Au musée Guimet, le Tokaido en compagnie d’Hiroshige (Vidéo)

Il y a cent ans mourait Victor Segalen, écrivain voyageur et sinologue, grand ami de George-Daniel de Monfreid et qui, de passage aux Marquises en 1903, acquit la palette et quelques œuvres de Gauguin mises aux enchères après sa mort. Segalen eut également en sa possession un album d’estampes japonaises inédit que possède le musée Guimet : une remarquable série des Vues célèbres d’Edo, réalisée au milieu du XIXe siècle par plusieurs artistes à la demande du shogun qui voulait se faire bien voir de l’empereur. Cet album ne pouvant bien sûr être démantelé pour être exposé, il est présenté sous vitrine ; et la route du Tokaido est, elle, retracée sous nos yeux par une superbe série d’estampes de Hiroshige appartenant au collectionneur Georges Leskowicz.

Le Tokaido est la « route de la mer de l’Est » qui reliait Edo, capitale du shogun (future Tokyo), à Kyoto, capitale de l’empereur. C’est dire l’importance politique, militaire mais aussi commerciale de cette route qui allait devenir au XIXe une route touristique, quand il fut permis aux Japonais de se déplacer plus librement. Le trajet de 500 kilomètres se faisait en deux semaines, coupé en 53 stations où le voyageur trouvait ce qu’il fallait pour se restaurer et s’héberger. D’où la littérature et les guides de voyage, illustrés d’estampes pratiques, et les séries d’estampes allant de la carte postale à l’œuvre d’art – sans oublier des jeux de l’oie où chaque station faisait une case.

D’un pont à l’autre

Utagawa Hiroshige avait lui-même fait la route en 1832, accompagnant une délégation officielle du shogun qui convoyait des chevaux offerts à la cour impériale. Il avait abondamment dessiné en route et lors des haltes. Il en sortira, entre autres, la série des Cinquante-trois stations du Tokaido, édition datée de 1833-1834 dite « Grand Tokaido ».

On quitte Edo par le pont Nihonbashi à Edo, on arrive à Kyoto par le pont Sanjo. A chacun ses souvenirs : le clair de lune à Mishima (12e vue) ; la route qui traverse les rizières en serpentant avec au loin le Fuji (15e) ; le repos dans une maison de thé à Fuchû (20e) ; le thé préparé à l’extérieur, la grosse bouilloire accrochée à une branche (27e) ; les matrones rabatteuses de Goyu, qui se jetaient sur le voyageur pour l’attirer sans ménagement dans leur auberge (35e) ; les roturiers agenouillés au passage d’un noble (37e) ; la foire estivale aux chevaux dans un beau champ d’avoine courbé sous le vent (39e) ; à Kuwana le voyageur qui court après son chapeau envolé (43e) ; et la célèbre pluie d’orage à Shôno (45e).

La variété des vues et des cadrages, les compositions faisant la place tantôt au paysage, tantôt aux voyageurs, la perpétuelle clarté de regard que nous restituent les estampes font de ce voyage un parcours dans un pays mythique et pourtant concret avec ses porte-faix, ses soldats, ses pèlerins et ses touristes. Dans l’art de l’estampe japonaise, les deux sommets sont d’un côté Hokusai et ses Trente-six vues du Mont Fuji ; de l’autre Hiroshige et ses Cinquante-trois stations du Tokaido. Les reproductions en livre n’étant souvent qu’un pis-aller par rapport aux nuances d’une impression originale, l’exposition du « Grand Tokaido » s’impose comme voyage artistique et poétique en cette période de rentrée. Il vous reste un mois pour l’entreprendre.

• Sur la route du Tokaido – Chefs-d’œuvre de la collection Leskowicz. Jusqu’au 7 octobre 2019,musée Guimet. •

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