Les coïncidences…

Les coïncidences sont des évènements omniprésents dans notre vie. Certaines semblent insignifiantes comme distribuer un flush au poker, mais d’autres attirent vraiment notre attention : penser à un ami qu’on a pas vu depuis plusieurs années et qui vous appelle juste à ce moment ou peu de temps après. Ce que ces événements ont en commun est ce désir que l’on a de vouloir toujours ardemment les expliquer, comme s’il y avait une raison spéciale faisant qu’ils se sont produits tels qu’ils sont arrivés. Ces tentatives d’explications peuvent aller de la patte de lapin porte-bonheur, au gri-gri, à l’horoscope ou encore au don de télépathie partagé avec un ami. Mais ce que les gens ne savent pas, ou ne veulent tout simplement pas savoir (tant il est vrai que croire en des éléments irrationnels ou surnaturels rassure parfois), est que les coïncidences, aussi remarquables qu’elles puissent parfois paraître, ne sont aucunement surprenantes. En fait, la plupart ne sont que des faits, des événements sans aucune signification.

Il y a plusieurs raisons qui font que les gens interprètent mal les coïncidences. Les êtres humains ont une compréhension et une connaissance relativement limitées des probabilités, nous croyons que chaque effet doit avoir une cause intentionnelle, nous ne comprenons pas les lois relatives aux grands nombres, et succombons facilement à la mémoire sélective et à la validation subjective : cette tendance à se souvenir des corrélations positives et à oublier le plus grand nombre de cas où rien ne se passe de significatif.

Les probabilités ne sont pas vraiment populaires lorsqu’on les aborde au lycée. Ce qui est fort dommage car une bonne maîtrise vous donne les moyens d’apprécier et de comprendre pleinement le sens, ou l’absence de sens, de la plupart des événements de tous les jours. Une mauvaise compréhension des probabilités et des statistiques, commun dans nos sociétés, fait que les gens sont plus facilement surpris et étonnés de ce qu’ils ne devraient l’être lorsqu’ils sont confrontés aux coïncidences, d’où le facile et rapide saut vers l’explication métaphysique.

Par exemple, quelle est la chance pour que 2 personnes ayant la même date de naissance se retrouvent dans une pièce de 23 personnes ? La plupart des gens vous répondront que cela doit approcher 1 chance sur 30, voire moins. Etonnamment, cette “chance” n’est que de 1 sur 2 (la probabilité est de 50%) et se calcule très simplement : (364x363x362 …x343)/36522 Le fait que la plupart des gens en soit ignorants, les pousse à conclure rapidement que leur expérience était si peu probable que peut-être une force surnaturelle ou un lien très spécial les a réunis. Dans un groupe plus important, cette probabilité s’élève très rapidement. Elle est de 7/10 pour un groupe de 40 personnes et pour un groupe de 100 personnes, il y a 3 millions de chances contre une que deux personnes aient la même date de naissance.

La plupart des gens, surtout lors d’un voyage, sont très surpris quand ils découvrent avoir un ami commun avec un inconnu. Des sociologues ont montré que deux individus pris au hasard connaissent (au sens large) en moyenne 1000 personnes chacun, ce qui donne, pour une population de 50 millions d’habitants, 1 chance sur 50.000 pour qu’ils se connaissent. La probabilité pour que ces deux personnes aient un ami commun augmente brusquement à 1 sur 50, et la probabilité pour qu’ils soient reliés par une chaîne de deux personnes est supérieure à 99 sur 100. Autrement dit, si Durand et Dubois sont deux personnes choisies au hasard, il est presque certain que Durand connaîtra quelqu’un qui connaît quelqu’un que Dubois connaît !

La signification réelle de coïncidences bizarres peut être comprise et expliquée par ce qu’on appelle la loi des très grands nombres. Cette loi statistique établit qu’avec un échantillon suffisamment large, même le plus improbable devient probable, et donc devient “surnaturel”. Un exemple que le cas de cette femme du New Jersey qui, il y a quelques années, avait gagné 2 fois à la loterie en 4 mois. Les journaux rapportant l’affaire expliquaient qu’il y avait 1 chance sur 1,7×1018 que cela se produise. Techniquement, cela est correct, mais cela induit en erreur car reposant sur une perspective beaucoup trop étroite. Les chances pour une personne donnée de gagner à 2 tirages avec 2 tickets achetés est effectivement d’une sur 1018, mais la probabilité pour que quelqu’un gagne parmi les millions de personnes jouant n’est que de 1 sur 30. Ceci est le fond de la loi sur les très grands nombres. Des événements inhabituels deviennent hautement probables lorsque assez d’individus sont impliqués. Ceci lève la chape de mystère entourant certains phénomènes et conduit tout simplement vers la réflexion scientifique.

Un exemple intéressant de cette mystification de l’univers des grands nombres, et de l’intervention des probabilités, est donné dans le livre de Charpak et Broch, “Devenez sorciers, devenez savants” lorsque, à l’occasion d’une émission de télévision, un pseudo mage annonça qu’il lui était possible, par le seul pouvoir de la pensée, de faire éclater les ampoules chez les téléspectateurs, tout ceci à distance bien sûr. Après les habituelles mises en scène, celui-ci se concentre et demande aux téléspectateurs d’allumer des lampes chez eux, prenant le public à témoin de son formidable pouvoir.

Effectivement, le standard fut submergé d’appels confirmant que des ampoules avaient bien explosé au domicile de ceux qui regardaient l’émission à ce moment précis. Cependant, un calcul tout simple permet de banaliser l’événement qui a dû faire les choux gras de ce charlatan médiatique. L’émission en question, “Mystères”, était diffusée sur TF1 à une heure de grande écoute (qui, par cette entreprise de crétinisation du public, en a profité pour faire monter la cote de ces spots de pub) et durait plus d’une heure. Suivie par plus de 10 millions de spectateurs, environ 5 ou 6 millions d’ampoules ont été allumées pendant l’émission. Considérant que certains téléspectateurs, ne voyant rien arriver, ont dû éteindre leur lampe (ou même leur télévision), ramenons à 2 millions le nombre de lampes allumées pendant une heure.

La durée de vie d’une ampoule est environ de 1000 heures, cela signifie que pendant la durée de l’émission, environ 2000 ampoules auront grillé ! Et même si seulement la moitié de ces gens appellent, 1000 appels en 1 heure nous donne plus de 16 appels par minute (1 appel toutes les 4 secondes), pas étonnant dans ce cas que le standard ait eu l’impression d’exploser ! Rien de bien magique pourtant là-dedans, un simple calcul, et le hasard, expliquent tout rationnellement, le seul pouvoir de notre mage est de connaître l’univers probabiliste et statistique. Bien entendu, rien n’est dit à propos de l’énorme proportion de gens qui n’ont pas appelé parce que rien ne s’est passé chez eux et aucun chiffre ne viendra appuyer le fait qu’il y a plus de personnes (1,99 million) chez qui rien ne se passera de la soirée (effectivement ces derniers n’appelleront pas).
Le mémoire humaine n’est pas un appareil enregistreur, enregistrant fidèlement tout ce qui nous arrive. Les expériences dramatiques laissent une marque plus indélébile que les autres (voir page sur les actes rares). Ceci nous conduit vers un phénomène appelé “la validation subjective”, plus couramment connue sous l’appellation de mémoire sélective. Cependant il est tout à fait naturel de ne se souvenir que des faits inhabituels, même les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer se souviennent plus facilement des événements récents sortant de l’ordinaire. Revenons sur votre ami à qui vous pensiez et qui vous a appelé, cet événement perdra de sa singularité si vous réfléchissez un instant à tous ceux à qui vous avez pensé et qui ne vous ont pas appelé !

Si quelqu’un vous affirme que tel événement est impossible pour telle ou telle raison et invoque les esprits pour l’expliquer, rappelez-lui qu’il a plus de chances de gagner 3 ou 4 fois de suite au loto que de se retrouver autour d’une table de 10 personnes habillés comme ils le sont. Comment ? Pourquoi ? Laissons A.Jacquard nous l’expliquer dans son livre “la science à l’usage des non-scientifiques” au chapitre des “probabilités et recherche des causes” :

“Lorsqu’un événement a lieu, il est souvent possible de calculer après coup, compte tenu des informations disponibles avant qu’il ne se produise, la probabilité de son occurrence. Cette probabilité dépend avant tout de la précision avec laquelle nous décrivons cet événement.

Nous sommes 10 autour d’une table. Ce matin, chacun d’entre nous a choisi, en fonction des impulsions du moment, de mettre telle veste, tel pantalon, telle cravate… Un observateur connaissant le contenu de mes placards aurait pu calculer hier la probabilité du choix de la chemise que je porte aujourd’hui, disons 1/10 (j’ai 10 chemises dans ma garderie), de même celle de la cravate que j’exhibe ce matin, 1/20. Or la probabilité conjointe de deux événements indépendants est égale au produit de leurs deux probabilités, soit ici 1/200 pour le choix simultané de la chemise et de la cravate. Si j’ajoute à ma description les chaussures, les chaussettes, le manteau …, j’obtiens, pour seulement 5 ou 6 éléments, une probabilité de l’ordre de 1 sur 1 million, 1/106. Il en est de même pour chaque membre de notre groupe, dans la mesure où ils ont un placard semblable au mien. La probabilité que nous soyons habillés comme nous le sommes aurait pu être calculée hier par notre observateur. Il aurait trouvé un nombre de l’ordre de (1/106)10, soit 1 sur 1060, infiniment plus faible que la probabilité de toucher le gros lot 3 ou 4 fois de suite à la loterie, il aurait pu en conclure que cet événement était quasi impossible.

Or, il s’est produit. Devons-nous en conclure qu’il s’agit d’un miracle ?

Evidemment non. Calculer la probabilité d’un événement n’a aucun sens une fois que l’on sait qu’il s’est produit. L’apparition de la vie, celle des dinosaures, celle des hommes, a résulté d’un grand nombre de bifurcations dans le cours des processus se déroulant sur notre planète; chacune de ces bifurcations s’est produite alors que de nombreuses autres étaient possibles; chacune avait une probabilité faible mais il fallait bien qu’un de ces possibles se produise.”

Bertrand Russel a une réflexion similaire pour expliciter ce rapport aux probabilités, en l’illustrant par les numéros de plaques d’immatriculation des voitures. La probabilité de rencontrer un numéro particulier préalablement déterminé est identique à celle de nombreux miracles, pourtant il est tout a fait possible de le rencontrer. En fait, n’importe quel numéro (dès lors qu’il est constitué des mêmes éléments, numéros et lettres) à cette même probabilité, mais le fait de ne pas l’avoir calculé au préalable ne lui donne aucune consistance. Faire un 421 aux dés nous surprend, faire un 123 aussi, mais sortir 154 ne nous étonne guère, bien que la probabilité de l’obtenir soit tout à fait identique.

Un des stratagèmes utilisé par les voyants ou astrologues est de faire un maximum de prédictions sachant que dans la masse, il y en aura bien quelques-unes qui se réaliseront, et que plus il y en aura, plus il y aura de chances pour en voir se réaliser (“Même un astrologue ne saurait toujours se tromper” disait Voltaire). Si une prédiction se réalise, le voyant sait bien que vous aurez oublié les 90% de prédictions non réalisées. Ce qui fera que celles qui seront vraies auront plus de poids encore, ceci est une forme de validation subjective ou plutôt… une simple escroquerie intellectuelle.

Notre capacité à détecter les coïncidences a été finement aiguisée, à travers les âges, par la sélection naturelle. Etre en mesure de faire des corrélations significatives entre des événements ajoute un avantage certain pour la survie d’une espèce. Il est possible ensuite de spéculer sur le fait que l’homme soit “programmé” pour chercher partout des modèles et des rapports. La culture moderne cependant, avec ses myriades de “connexions” et d’individus, active ces capacités à chaque occasion, nous poussant continuellement à avancer des explications ou à invoquer des forces étranges qui n’existent pas, là où il n’y en a pas besoin.

Il n’est pas question ici de dire que toutes les coïncidences n’ont pas de sens et doivent être ignorées, en effet les véritables cas improbables peuvent avoir une explication sous-jacente et la recherche de leurs causes est un effort louable. Pourtant, la grande majorité de ce que nous vivons se révèle être plus probable que ce que nous pensons, lorsque analysé avec un oeil plus critique. Dès que nous tiendrons compte de ceci, et avec notre propension à la validation sélective, nous regarderons d’un autre oeil les événements de la vie, et plus encore les affirmations de tout charlatan.

 

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