Femmes que de mots pour vous dire…

Franck H. Laurent, professeur de lettres qui publie là son premier livre, nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : celui où les hommes pouvaient parler aux femmes, et même parler des femmes sans risquer mille morts et autant d’amputations (de castrations ?) et, à travers les mots, les aduler ou les détester, s’en méfier ou se faire rouler, les mépriser ou les déifier, en rire ou en pleurer, les railler ou les chanter, ou bien encore tout à la fois les mépriser et les railler par crainte de les aduler et d’en pleurer.

Dans son Dictionnaire inattendu intitulé Femmes, que de mots pour vous dire…, l’auteur explore les 300 synonymes – désuets, à la mode, littéraires, familiers, péjoratifs, flatteurs -, du mot « femme » dans la langue française. Il en décrit l’étymologie, les remet avec humour dans leur contexte, relève les glissements de sens au fil des siècles, déterre des « mises en situation » dans la littérature ou la chanson. Et l’on n’est pas déçu du voyage. Faut-il que la femme soit absolument insaisissable pour revêtir tant d’identités lexicales !

Foin des convenances, de la chronologie ou de la cohérence, la logique d’un dictionnaire n’est qu’alphabétique, et c’est ce qui en fait tout le charme fantasque. Au fil des pages, souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie : la harpie côtoie l’héroïne, la bombe voisine avec le boudin et la bigote, et la cougar – dont on apprend qu’elle n’est pas une invention des Feux de l’amour mais apparaît, en France, dans L’Histoire naturelle de Buffon, en 1788 – avec la colombe.

Mais dans ce catalogue, l’auteur a ses préférences… et il se demande si « madame » n’est pas « le plus joli mot de la langue française » : « Il y a une joie simple à prononcer ce mot vingt fois par jour : madame… ! Bonjour madame, au revoir madame, s’il vous plaît madame, merci madame, madame, je vous en prie, madame, je vous aime, adieu madame… Madame rend la vie exquise. » Sans prétendre, loin s’en faut, à l’exhaustivité, il a méticuleusement recensé, révèle-t-il,  « plus de trois cents « madame » dans la littérature et la chanson française. Tous plus émouvants, tendres, drôles, solennels, ardents les uns que les autres. » Il en livre certains au lecteur, et lui en laisse deviner l’auteur…

Après madame vient mademoiselle, même si dans la vraie vie, c’est tout l’inverse. « On veut proscrire ce terme de l’état civil. Dommage. C’est un si joli mot », déplore Franck H. Laurent. « Il y a dans mademoiselle la reconnaissance d’un état qui précède celui de dame, la marque d’une prévenance qui prépare les hommes à la révérence. » Et de citer les délicats embarras de Marcel Proust – bientôt banni, lui aussi ? « L’incertitude où j’étais s’il fallait lui dire madame ou mademoiselle me fit rougir »(Du côté de chez Swann).

L’auteur relève, comme surpris lui-même, le manque d’inventivité verbale du XXe siècle : « affoleuse, entraîneuse, pépée, meuf […], c’est maigre. Comment l’expliquer ? Émancipation de la femme ? Atténuation des distinctions sexuelles ? Uniformisation et appauvrissement du langage ? » Il laisse le lecteur trancher, et celui-ci, à dire vrai, a bien sa petite idée.

Reste à présent à faire le dictionnaire des noms d’homme. « Ce sera à une femme de l’écrire », prévient l’auteur. Comptera-t-il, aussi, 300 entrées et 377 pages ? Car, comme vous l’avez compris, pour désigner cette petite chose réputée effacée, dominée, considérée, au cours des siècles passés, comme quantité négligeable que l’on appelle la femme, il ne faut pas moins d’un pavé. Comprenne qui pourra.

 

 

Gabrielle Cluzel – Boulevard Voltaire

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