, si ces outils nous ont permis d’agir plus efficacement sur le milieu (couper, broyer, moudre, creuser, etc..) et sont à la base de toute civilisation, leurs déchets, comme ceux que, sans souci nous oublions chaque jour, sont la contre-partie de ces progrès… et en même temps, ce qui permet aux archéologues d’essayer de comprendre les comportements de ces artisans. Talus d’éclats de silex des grottes du Périgord et d’ailleurs, associés à tout campement, plus ou moins permanent, mégalithes de toutes tailles, fosses à déchets et même sépultures, ont précédé les buttes/tertres anthropiques constituées de millions de tessons de poterie ou de coquillages puis les tumuli résultant de l’accumulation d’habitats successifs, les buttes aménagées en forteresses cerclées de fossés, les cités antiques enfouies sous leurs propres effondrements devenues de banales collines en Mésopotamie jusqu’à ce qu’un jour… on y creuse à la recherche d’objets anciens qui allaient devenir les représentants de ces civilisations : Ur, Ninive, Assur, Göbekli, etc.

Depuis toujours, nous fabriquons des détritus  dont certains traversent les millénaires, se modifiant assez peu comme les pierres taillées ou polies, les mégalithes et les tessons. Tant qu’ils n’étaient que le fruit de petites populations possédant des technologies limitées, ils encombraient peu, restaient souvent invisibles/ignorés et étaient négligés et d’ailleurs (horreur pour les archéologues), souvent détruits ou parfois exploités par l’industrie (amas coquilliers de Sumatra-Nord) ou les touristes (outils de silex du Sahara). Certains paysages – à compter surtout du néolithique -, outre les tertres anthropiques, sont fabriqués au rythme d’agressions répétées qui les stérilisèrent ou les façonnèrent surtout dans des situations climatiques fragiles.

poussière1_0001Désormais, ce processus, démultiplié par les progrès techniques, est devenu une menace directe/ indirecte et multiforme pour  l’humanité, bien plus importante que le prétendu réchauffement climatique. On connaît le continent de déchets dérivant dans le Pacifique, l’expansion des poubelles à l’air libre, l’extension des pollutions industrielles (pétrole) ou artisanales (orpailleurs, engrais et pesticides) de tout genre. Ces agressions restent visibles, on peut les identifier, circonscrire et combattre même par une légère autodiscipline. Mais, hélas, il convient de rajouter à ces apports empoisonnés, modifiant parfois la faune des rivières, la dispersion de rejets nucléaires dont la période peut traverser le futur et la dissémination par les égouts collecteurs des résidus de médicaments (gélules contraceptives, antibiotiques, par ex., pollution continue et bien plus insidieuse que les sacs plastiques qui étouffent dauphins et requins.

Ainsi, tout en continuant d’améliorer notre lutte quotidienne contre la dispersion des déchets, nous devrions désormais pour tout produit nouveau (ou ancien) étudier et mesurer sa ‘vie’(sa trajectoire, ses modifications, ses effets induits) et se prémunir contre d’éventuelles conséquences nocives pas toujours prévisibles au départ. L’exemple le plus connu est celui de l’amiante appelé magic material, utilisé déjà par les Grecs pour sa résistance à la chaleur et dont les conséquences (certaines signalés dès l’antiquité) ont été reconnues au XXè siècle sous forme de cancers et conduisirent à son interdiction en France en 1970.

Les objets que nous créons modifient depuis toujours notre monde – parfois à notre insu – comme ils modifient nos modes de vie et nos modes de pensée…

A méditer!

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