Cécile Dufflot écrit à un chêne de la ZAD de N-D des Landes!

Cher petit chêne,

Ce n’était pas le bon moment pour te planter, dans une terre sèche de fin d’été, ce 20 août 2010, il y sept ans et demi ; ni le bon endroit : pile à l’endroit du bitume d’une future piste d’aéroport. Et pourtant tu as grandi paisiblement et tu es là et bien là. J’aurais bien aimé moi aussi être là aujourd’hui pour cette grande fête d’une lutte de tant d’années, comme des centaines de milliers de personnes qui, à un moment ou un autre de leur vie, ont été de tout leur cœur avec celles et ceux de « Notre Dame des Landes » ce nom à la fois marial et bucolique devenu un symbole.

Nous sommes en 2018 désormais et c’est un soulagement de savoir qu’enfin ce bocage riche ne sera pas sacrifié à la folie des hommes qui ont trop longtemps vu le progrès comme l’écrasement de la nature et de ses richesses, si souvent méconnues. Nous sommes en 2018 et je ressens de la gratitude pour celles et ceux qui ont pris leur part de ce combat, car c’en fut un, où qu’ils soient aujourd’hui, quelques aient été nos différences, nos désaccords parfois. Aux paysans qui ne voulaient pas abandonner leurs terres, à ceux qui ont choisi de vivre dans tes bois en retrouvant un lien plus intense avec la nature, à ceux qui ont expertisé chiffres et données, jour après jour, nuit après nuit, pour prouver qu’on pouvait faire autrement, à ceux qui à leur place d’élus ont plaidé inlassablement aussi à ceux, fervents partisans de l’aéroport qui ont fait le choix du respect de la discussion, à ceux enfin qui de part et d’autre ont refusé la violence et évité les drames. Je pense à ceux qui ne sont plus là mais que personne n’a oublié. Je pense aux bébés qui sont nés et qui vont y grandir. Il est si rare pour une écologiste ces dernières années de vivre ce que l’on peut appeler une victoire, pas pour soi, mais pour ce auquel on croit viscéralement depuis tant de temps. Alors aujourd’hui je pense aussi à tous les écologistes depuis 50 ans.

Nous avons sous les yeux, chaque jour, le résultat concret de leurs alertes : le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, les conséquences de la nourriture industrielle sur notre santé, celle de la pollution de l’air, des perturbateurs endocriniens, l’impasse qu’est le nucléaire et ses déchets, la vertigineuse pollution plastique dans les océans. C’est sans doute difficile à entendre par certains mais un peu d’honnêteté obligerait à reconnaître que les écologistes, ignorés puis moqués et enfin souvent méprisés, ont eu raison sur nombre de choses. Et qu’il est temps d’agir, à la racine, pas de verdir dans les mots ou de faire semblant, mais d’agir, de décider. Résolument. De faire le choix d’un avenir différent. De penser enfin le progrès comme réparation des dégâts de l’idée du progrès du siècle précédent.

Cher petit chêne, tu es parti pour vivre plusieurs centaines d’années désormais. J’espère que tu verras, de là où tu es, vivre en paix dans le bocage grands capricornes, tritons marbrés, grenouilles agiles, campagnols amphibies, crossopes aquatiques et aussi vieillir paisiblement les grands et grandir les petits humains qui feront vivre tes terres. J’espère aussi que tu pourras voir le sursaut de mes congénères terriens, partageant tous une planète aussi magique que fragile. Nous avons encore du travail, je crois.

Fidèlement,

Cécile Duflot

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