6 juin 2019 : commémoration ou soumission ?

En France on ne fait plus l’histoire : on se borne à la commémorer. Nuance. Cette fois, c’est le 75e anniversaire du débarquement de Normandie que l’on nous sert. En attendant sans doute de fêter son 80e.


Les politiques aiment bien commémorer car il leur sied de se parer du sang des autres.

Hôtes étrangers, caméras, uniformes, drapeaux, anciens combattants, énième discours présidentiel invoquant nos « valeurs »… La machine macronienne à commémorer fonctionne une nouvelle fois à plein.
Et, depuis une semaine, les médias, la presse, les télévisions, nous abreuvent d’émissions ou d’articles sur le débarquement de Normandie et de films américains vantant le sacrifice des boysvenus nous libérer.

« Il ne faut pas oublier » nous dit Emmanuel Macron. Comme il est plaisant de voir ceux qui n’ont que mépris pour « la France d’avant » et qui se plaisent à culpabiliser et à déconstruire son histoire, sa langue, sa culture et son identité, invoquer les vertus de la mémoire !

Mais en fait il s’agit, une nouvelle fois, d’une commémoration tronquée, sinon truquée. Et d’une mémoire sélective.

Une commémoration biaisée

Le débarquement de Normandie joue en effet un rôle central dans la tentative occidentale de réécrire l’histoire de la seconde guerre mondiale, en faisant des anglo-américains les principaux, sinon les seuls, artisans de la défaite de l’Axe et de la « libération » de l’Europe.

Car, au train où vont les choses, on finira bientôt par apprendre à nos enfants que ce sont les Américains qui ont battu les Allemands à Stalingrad !

Bien sûr, les soldats morts sur les plages ou dans le bocage normand comptent et méritent notre souvenir et notre respect.

Pourtant, à l’échelle européenne de la seconde guerre mondiale, ce ne sont pas les anglo-américains qui ont défait l’Axe mais bien les soviétiques. Car pour les Allemands, la vraie guerre se déroulait à l’Est, pas à l’Ouest.

Désolé pour les admirateurs du Jour le plus long [1], c’est le peuple russe qui a supporté l’essentiel de l’effort de guerre contre le troisième Reich, tant au plan des destructions que des pertes civiles ou militaires. Les pertes russes des deux guerres mondiales s’élèvent à plus d’un tiers du total des morts de la « guerre de trente ans » européenne : 1914-1945 ! Rien à voir avec les pertes anglaises ou américaines.

Des alliés peu pressés

Staline n’eut de cesse de réclamer à ses alliés l’ouverture d’un second front, pour alléger le poids de la massive offensive allemande pesant sur l’URSS depuis 1941.

Mais les anglo-américains se hâtèrent lentement : il faudra attendre la fin de l’année 1942 pour qu’ils se décident à débarquer en… Tunisie, bien loin du front russe.

Ils mettront plus de six mois pour passer en Sicile et ensuite près de 18 mois pour cheminer en Italie, alors que l’armée royale italienne a cessé d’exister depuis septembre 1943… Les anglo-américains avanceront à la vitesse de l’escargot, provoquant l’exaspération justifiée des soviétiques et l’ironie de la propagande allemande.

La principale contribution des forces anglo-américaines et du Commonwealth à la victoire sur l’Allemagne consistera d’abord à fournir aux soviétiques le matériel militaire qui leur manque après le désastre de 1941. Ensuite à couler la marine du Reich et à écraser sous les bombes les villes et les industries allemandes ou de l’Europe occupée.

Par contre, leurs performances militaires sur le terrain ne peuvent se comparer à celles de l’Armée Rouge.

Une remarquable performance logistique

Le débarquement de Normandie est certes une remarquable opération logistique. Il ouvre certes la voie à la libération du territoire national[2]. En n’oubliant pas cependant que seule l’action résolue du Général De Gaulle a permis d’éviter à la France de subir le sort d’un pays ennemi que lui réservaient nos « alliés » de l’AMGOT[3].

Mais on ne saurait passer sous silence que les Allemands considéreront toujours le front de l’Ouest comme un front secondaire. Qu’ils comptent dominer avec leurs « armes secrètes ». Ou bousculer le moment venu avec leurs troupes d’élites après l’avoir emporté à l’Est : comme ils ont presque réussi à le faire, alors que la Wehrmacht était pourtant exsangue et encerclée lors de la bataille des Ardennes. Et surtout parce qu’Hitler croit naïvement que les anglo-saxons finiront par s’opposer aux russes : c’est bien ce qui s’est passé, mais seulement une fois la défaite de l’Allemagne acquise !

Et dans ce front secondaire, les troupes débarquées s’empêtrent dans les haies normandes, que les stratèges n’avaient pas prévues. Les anglo-canadiens piétinent devant Caen pourtant réduit en cendres. Et l’essentiel des forces allemandes se replieront sur la Seine en bon ordre même si elles doivent abandonner leur matériel lourd.

C’est le drapeau rouge qui sera hissé sur le Reichstag en 1945

L’écrivain Eddie Florentin a certes publié en 1974 un ouvrage intitulé Stalingrad en Normandie [4] . Mais on ne saurait sérieusement comparer l’effroyable bataille de Stalingrad qui a duré six mois de combats urbains ininterrompus et coûté la vie à 800 000 soviétiques et à 400 000 soldats de l’Axe, avec les opérations militaires en Normandie, même les plus sanglantes.

Car, pendant que les forces qui ont débarqué en Normandie avancent précautionneusement, malgré une débauche de matériels et une supériorité aérienne écrasante, l’Armée Rouge déclenche la plus grande offensive de son histoire : l’opération Bagration qui se déploie à partir du 22 juin sur rien moins que…. 1000 kilomètres de front.

En juin 1944, le fameux « rouleau compresseur » russe se met en marche. Il ne s’arrêtera qu’à Berlin.

Car en 1944 l’Armée Rouge n’a plus rien à voir avec celle qui a plié en 1941 devant la Wehrmacht : elle s’est dotée d’un matériel moderne -elle dispose de la plus grande artillerie du monde et de chars performants -, elle est bien commandée et ses troupes sont désormais très bien équipées. Cette offensive russe conduira à l’effondrement de l’armée allemande en privant au surplus le Reich des pétroles de Roumanie, ce qui précipitera sa chute, en clouant au sol faute de carburant ses matériels.

C’est donc le drapeau rouge qui sera hissé sur le Reichstag en 1945, pas la bannière étoilée.

Une vision américano-centrée de l’histoire

De Gaulle, pourtant le chef de la France Libre, s’est toujours montré réticent vis-à-vis de la commémoration du débarquement de Normandie et pas uniquement parce qu’il avait été tenu à l’écart de ses préparatifs.

Parce que ce prurit commémoratif faisait une part trop belle à certains alliés aux dépens des autres et imposait une vision hémiplégique et américano-centrée de l’histoire.

Mais la France macronienne, otanisée et américanisée, qui diabolise au surplus la Russie de Valdimir Poutine pour complaire à son suzerain, n’a manifestement plus cette réserve.

Emmanuel Macron, le président de la start-up nation n’a-t-il pas déclaré, en anglais évidemment,« We know what weo we to you veterans. Our freedom »(en français, «Nous savons ce que nous vous devons, anciens combattants. Notre liberté.»). La liberté, ce ne peut bien sûr être l’affaire des Russes !

Ce soir, FR3 nous repassera donc, pour notre édification, Il faut sauver le soldat Ryan, le blockbuster gnangnan de Steven Spielberg .

Pour voir ou revoir sur nos écrans Quand passent les cigognes, le chef d’œuvre du russe Mikhail Kalatosov, primé au festival de Cannes en 1958, il faudra attendre…

Michel Geoffroy  -Polémia

[1] Film américain à grand spectacle réalisé par Darryl F. Zanuck, d’après le livre éponyme de Cornelius Ryan et sorti en 1962

[2] Mais la libération de Paris n’entrait pas dans les plans des alliés et dû être imposée par les FFL

[3] Allied Military Government of Occupied Territories

[4] Presses de la Cité

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