Macronella, version fée du logis

Après avoir vampé un gamin de quinze ans en mal de tendresse maternelle et l’avoir épousé au bout de quinze ans de vie commune, puis dispensé des cours de latin dans une école catholique parisienne très huppée, Brigitte joue maintenant les maîtresses de maison férues de décoration. Mais, rassurez-vous, elle ne va pas au marché Saint-Pierre pour acheter ses doubles rideaux et ne les coud pas elle-même.

Hall de Hilton ? Non, l’Elysée

Endossant le costume d’architecte d’intérieur, elle a en effet décidé de donner un nouveau visage à l’hôtel d’Evreux et de chambouler notamment la salle des fêtes de l’Elysée. Et pas n’importe quel architecte d’intérieur, mais celui qui « dépoussière » (comme elle le confiait en novembre dernier au journal Le Monde) et envoie valdinguer tapis, chaises, tapisseries, tableaux – bref, tout ce qui est synonyme de racines et de tradition. Histoire, finalement, de créer de toutes pièces un univers aseptisé et suffisamment « anonyme et vagabond » pour qu’il n’ait plus rien à voir avec le salon d’apparat inauguré par Sadi Carnot à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, avec ses murs ornés de tapisseries des Gobelins du XVIIIe siècle représentant Médée et ses plafonds peints par Guillaume Dubufe. Furieusement Second Empire à l’origine avec ses ors et sa couleur rouge vif, cette salle des fêtes revue et corrigée par Brigitte Macron ressemble à s’y méprendre à un hall de grand hôtel qui pourrait se trouver à New York ou à Pékin avec sa moquette, ses murs gris, ses rideaux de velours gris pisseux et ses chaises Napoléon devenues grises elles aussi.

Ce nouveau décor fait la une d’ailleurs du très cher magazine de décoration AD qui consacre pas moins de cinq pages à ces travaux qui ont coûté la bagatelle de 500 000 euros. Et quand on sait que la rénovation d’autres pièces est au programme d’ici à 2021 (pour un montant total de 100 millions d’euros), on se rend compte très vite que ce ne sont pas les quelques gadgets fabriqués pour la toute récente boutique de l’Elysée – et notamment une peluche du chien Nemo vendue 99 euros, une bagatelle – qui financeront les travaux, comme le service de com’ du couple Macron a essayé de le faire croire. Le reportage complaisant publié dans AD a de quoi faire gerber les Gilets jaunes, mais il peut donner des idées à tous ces nouveaux riches qui transforment en cellules de moine de beaux appartements haussmanniens, histoire de jouer la sobriété. Bref de quoi donner de nouveaux chantiers à Isabelle Stanislas, l’architecte tendance qui a été choisie par Brigitte Macron pour ce chantier pharaonique et pour laquelle ces travaux traduisent une « volonté d’épure adoucie par quelques détails luxueux et raffinés ».

La présidente est ravie, pour qui l’Elysée semblait « être devenue une forteresse qui se protégeait de l’extérieur ». « On va alléger, épurer. Il faut que la lumière entre », s’enthousiasme-t-elle.

Cette forteresse, Emmanuel et Brigitte étaient pourtant bien contents qu’elle les protège lorsque la rumeur courut que des Gilets jaunes voulaient visiter les lieux…

 

Un vœu présidentiel

Cette révolution esthétique correspond finalement à la volonté de Macron lui-même qui, si l’on en croit Pierre-Olivier Costa, un ancien du Centre Pompidou devenu directeur de cabinet de Brigitte Macron, « veut que ce qui se passe à l’extérieur se voie à l’intérieur, que le bâtiment soit de son temps. Il pense que si on craint l’art, on ne fera pas bouger la société ». Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire grand-chose, mais Jupiter a décidé d’en découdre avec la tradition et le bon goût français, même s’il ne manque jamais de souligner « l’absence regrettable d’un roi dans le processus démocratique ». Mais il n’en est pas à une contradiction près et, finalement, dépoussiérer l’Elysée revient également à dépoussiérer la France. C’est dans cette optique que, sitôt arrivés à l’hôtel d’Evreux, Emmanuel et Brigitte Macron ont traqué tout ce qui était d’un autre temps. Une centaine d’œuvres qui ornaient les murs ont rejoint les réserves du Mobilier national et ont été remplacées, par exemple, par de nouveaux tableaux. Et ce n’est pas un hasard si un chromo de l’Américain Shepard Fairey, artiste de rue très prisé des milieux branchés depuis qu’il a édité en 2008 une affiche « Hope » (Espoir) à la gloire d’Obama, figure derrière le bureau de Macron. Cette Marianne stylisée a d’ailleurs été habilement détournée par les Gilets jaunes qui en ont fait une affiche à charge contre le président de la République.

Même volonté encore de ne pas sentir le moisi et le renfermé avec la démarche de Brigitte Macron qui emprunte des tableaux de Picasso à Laurent Le Bon, le directeur du musée du même nom, pour les exposer dans… le salon Pompadour ! Cependant qu’une toile de Soulages trône dans le salon doré pour la plus grande joie de Macron qui a un faible pour la couleur noire. Et ne parlons pas du bureau présidentiel signé de l’italien Francesco Passaniti : s’il provient des réserves du Mobilier national, il représente un « must » pour les bobos, car il est en « béton ciré », la technique qu’ils préfèrent pour le sol de leur résidence secondaire.

« Le premier show-room de France »

Quand on revoit les photos de la Fête de la musique qui avait bigrement désacralisé ce lieu de pouvoir auquel les exotiques DJ invités par le couple Macron voulaient « mettre le feu », les propos que le directeur du Mobilier national, Hervé Lemoine, tenait dans un récent numéro de la revue Challenges tombent à pic : « Le président a souhaité que l’on redécore l’Elysée et que le Mobilier national renouvelle son cadre décoratif. C’est une façon de montrer ces savoir-faire dans un espace qui est presque devenu le premier show-room de France. » Pourquoi, dès lors, ne pas y organiser le prochain Salon maison et objet, avec Brigitte Macron promue attachée de presse ?

Francoise Monestier – Présent

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