Lettres à Edith et à Colette de Céline

Lorsqu’on voit la fin venir, rien de plus naturel que de se tourner vers quelque chose qui nous dépasse, que ce soit Dieu ou un passé idéalisé auquel on peut tenter de se raccrocher comme à une bouée alors qu’on se sent dériver vers le large. Quoi de plus humain que de tenter de réparer les pots cassés, surtout ceux que l’on a soi-même fracassés, question de s’offrir un happy ending ou du moins de ne pas partir en laissant une image négative à ceux qui nous furent chers.

Le méchant Céline, quoi qu’on dise de son tempérament ou de son caractère détestable, n’échappa pas à ce besoin et lui aussi tenta de s’amarrer à son passé heureux, celui avec Edith Follet avant qu’il ne devienne le Céline persécuté et traqué, comme en témoigne une trentaine de lettres adressées à sa fille Colette et sa deuxième épouse Edith, récemment publiées par les Editions Huit. Etablie à Québec, cette maison d’édition est connue des céliniens du monde entier pour avoir publié en 2012 Les Ecrits polémiques rassemblant les fameux pamphlets, jusqu’à tout récemment interdits de publication en France.

Seulement, cette correspondance jusqu’ici inédite, publiée hors commerce, n’est offerte qu’aux Amis des Editions Huit. Voilà donc une raison d’en faire partie, ça et évidemment la gratitude d’avoir osé Les Ecrits polémiques.

C’est par un hasard des plus heureux que Rémi Ferland, directeur de cette petite maison indépendante, est tombé chez un brocanteur sur cette correspondance dactylographiée qui avait dû être recopiée pour les intimes. Dans ces 32 lettres, on découvre ou redécouvre Louis, le vrai, le père et l’ancien mari, dans sa dimension la plus intimiste, et non celui qu’il mettait en scène lors de ses entretiens avec des collègues ou des journalistes comme Robert Poulet. Au fil de cette lecture, dont le style n’est évidemment pas celui de ses romans, nulle trace de « l’émotion dans le langage écrit » qu’il clamait avoir inventée : l’émotion est cette fois-ci dans le contenu.

On le connut plaignard, voire atteint du complexe de la victime, ce qui ne le rendit pas bien sympathique aux yeux du public, et c’est justement là que ces lettres sont importantes : on y rencontre un Céline certes écrasé par son propre sort, « tué » par la prison, mais non pas revanchard, amer ou vindicatif. La tristesse touchante d’un homme esseulé qui aurait aimé être heureux et offrir le bonheur à ses enfants et petits-enfants, mais aussi se faire pardonner de celle qu’il « aimerai(t) toujours ».

 

 

Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Édith et à Colette. www.editionshuit.com

 

Rémi Tremblay – Présent

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