Qu’est-ce que le cloud?

 

Petite histoire d’un terme qui a connu plusieurs significations avant de devenir omniprésent.

Cette semaine, il est partout. Avec cette histoire de photos de starlettes dénudées qui circulent sur Internet, impossible d’échapper au «cloud». Qu’on évoque des images qui fuitent «de leur cloud» ou de «piratage sur un cloud», qu’on pose la question de la «sécurité des clouds» ou qu’on mette en cause la responsabilité d’Apple et de son service iCloud.
C’est bien joli, mais ça veut dire quoi, le «cloud»? En dehors, s’entend, d’une formation moelleuse et vaporeuse, ou d’un «ensemble de gouttelettes d’eau ou de cristaux de glace en suspension dans l’air» (définition certifiée par Météo France)? Et d’où vient le fait qu’on utilise ce terme pour Internet?
Posez la question autour de vous, vous vous rendrez compte que très peu de personnes, parviennent à définir ce terme sans se confondre en silences et en hésitations. Et quand bien même vous parviendrez à obtenir une poignée de réponses, vous risquez d’être surpris de la diversité de celles-ci. A ce titre, il ne paraît donc pas si absurde de voir le Daily Mail préciser dans ses pages, comme le signale The Guardian, que non, le «cloud» dont tout le monde parle en ce moment n’est pas «un vrai nuage».
Il faut donc se rendre à l’évidence et reprendre l’analyse pleine de sagacité de Jason Segel dans le film Sex Tape (qui raconte, tiens tiens, l’histoire de la fuite d’une vidéo coquine sur le cloud d’Apple):
«Personne ne comprend le cloud, c’est un putain de mystère!»

Un extrait de Sex Tape, qui interroge les grands mystères du cloud.
À l’origine, le cloud désigne tout Internet
Pour lever le voile sur le mystérieux cloud, nous avons demandé à plusieurs spécialistes d’Internet leur avis sur l’origine du mot, ainsi qu’à quelques entreprises qui en font aujourd’hui leur fond de commerce (Dropbox, Amazon, Cloudwatt en France).
Difficile d’obtenir un acte fondateur précis. A les en croire, l’image du nuage a toujours été plus ou moins utilisée dans des schémas censés représenter Internet. «Au début des années 1990, quand des ingénieurs informaticiens faisaient des schémas de l’architecture du réseau où il fallait placer des équipements comme des serveurs, ils dessinaient un nuage dès qu’on sortait en dehors des réseaux de l’entreprise», raconte ainsi le directeur de Cloudwatt, Didier Renard, qui a bien voulu répondre à notre question de vocabulaire –à l’inverse d’Amazon, qui «n’est pas linguiste», et Dropbox, qui n’a pas répondu à notre demande.

Le célèbre Licklider lui-même, connu pour avoir lancé l’ancêtre du Net, l’Arpanet, surnommait dès les années 1960 les collaborateurs associés à ce projet de réseau «l’Intergalactic Computer Network, le réseaux d’ordinateurs intergalactique», raconte le livre Les Sorciers du Net.
A cette époque donc, le cloud désignait grosso modo tout Internet. Une utilisation qui révèle aussi, tout en la masquant de manière pratique, la difficulté de représenter et de se figurer le réseau. Ce qui explique que le terme a progressivement été repris par les services marketing des entreprises du numérique: un Clipart de nuage vaut mieux qu’un enchevêtrement de câbles, de serveurs et de routeurs. A ce titre, il est aussi facile de comprendre pourquoi certains spécialistes du réseau détestent cette notion si floue de «nuage», qui éloigne encore plus Internet du «monde réel», IRL, dont il est censé être détaché.
«Je le déteste, mais j’ai fini par abandonner», confiait par exemple en 2011 au site Technology Review du prestigieux MIT un certain Carl Bass, alors directeur d’une entreprise qui venait de lancer une campagne axée… sur le cloud-computing. Et d’ajouter:
«Je ne pensais pas que le terme aidait à expliquer quoique ce soit aux personnes qui ne savaient pas déjà de quoi il s’agissait.»
Le cloud comme stockage de données en ligne
Aujourd’hui, le cloud désigne toujours Internet, mais il semblerait que la définition soit désormais un poil plus précise. Exit les tuyaux, il est surtout question ici de stockage de données en ligne.
Le cloud symboliserait alors ce changement récent dans nos usages, qui fait que nous n’amassons plus de documents, de vidéos, de musique et de photos sur des disques dur empilés dans notre salon, des clés USB ou bien encore des CD et DVD (rappelez-vous de cette période où vous maîtrisiez ou connaissiez quelqu’un sachant piloter un graveur et les logiciels qui vont avec!), mais que nous déposons tout en ligne. Que ce soit chez Google, Apple (et son fameux iCloud), Apple, Dropbox ou d’autres.

Extrait du business plan proposé par NetCentric à Compaq.
Cette utilisation du cloud pris comme un espace de stockage en ligne remonterait, à en croire toujours Technology Review, à 1996.
A l’époque, une entreprise qui n’existe plus aujourd’hui, NetCentric, intéressait fortement l’entreprise Compaq. Cette dernière voulait que cette jeune société l’aide à développer «un modèle de vente de serveurs aux fournisseurs d’accès à Internet», raconte Technology Review. Un service proposant par exemple «4,95 dollars pour 253 Mb de stockage en ligne» –ce qui, à l’époque, n’existait pas encore! Et qui a mené à une utilisation intensive du mot cloud, au sens vendu aujourd’hui par Apple, Google et autre Amazon, dans le business plan proposé à l’époque par NetCentric, que s’est procuré TechnologyReview.
Le terme n’a néanmoins pas décollé immédiatement: il aura fallu attendre les années 2000 pour le voir faire flancher les coeurs des services commerciaux et marketing. «Le terme a décollé en même temps que le web 2.0», nous confie ainsi un spécialiste de la question, tel «un bout de jargon que beaucoup de patron du secteur de la tech trouvaient ennuyeux, mais aussi difficile à éviter», résume Technology Review.
Le cloud comme puissance de calcul à distance
Le 9 août 2006, le boss de Google Eric Schmidt lance le mot lors d’une conférence.
Quelques semaines plus tard, le 24 août, Amazon s’y met aussi, raconte John Willis, un développeur, sur son site, et «inclut le mot “cloud” à l’EC2», pour «Elastic Compute Cloud», un service permettant aux professionnels en ligne d’héberger les serveurs dont ils ont besoin, et de manière dynamique. Si Slate.fr décidait de s’abonner à ce service d’Amazon (qui ressemble aujourd’hui à beaucoup d’autres) et que cet article était lu par des millions de personnes en même temps, nous pourrions demander à l’entreprise d’adapter les capacités à notre disposition pour que le site ne plante pas sous le poids de votre curiosité.
Une flexibilité qui rappelle aussi que le cloud n’est aujourd’hui plus seulement la possibilité de disposer, en gros, d’un disque dur en ligne. C’est aussi de la puissance de calcul en dehors de notre ordinateur. Amazon et d’autres ne fournissent pas seulement de la capacité de stockage, ils proposent de véritables machines virtuelles: l’équivalent de tout un tas d’ordinateurs, mais simulés au sein d’un seul appareil (comme un serveur ou un ordinateur, un physique, en dur), et qui exploitent simultanément toutes les ressources de cet appareil. Un peu comme si nous arrivions à assigner plusieurs tâches à notre cerveau afin d’exploiter 80% de ses capacités, au lieu des 20% prétendus.
Face à toutes ces possibilités, toutes ces significations, de l’ossature toute entière du Net au stockage de données en ligne, en passant par une puissance de calcul accessible à distance, on comprend mieux pourquoi, comme l’écrit John Willis sur son site, «les esprits du marketing […] ont réalisé que le terme cloud était de loin plus joli, et plus vendeur pour les utilisateurs». Et force est de constater que ça marche!
A la croisée des usages, du besoin de consulter de n’importe quel endroit des documents et du marketing léché, nous utilisons tous aujourd’hui le cloud. Des internautes comme vous, moi et donc Jennifer Lawrence, aux entreprises qui ont pour beaucoup depuis longtemps abandonné l’idée d’avoir des serveurs dans leurs murs.
Si on comprend la démarche, on peut néanmoins se demander si ledit cloud n’a pas un peu plus éloigné, en le rendant nébuleux, flottant, presque immatériel, Internet de ses usagers, pourtant toujours plus nombreux. Dommage.

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